Le fonctionnement à la croyance
La liberté de conscience est sacrée pour chacun ; au nom de la tolérance, je respecte donc la foi du charbonnier, ce que le sociologue Max WEBER[1] appelle « l’éthique de conviction ». C’est pourtant au nom de « l’éthique de responsabilité »(toujours de WEBER) que je m’insurge contre toutes les religions qui parlent au nom du bien mais font concrètement toujours le mal psychiquement et physiquement (culpabilisation, dogmatisme, position réactionnaire envers les femmes et la sexualité, mortification, atteintes aux droits de l’homme, etc.). Qu’est-ce qu’une croyance sinon une certitude absolue, autrement dit un préjugé jamais remis en question et cautionné par un tour de passe-passe que l’on appelle « la foi ».
Je suis humaniste, j’ai foi en l’homme, c’est donc également une croyance, non transcendantale certes, mais au moins un principe, tout comme la tolérance qui ancre mon éthique de vie. Je reconnais bien sûr qu’il existe des militants laïques qui sont aussi des croyants rabiques autant que les chrétiens. Beaucoup de gens sont morts pour des idées parce qu’ils étaient idéalistes (antifascistes par exemple). Il nous faut donc distinguer les croyances dogmatiques (une paresse intellectuelle) des croyances aux luttes sociales pour l’amélioration de l’humanité (pour autant qu’elles ne deviennent pas une doctrine sectaire comme le stalinisme, du genre « le parti a dit et la vie des militants ne compte pas »). Tout homme peut porter un idéal de vie souhaitable comme l’inaccessible étoile de Jacques BREL tout en conservant dans le concret son esprit critique, donc sa pensée rationnelle et analytique.
Lorsque l’on écoute le philosophe André COMTE-SPONVILLE, on s’interroge sur les vertus théologales qu’il développe : la foi, l’espérance et la charité. La charité est une action qui consiste à se soucier des plus pauvres des humains, un acte volontaire vertueux alors que la foi et l’espérance sont des états d’âme. Nous, les athées et laïques parlons plus volontiers d’action sociale envers les déshérités pour fuir le terme de « charité » devenu poisseux et condescendant avec les dames patronnesses du temps jadis pratiquant une charité chrétienne ostentatoire et non respectueuse de la dignité humaine des moins nantis financièrement.
Je suis fidèle à mes idéaux qui cependant évoluent toujours au fil du temps car sans dogme et je reste de « bonne foi » sans pour autant toujours conscientiser mon évolution dans les détails…mais sans la foi immuable du charbonnier. Il n’y a pas de conciliation possible sur ce terme restrictif de croire aveuglément sans question, il est antagoniste à la science et à la raison adogmatique. Il peut y avoir une confiance et une adhésion à un ordre cosmique mais jamais une foi aveugle ; autrement dit, la foi en l’homme est possible car porteuse d’un sens plus pragmatique qui n’exclut pas la perfectibilité personnelle, donc les remises en cause permanentes.
Au-delà de la vision formatée par nos déterminismes sociaux et culturels, on peut aussi percevoir le monde intuitivement en observant les réalités sensibles sans nous prendre pour des clairvoyants. Les connaissances sur le cognitivisme ont encore du chemin à faire pour clarifier notre fonctionnement cérébral. Carl Gustav JUNG se réfère à HERMES « Ce qui est haut est comme ce qui est en bas » et inversement ; donc, sans dénier nos besoins physiologiques de mammifères, nous pouvons nous détacher de nos représentations enkystées pour, sans idolâtrie ou « profession de foi », ne pas s’arrêter aux apparences de l’ego et trouver en nous notre propre lumière relative. En synthèse pour ce concept, nous pourrions dire « avoir la foi » en nos possibilités de perfectionnement personnel, avoir une fidélité à une structure de pensée ou à un ordre sans pour autant aliéner notre libre-arbitre.
L’espérance aussi est un concept poly sémantique : nous pouvons avec la pensée positive espérer pour notre espèce, donc avec une énergie constructive, sans rêver pour autant à un beau jour d’espoir dans la réalité de tout ce qui est espéré. Pour une pratique de diverses actions sociales dans le tiers et le quart-monde, l’espérance d’un monde meilleur est notre moteur psychique et nous serons déçus absolument car le monde des hommes est MOUVEMENT et il y aura toujours un prêtre ou un politicien pour récupérer les acquis sociaux pour faire un retour vers l’obscurantisme et le totalitarisme (les évènements en France des diktats de SARKOSY par rapport aux retraites).
COMTE-SPONVILLE nous donne une belle définition de l’espérance : « C’est un désir qui porte sur ce qu’on n’a pas (un manque) dont on ignore s’il est ou s’il sera satisfait, enfin dont la satisfaction ne dépend pas de nous : espérer c’est désirer sans jouir, sans savoir et sans pouvoir. »[2] Le désir est manque de ce que l’on n’a pas ou de ce qui n’est pas comme l’avenir d’une humanité radieuse, c’est cela désirer sans jouir car notre avenir nous est inconnu et on n’en aura pas l’expérience avant l’instant du moment vécu. Nous ignorons si nos actions seront bénéfiques ou non, c’est pourquoi nous désirons sans savoir. Il est important de distinguer ce qui dépend de notre volonté et de nos actions d’une espérance dont la satisfaction ne dépend pas de nous. Le vouloir est l’acte, le concret qui dépend de nous : « Je serai là » n’est pas le même message que « j’espère venir ». Si notre engagement dépend d’un pouvoir externe à nous-mêmes, ce sera alors une espérance : « Plus nous nous efforçons de vivre sans la conduite de la raison, plus nous faisons effort pour nous rendre moins dépendant de l’espoir. »[3]
Pour arriver donc à enfin une ACTION « charitable » sans espoir d’une quelconque récompense dans l’au-delà ou d’une reconnaissance dans l’ici et maintenant, il faut réaliser un travail sur soi pour se détacher de l’ego et de l’orgueil. Il s’agit d’une ouverture du cœur, d’une disponibilité à la générosité et au partage. En travaillant concrètement pour le progrès social de tous, nous débouchons sans effort sur une vie spirituelle laïque, c’est-à-dire non pas l’amour d’un Dieu anthropocentriste dit, au mépris des réalités observables, « bon » mais l’amour des hommes (la Philae).
La pratique de la pensée et de l’action (la praxis) est génératrice d’une réaction psychique : la méditation sur la contradiction entre les injustices sociales productrices de souffrance pour l’humanité et la beauté de la terre et de l’univers. Cela ne veut pas dire – rappelons-le avec force et sagesse – qu’il nous faut (devoir) aimer tous les hommes (car nier les conflits, c’est les renforcer) mais sur la base d’une idée (une foi) et d’une positivité humaniste (l’espérance) ne fréquenter que les hommes avec qui nous pouvons établir des liens de réciprocité (sans nous user avec des fanatiques) pour le progrès, toujours provisoire, de l’humanité. L’adage d’une philosophie béate de la soumission : « tendre la joue gauche ! » est un masochisme judéo-chrétien inacceptable pour l’émancipation et l’épanouissement des hommes. Il nous faudra toujours nous battre – sans haine, ni violence – si nous voulons à la fois progresser en nous-mêmes et résister donc lutter contre le néolibéralisme allié à la domination des églises pour l’exploitation et l’abrutissement des hommes sans instruction, sans développement mental de l’esprit critique et se référant comme consolation à l’adoration de puissances externes extra-terrestres alors que la possibilité d’une vérité relative est en eux par l’alliance avec les autres hommes.
La « charité » est une liberté de passer le pont pour rejoindre les hommes de bonne volonté (musulmans et chrétiens y compris). La « charité » est l’acte volontaire d’aider nos semblables par altruisme sans renoncer à un minimum d’égoïsme. Comment partager le pain si on est totalement affamé ? Comment partager le pas (le com-pas) si on est à vie reclus dans un monastère pour notre propre salut adorateur d’une déité imaginaire ? Par contre, si la bêtise conduit à la discorde et aux tueries fanatiques des islamistes stupides par exemple, le plus clair moyen d’opposer une résistance est d’agirtet de lutter contre l’ignorance par l’éducation de tous. Nous avons besoin d’une droiture de caractère sans peur, d’un accueil de la différence des autres et de compassion et de combativité pour ouvrir la cage à notre colombe intérieure dans sa lutte contre les corbeaux de l’avoir matériel (ce que les alchimistes nomment le souffre, le sel et le mercure).
La vertu dépassera la mort.
Jean-Marie Lange, 17.10.2010.
[1] WEBER M., L’éthique protestante ou l’esprit du capitalisme, Paris, Plon, 1964.
[2] COMTE-SPONVILLE A. Le bonheur désespérément, Paris, Librio, 2008, p. 40.
[3] SPINOZA Baruch, L’éthique IV, scolie de la proposition 47.
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