mercredi 28 décembre 2011

CAPI n°36 Fidélité et soumission

CAPI – Cahiers d'Autoformation Psychosociale en Pédagogie institutionnelle N°36
GROUPE D’AUTOFORMATION PSYCHOSOCIALE
Association pour le développement de l’autonomie et de la participation sociale
Siège social : 40, rue Saint-Lô, BE 5060 FALISOLLE,
Président Patrick LECEUX 0496/627678 patrick.leceux@mac.com
Coordination pédagogique Jean-Marie LANGE: gap.belgique@skynet.be ;
Groupe d'Autoformation Psychosociale : Formations des adultes et actions humanitaires.
L'association de formation des cadres GAP est une asbl spécialisée en management associatif et en prévention des conflits de groupe. Elle se veut résolument sans but lucratif; aussi, lorsqu'elle dégage un quelconque bénéfice, elle conçoit le projet d'une aide humanitaire technique et ciblée au Tiers Monde. Hier, il s'agissait de formations d'animateurs ruraux et d'animateurs de gestion au Mali. Aujourd'hui, c'est l'aide à des associations locales à MAKAMBA au sud Burundi. Demain ce sera le soutien à des écoles fondamentales au pays DOGON (Mali). Notre association n'est pas subsidiée par la coopération au développement de Belgique. Le GAP est un opérateur de terrain qui se réclame de l'application des droits de l'homme et ne se réfère à aucune confession et à aucun parti politique.
Site http://soutien.et.autonomie.free.fr Blog : http://gap-belgique.blogspot.com;

CAPI – Cahiers d'Autoformation Psychosociale en Pédagogie institutionnelle -
SOMMAIRE des précédents articles de cette revue bimensuelle de réflexions pédagogiques du GAP
N°1 – Janv-Fév. 2006 : Qu'est ce que le GAP ?
N°2 – Mars-Avril 06: Le cahier des offres de formation du GAP.
N°3 - Mai-Juin 06 : La colère des enseignants (gestion des conflits – opus 1)
N°4 – Juill.-août 06 : La pensée rationnelle (gestion des conflits – opus 2)
N°5 – Sept.-Oct.06 : Totem et tabou
N°6 – Nov. Déc. 06 : Jalousie et fonctionnement à la croyance (Médiation couple – opus 1)
N°7 – Janv.Fév. 07 : L'Avant-projet pédagogique BURUNDI
N°8 – Mars-Avril 07 : La Dynamique des Groupes, l'organisation sociale et l'homme de la singularité.
N°9 – Mai-Juin 07 : Histoire de vie en groupe et aide sociale (Proposition au Congrès international des professionnels francophones de l'intervention). Pédagogie du projet.
N°10 – Juillet-Août 07 : Rapport d'activité "Enfants de Kayoba" première phase "Voyage d'études et de faisabilité 2007"
N°11 – Sept.Oct.07 : Le chaman et le formateur
N°12 – Nov.Dec. 07 – L'identité personnelle, une insertion sociale ?
N°13 – Janv.Fév.08 – La genèse des alchimistes pour l'éducation à une spiritualité laïque
N°14 – Mars-avril 08 - Le travail des intervenants sociaux (1) : Pour une insertion sociale et multiculturelle citoyenne.
N°15 – Mai-Juin 08 – Le travail des intervenants sociaux (2) : Emploi, travail et méthodes d'intervention.
N°16 – Juillet-Août 08 – Le travail des intervenants sociaux (3) : Fantasme de toute puissance, démocratie ou génocide.
N°17 – Sept. Oct. 08 : La souffrance du désir et le détachement
N°18 – Nov. Déc.08 : Le stress et les consciences
N°19 – Janv-Fev 09 : Le triangle rouge de la lutte contre tous les racismes
N°20 – Mars-Avril 09 : La psychologie des émotions.
N°21- Mai-juin 09 : La raison sensible (combattre les fidèles au nom des infidèles).
N°22 – Juill-Août 09 : Le néant et l'être affamé
N°23 – Sept-Oct 09 : Multiculturalisme et autoformation
N°24 – Nov.-Dec.09 : Les Etats Modifiés de Conscience (extase, possession, hypnose et zen)
N°25 –Janv-Fev 2010 La matière, le vide, la nature, l'éducation
N°26 – Mars-Avril 2010 L'intelligence des femmes
N°27 - Mai-Juin 2010 L’imaginaire, le symbolique et la réalité sociale
N°28 – Juil-août10 : Pour une introduction à l’anthropologie culturelle et sociale
N°29 – Sept-oct10 : Le combat perpétuel de la démocratie participative
N°30 – Nov-dec10 : Les sans-papiers
N°31 – Janv-Fév 11 : le couple et l’institution du mariage (Médiation couple - opus 2)
N°32 – Mars –avril 11 : La psychologie systémique et le chamanisme
N°33 – Mai-juin 11 : Vers une éthique sociale contre les barbaries
N°34 – Juil-Août11 : Nous sommes tous contre le fascisme.
N°35 Sept-Octobre 11 : le méta point de vue et le non-agir.
N°36 Nov. Dec. 11 : Fidélité et soumission.
CAPI – Cahiers d'Autoformation Psychosociale en Pédagogie institutionnelle N°36 Nov. Dec. 2011


Fidélité et soumission : fidélité aux droits de l’homme et lutte contre toutes les soumissions
Le conte de fée et le cauchemar social
« Si j’avais eu à choisir le lieu de ma naissance, j’aurais choisi une société d’une grandeur bornée par l’étendue des facultés humaines, c’est-dire par la possibilité d’être bien gouvernée, et où chacun suffisant à son emploi, nul n’eût été contraint de commettre à d’autres les fonctions dont il était chargé : un Etat où tous les particuliers se connaissant entre-eux, les manœuvres obscures du vice ni la modestie de la vertu n’eussent pu se dérober aux regards et au jugement du public, et où cette douce habitude de se voir et de se connaître, fit de l’amour de la patrie l’amour des citoyens plutôt que celui de la terre(…)ce qui ne pouvant se faire à moins que le peuple et le souverain ne soient une même personne, il s’ensuit que j’aurais voulu naître sous un gouvernement démocratique, sagement tempéré ».[1] Moi aussi !
Introduction
Sollicité par l’AIS (Association Internationale de Sociologie – Madrid), pour la rencontre humaniste et tiers-mondiste de Durban en 2001, j’avais respecté le protocole de la voie hiérarchique des enseignants de la province de Liège en introduisant ma demande un an auparavant et malgré mes courriers de rappel restés sans réponse, ce sera plusieurs années après l’évènement que l’on me réclamera un rapport justificatif ! Les administrations sont toutes les mêmes : incompétentes et inhumaines.
Par contre, par l’ouvrage de Caroline FOUREST « La tentation obscurantiste »[2], j’ai appris le fiasco de cette rencontre avec des tensions orchestrées entre les militants tiers-mondistes (dont je suis) et les inconditionnels des droits de l’homme (dont je suis aussi) par d’ habiles agitateurs islamistes dont le meneur Tariq RAMADAN. Je me demandais à l’époque à qui le crime profitait sinon aux Etats-Unis ; le djihadiste hypocrite ferait-il partie de la dégoutante CIA ?
La dernière conférence humaniste de Durban en novembre 2011 fut plus atroce et transparente encore que celle de 2001, le protocole de KYOTO ratifié par tous les Etats du monde (sauf les Etats-Unis et la Chine) est maintenu mais toujours sans aucune force de contrainte envers les gros pollueurs. Avec le Japon, le Canada et la Russie qui se sont retirés, cela signifie qu’ il s’agit à présent d’un consortium des plus gros pollueurs contre le reste du monde.

Nous sommes à l’époque du « village planétaire » disait Mac LUHAN, nous dirions aujourd’hui l’époque de TV5 MONDE et nous pourrions rêver d’une alliance entre l’Europe et les pays du tiers-monde entre les hommes de bonne volonté qui veulent un monde meilleur et propre pour leurs enfants, qui sont une écrasante majorité écrasée par une poignée de très riches qui contrôlent l’économie par le néolibéralisme.
Le conte de fée
« Le concept de mutation sociale implique de penser une discontinuité dans le temps et dans l’espace. Les sociétés s’inventent elles-mêmes : les formes sociales à venir ne sont pas incluses dans les formes passées. Un phénomène de mutation n’a rien de nécessairement turbulent, au moins à la surface du monde social, au moins pendant longtemps. Le vide qui se creuse dans les institutions, la béance des formes révolues, la disqualification d’un monde social peuvent rester longtemps perceptibles.(…) Henri Desroche prend soin de ne pas confondre les utopies philosophiques et les utopies pratiquées.( Les praticiens de ces dernières sont ceux qui)se donnent à l’aventure vécue, s’emploient à rattraper leurs propres vies, à en reprendre la maîtrise, ceux qui sont les vaincus de l’histoire et qui sortent de toutes ses révolutions, grandes et petites, économiques et politiques, dépossédés et marginalisés. »[3]
Il était une fois…en mai 1968, une révolution pacifiste (malgré les CRS) des jeunes à Paris et ailleurs, réclamant plus de liberté et de créativité en exigeant l’impossible. Certains ont cru qu’il s’agissait d’un pétard mouillé alors qu’il s’agissait des bases d’une révolution silencieuse et normative extraordinaire qui se donnera à voir dès le début des années 1970. Partout en Europe, on assista surtout à l’émancipation féminine, cette moitié de l’espèce humaine qui à cause de son genre sexuel se trouvait sous la tutelle moyenâgeuse des hommes ; bien sûr, le sexisme n’est pas encore dans les oubliettes de l’histoire mais quelle bond magnifique de progrès l’Homme a accompli dans le respect élémentaire des droits de l’homme et de la femme.
Partout, le monde a bougé en progressant (actuellement, il est notoirement en régression depuis plus de 20 ans). En Italie, Franco BASAGLIA, psychiatre, ouvre les portes des asiles et évoque la désinstitutionalisation. En Belgique, les scientifiques Ilya PRIGOGINE et Isabelle STENGERS nous ouvrent à la psychologie systémique (née à Palo Alto en Californie) avec « La nouvelle alliance »et l’Etat belge promeut l’enseignement rénové (un travail centré sur l’apprenant et non plus le prof et en petits groupes solidaires).




En France, la pédagogie de Célestin FREINET pour les primaires (classe découverte nature et conception de projet) deviendra avec Cornélius CASTORIADIS, l’analyse institutionnelle[4] relayée par Georges LAPASSADE et René LOURAU (entre autres) en pédagogie institutionnelle et portée en Belgique à Liège par le « Centre de Dynamique des Groupes et d’Analyse Institutionnelle » (ULG) du Pr. Pierre DEVISSCHER. En Allemagne MARCUSE et HABERMAS, etc.
Les idées de cette vague progressiste étaient magnifiques, pas seulement dans mon secteur de l’enseignement et de l’Education Permanente mais aussi sur le plan libertaire (je n’ai pas dit libidinal) des couples. Les étudiants qui auparavant recevaient à la petite cuillère passivement une matière d’ennui se transforment en groupe-classe où l’on discute en petits groupes pour s’approprier de façon critique la matière « apprendre à apprendre » c’est-à-dire, au-delà des SAVOIRS nécessaires, un SAVOIR-FAIRE (et savoir s’exprimer) et un SAVOIR-ÊTRE (de remise en question). Le défaut de cette non cuirasse est que l’on n’a pas formé les maîtres en ce sens d’où la résistance de certains, voire l’hostilité envers la psychopédagogie. Ce fut le temps de l’autoformation (« Connais- toi toi-même » disait SOCRATE) et de l’évaluation formative et non plus sélectionnante et élective.
Il en allait de même dans le socioculturel avec l’Education Permanente (détournée par l’Europe en 2000 à Lisbonne « par la formation tout-au-long-de- la- vie » par l’informatique) dont la finalité était de restaurer la dignité des hommes et des femmes laissés-pour-compte hors de l’école bourgeoise. En effet, le sociologue Pierre BOURDIEU avait, il y a un demi-siècle à présent, analysé scientifiquement « La reproduction » des « classes sociales »(dénomination un peu dépassée aujourd’hui mais je n’en trouve pas d’autre) par l’école et selon les groupes d’appartenance quel que soit le groupe de référence de l’apprenant. Par exemple, un enfant d’immigré rêvant de devenir docteur en médecine pouvait « se brosser ». Cette prophétie de BOURDIEU fut donc bousculée en ces années de grâce de la vague de l’ascenseur social. On voyait des cours d’alphabétisation, de remise à niveau ainsi qu’une revalorisation du sujet (retrouver une confiance en soi) et l’ouverture vers des écoles dites de deuxième chance appelées « promotion sociale » avec des passerelles possibles. Mais, comme le disent justement mes amis zen, la vague n’est pas statique et inéluctablement, elle retombe se fondre dans l’océan de la bêtise humaine et politique.
Ce conte de fée d’émancipation sociale pour tous[5] et de massification (dans le bon sens du terme) de l’enseignement supérieur avait ses ennemis déclarés : en France, l’école républicaine et élitiste (l’ENA et les grandes écoles par exemple) et en Belgique, certains collèges catholiques jésuites injustement subsidiés par tous alors qu’il s’agit d’un enseignement libre ne rendant pas de compte et destiné à une élite de social-démocratie chrétienne bien entendu. Notons qu’en France aussi, le président Sarkozy dit naïvement :« dans les villages, les prêtres étaient au-dessus des instituteurs ! », sur la base de quels critères ? L’engagement ?
Mais des campagnes de sensibilisation de la liberté du chef de famille ont été bien menées par ces experts de la rhétorique que sont les jésuites pour montrer par exemple leur haut taux d’exigence et leur haut taux d’échec, symbole de sélectivité. Je me rappelle avoir expliqué à une famille d’ouvriers dont la fille devait redoubler son année au collège que l’enseignement officiel dont je faisais partie visait la réussite du plus grand nombre sans pour autant diminuer les exigences des programmes (pas de démagogie) et que cela me semblait peu plausible que tous les bons profs soient dans l’enseignement privé et les mauvais dans l’officiel, qu’il y avait autant de bons et de mauvais dans chaque réseau. Il ne fallait donc pas se laisser séduire par une « propagande » bien faite certes mais plutôt choisir l’intérêt de son enfant d’être diplômée et de poursuivre ses études plutôt que de se résigner. J’étais ce que l’on appelait un enseignant engagé mais scrupuleux de la neutralité dans mes cours.
Un des leaders de cette époque fut Daniel COHN-BENDIT, franco-allemand qui par après sera récupéré comme député européen par l’institué etexplique à présent que cette période est révolue et que nous devons nous adapter à la mondialisation économique de l’austérité néolibérale.
« La culture est une attitude, une volonté de dépassement personnel total de son corps, de son cœur, de son esprit, en vue de comprendre sa situation dans le monde et d’infléchir son destin. »[6]
La génération de nos parents avait connu la guerre et se souciait beaucoup moins de ses enfants. Lorsque j’évoque des histoires de vie, par déontologie, je fouille d’abord dans mon background. J’avais terminé l’enseignement technique en agriculture tropicale (A2+1) et j’ai demandé à mon père en présence de ma fiancée pour poursuivre mes études. Il a refusé car je lui avais déjà coûté trop cher à 20 ans. J’ai fait des petits boulots manuels tandis que mon épouse continuait sa troisième année d’assistante sociale mais nous n’arrivions pas à vivre et donc marié le 11 mai 1968 je suis parti seul au Congo replanter des palmiers à huile, greffer des hévéas et/ou cultiver des caféiers pour subvenir décemment à nos besoins. Il est difficile d’exprimer la souffrance réelle d’un couple de jeunes mariés qui se sépare après ses noces pour 8 mois (le jeune couple que nous étions).
En 1972, le dictateur Joseph MOBUTU Sese Seko raciste anti-blancs expulsa tous les cadres blancs qui géraient son économie nationale ; six mois plus tard, les structures locales étaient détruites ou pillées et on nous rappelait. Ayant des petits bouts, j’ai poliment décliné et j’ai trouvé un job de surveillant éducateur tout en m’autofinançant des études supérieures pendant vingt ans (la boucle ZEGARNIK en histoire de vie).
Nous étions toujours dans la vague progressiste qui commencera à s’effriter lors de la première crise économique de 1974 puis, progressivement, le conte de fée se transformera en cauchemar. Dès 1973, j’ai allié mes approches théoriques avec la pratique et me suis impliqué comme formateur d’adultes de terrain travaillant pour Peuple et Culture France dans divers cercles, y compris paroissiaux pour inciter à la lecture tout en étant militant de l’ « enquête conscientisante » de Paulo FREIRE (Brésil). Celle-ci consistait à travailler sur et pour la dignité des laissés-pour-compte, à rendre aux gens cassés, aux jeunes désabusés l’espérance en la citoyenneté responsable de la démocratie.
J’aurais voulu être socialiste si ce parti avait été de gauche mais il y près de 40 ans, ce parti était déjà opportuniste, magouilleur et oublieux de la pensée de Joseph WAUTERS « Pour que le peuple lise ! ». Je ne parle pas de « on-dit » mais de ma propre expérience de vie de 40 ans cherchant des actes concrets au service du bien-être social de tous et non promotionnels pour des « fils de ».
Le cauchemar
« Ils sont déjà parvenus à isoler les gens dans leurs automobiles. A les enfermer dans leurs logements devant leurs télés. Ils ont démantelé les grosses usines. Un des derniers bastions où les gens peuvent encore se rencontrer, se parler, s’unir c’est l’école. Ils fermeront les écoles ! L’école ne doit pas disparaître. L’enseignement gratuit et universel doit s’étendre. L’école doit devenir plus encore qu’aujourd’hui, un lieu, un vivier où l’on se rencontrera, apprendra à réfléchir avec sa propre tête et ensemble. Un lieu collectif où l’on pourra se préparer à transformer le monde. Non à l’accepter tel qu’il est. »[7] Nous pourrions ajouter et « apprendre à apprendre » sous l’impulsion d’êtres humains et non de machines informatiques.
Ensuite en une décennie de ce travail de formateur militant à la FAR (Fondation André Renard), à Amnesty International, à la CGSJ (Confédération Générale du Service civil de la Jeunesse), au MIR-IRG(Mouvement International de Réconciliation – Internationale des Résistants à la Guerre), au CAN (Centre d’Action non-violente), à la LEEP (Ligue de l’Enseignement et de l’Education Permanente), à PEC/W-B (Peuple et Culture Wallonie-Bruxelles) , etc.…, j’ai assisté à la fermeture de l’enseignement rénové comme de l’orientation citoyenne dans le monde de la formation des adultes par la transformation des formations visant la responsabilité personnelle en loisirs récréatifs, occupationnels (batik, brame du cerf, danses orientales, chorale, djembé, chant, PNL…) et autres produits américanisés du genre « comment se faire des amis en 10 leçons).
Par MICHEA[8] j’apprendrai que les grands de ce monde (à l’époque G7, G8, FMI, banque mondiale, OCM) avaient analysé que 2/10 de travailleurs qualifiés suffiront pour le futur et qu’il faudra trouver « du pain et des jeux télévisés » pour occuper les 80% d’humains excédentaires pour le capitalisme. Le cauchemar commençait !
Au jour d’aujourd’hui, la crise américaine des « subprimes » de 2008 a envoyé une onde de choc déstructurante sur l’Europe de 2011 ; des agences de notation (surgies de nulle part et nullement accréditées démocratiquement) jugent la bonne santé ou non des Etats européens et, au lieu de plan de relance du travail, on s’enfonce dans une inflation non dite (mais bien visible dans le panier d’achat de la ménagère). Le premier pays touché sera la Grèce où, après avoir - comme chez nous - sauvé les banques grâce aux impôts citoyens, on demande aux populations des efforts d’austérité. Pourquoi faire au juste ? Rétablir un jour le bien-être ? Il y a des retraités qui doivent survivre avec 350 à 500 €/mois en Grèce alors que le coût de la vie est aussi cher que chez nous. L’Europe est vendue au néolibéralisme et ses parlementaires parlent d’Europe sociale ?
La Belgique n’avait pas de ressources naturelles, elle n’avait que la qualité de ses écoles et celle-ci fut systématiquement détruite par de multiples réformes économiques PS principalement, en tout cas en Wallonie, et notre région est à présent classée parmi les plus mauvaises dans le rapport européen PISA.
Après 6 mois de grèves des enseignants en front commun pendant l’hiver 1980-1981, il y eut enfin une réforme portant sur le pédagogique (et non les économies) mais très démagogique, ce fut « Mon école comme je la veux » signée la Ministre sans nom en 1997.
La sclérose de notre enseignement repose en fait sur trois piliers qui s’effondrent :
1. Celui déjà amorcé de la fin de l’Etat providence au profit de la loi de la jungle des marchés. Par exemple, une note de la CCE de Lisbonne en 2000 « L’éducation tout-au-long-de-la-vie » dit en substance qu’il faut avant tout de l’informatique et des cours programmés par correspondances ou médias télévisés alors que les profs accoucheurs d’efforts étaient indispensables pour les enfants de familles défavorisées (c’est-à-dire n’ayant pas par l’intermédiaire de leurs parents accès à la culture bourgeoise qui est celle de l’école). Donc merci pour Microsoft et l’immense richesse de Bill GATES mais quid des autres ? De la frime, de l’occupationnel ?
Ainsi en Belgique, on ferma doucement les enseignements techniques (en majorité du réseau officiel) au profit de l’enseignement professionnel (en majorité du réseau catholique)[9]. L’enseignement professionnel dépourvu de cours généraux (français, maths, sciences,…) accueillait auparavant les jeunes fâchés avec l’institution scolaire après les primaires, pour leur apprendre les ficelles d’un métier manuel. Puis une ministre PS (la même que « Mon école comme je la veux ! ») porta l’obligation scolaire de 16 à 18 ans (pour payer ainsi moins de jeunes chômeurs) et aucune mesure d’accompagnement ne suivra ce diktat qui prolongea donc les études professionnelles(de 2 ans) jusqu’à une durée de 6 ans. Cette décision du pouvoir dominant socialiste et démagogique fut condamnée par l’Europe insistant pour que la Belgique revoit sa copie cynique d’une filière de relégation. Alors on instaura une septième année professionnelle de remise à niveau où, en une seule année, ces enfants victimes reçurent de la remédiation pour les cours généraux qu’ils avaient manqués pendant six ans. Notre pays est un pays surréaliste mais ce n’est pas toujours drôle. Grâce à cet entourloupe sur la forme ne résolvant rien du fond, ces enfants ont alors eu accès à l’enseignement supérieur. Les conséquences désastreuses sont sensibles lorsque certains de ces jeunes sans formation de base font un graduat d’instituteur et doivent enseigner à nos petits bouts les matières qu’ils ont zappées alors que tous les pédagogues unanimes disent que la formation des maîtres pour cet âge tendre et fragile devrait être de bac+5 car dans l’enseignement supérieur, les apprenants peuvent eux se débrouiller avec des profs médiocres.
2. La massification de l’enseignement supérieur fut cassée au profit des élitismes car les niveaux hétérogènes appelèrent de fait un nivèlement par le bas. Vieux professeur militant, j’ai toujours demandé à recevoir des cours de remédiation plus délicats alors qu’ils sont souvent confiés à des jeunes collègues non expérimentés comme queue d’horaire. Ajoutons à cela la pression exercée par des directeurs demandant à des profs après délibération de remonter leurs notes. Les anciens résisteront peut-être mais mes que peuvent faire des jeunes collègues temporaires l’année suivante. Lutte contre les échecs, d’accord mais sans toucher par démagogie aux exigences de qualité ?
« Napoléon, suivi de ses molosses, escaladait maintenant l’aire surélevée du plancher. Il annonça que dorénavant ils ne se tiendrait plus d’assemblées. Elles ne servaient à rien, déclara-t-il – pure perte de temps. A l’avenir, toutes questions relatives à la gestion de la ferme seraient tranchées par un comité de cochons, sous sa propre présidence. Les débats publics étaient abolis. Le comité se réunirait en séances privées, après quoi les décisions seraient communiquées aux autres animaux. »[10]
L’alternative humaniste est possible ; dans les pays scandinaves, tous les enfants poursuivent le même cursus scolaire obligatoire jusque 16 ans et ensuite peuvent, selon un choix vrai, opter pour l’intelligence des mains s’ils le souhaitent. Lorsque j’étais chargé de mission au CEF (Conseil de l’Enseignement et de la formation) chargé d’instruire des dossiers pour la chambre de l’enseignement, le Chanoine BAUDUIN grand patron du SéGEC (Secrétariat général de l’Enseignement Catholique) m’a dit un jour qu’il n’y avait pas de différence entre le boucher et le chirurgien, ils travaillent l’un comme l’autre dans la viande. (Je préfère les blagues sur les blondes, elles sont moins racistes.) La distinction bien sûr est que entamer une carrière de chirurgien est un choix qui n’est pas possible pour tout le monde (sélection) alors que la boucherie est une filière professionnelle de relégation non choisie mais subie par réorientation. Je reviens encore à ma propre histoire de vie ; j’étais technicien agricole mais j’ai toujours détesté l’agriculture !
Aujourd’hui, paraît-il, on cherche à revaloriser l’enseignement technique mais il est trop tard car il n’y a plus de personnes qualifiées qui soient volontaires pour donner ces cours en échange d’un maigre salaire et avec une réputation flétrie à jamais à la TV par le Ministre ILLIEF, dans les années 1980-1990. A propos, petite bouffée d’analyse institutionnelle, quel est le système d’évaluation et de sanction des bourdes des parlementaires et/ou des magistrats ? Qui les contrôle ? En ce moment le nouveau gouvernement de centre-droite de Di Rupo attaque les retraites du peuple alors que les parlementaires gardent une carrière complète après 20 ans et l’on augmente la durée de la carrière de tous ? Pourquoi ? Pourquoi les députés européens ne cotisent-ils pas pour leur retraite flamboyante ? Quel est le sot qui s’imagine que nous sommes dans une Europe démocratique où la population n’est jamais consultée sur ce genre de questions ? Toutefois pour rester dialectique et ne pas faire que haro sur le baudet, reconnaissons aussi que dans la nouvelle vague d’étudiants contestataires qui trouvent eux que les études sont trop dures, il y a aussi de fieffés imbéciles qui n’ ont pas leur place.
3. Les familles hypnotisées par les messages subliminaux de consommation diffusés en continu par la TV (dans les milieux modestes, il n’est pas rare de voir la TV allumée toute la journée en bruit de fond), ne voient pas/plus qu’un jeune enfant doit être encadré pour faire ses devoirs à la maison mais aussi pour son éducation à la politesse par exemple. De petits paumés qui disent à leur enseignante « Je nique ta mère ! » se trompent et sont trompés par la croyance « avoir tout et tout de suite », ils veulent le beurre et l’argent du beurre. Souvent, il n’y a pas de livres dans les lieux de vie des familles fragiles, seulement la TV en permanence et peu de règles de savoir-vivre et peu de le repas de famille où l’on peut échanger tous ensemble. De plus pas de modèle, le père et le grand-père n’ont parfois jamais travaillé et l’enfant n’est pas motivé. Le taux d’analphabétisation aujourd’hui en Belgique atteint encore 15%. Enfin, avec les multiples sollicitations médiatiques étudiées pour faire de l’audimat et donc être brèves, les jeunes perdent une capacité de concentration nécessaire pour les études si bien que les profs passent la moitié du temps à faire de la discipline au lieu d’enseigner à l’exception bien entendu des familles qui encadrent et limitent les enfants-rois et nous retombons ainsi hélas sur la prophétie de la reproduction selon le groupe d’appartenance de BOURDIEU.
Nous nous sommes battus pour le développement de l’esprit critique et l’apprentissage des remises en question personnelles permettant de progresser et il ne reste plus que la critique de consommateur du genre « ce n’est pas ma faute mais celle des profs ; ils sont tous des cons ! ». Circonstance aggravante pour la stabilité des ados, nous assistons à d’une part l’offensive d’une culture barbare venue d’Afrique qui veut détruire Rome et d’autre part la démission des pères.
Bien sûr, il fallait bannir la violence domestique des répressions (physiques et psychiques humiliantes) mais non passer du tout au rien ! Le rôle essentiel du père a été disqualifié à la fois par son non travail et par la mère émancipée et surprotectrice (le retour du pendule de FOUCAULT) et la société faisant de plus en plus de l’ingérence familiale, de la colonisation intérieure, dit Jürgen HABERMAS.
L’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) a écrit sans honte qu’il fallait privatiser les Hautes Ecoles et faire de l’argent (cf. LANGE J.M. Revalorisation de l’enseignement technique) en portant le minerval actuel d’environ 300 € à 3000 € et laisser l’enseignement fondamental à l’Etat, ce qui revient à la sélection antérieure car le gagne-petit ne pourra plus payer les droits d’inscription si par exemple il a trois enfants et donc le projet des G7, G8 et G20 se réalise. Il y aura un enseignement exigeant, sélectif car coûteux pour 2/10 de la population et des activités occupationnelles pour les autres, ce qu’il appellent entre eux le TITTYTAINMENT de l’effet de Zbigniew BREZINSKI[11] et qui consiste « à définir un cocktail de divertissement abrutissant et d’alimentation suffisante permettant de maintenir de bonne humeur la population frustrée de la planète. » Soit le roman « 1984 » de Georges ORWEL en pire : celle d’une Europe moisie peuplée de beaufs réactionnaires et de loosers.
« Pour les compétences techniques moyennes – celle dont la commission européenne estime qu’elles ont « une demi-vie de dix ans, le capital intellectuel se dépréciant de 7% par an, tout en s’accompagnant d’une réduction correspondante de l’efficacité de la main d’œuvre. »[12] - le problème est assez différent. Il s’agit, en somme, de savoirs jetables – aussi jetables que les humains qui en sont le support provisoire – dans la mesure où, s’appuyant sur des compétences plus routinières, et adaptés à un contexte technologique précis, ils cessent d’être opérationnels sitôt que ce contexte est lui-même dépassé. »[13] Notons que ce discours récurrent de la droite industrielle pour disqualifier l’école diplômant est abscons, je vous assure que dans de la technologie de base en agriculture, seul le matériel sophistiqué et non nécessaire du paraître évolue à cette vitesse (des tracteurs toujours plus gros).
Excursus : Je sais que je ne décante pas toujours correctement les théories que je vulgarise et qu’au contraire, je truffe mes textes d’anecdotes illustratives (ces commentaires devraient venir en annexe) mais cette déformation me vient de ma pratique de terrain des histoires de vie et cela me plaît comme cela, ce qui compte pour être convainquant, nous dit en substance SPINOZA. Par exemple, lorsque je donnais des formations d’adultes en gestion des conflits, communication de et en groupe et animation, conduite de réunion, entraînement mental, pédagogie du projet, socianalyse, management participatif, etc., tant à la Ligue de l’Enseignement et de l’Education Permanente (LEEP) de Bruxelles (la LEEP de Liège ayant fait sécession après leur virage à droite) qu’à Peuple et Culture Wallonie/Bruxelles (PEC/W-B), que ces deux institutions porteuses de valeurs EP sous le diktat de leurs institués (PS), n’ont plus subsidié au même moment mes formations sociales pour les remplacer par des activités de loisirs récréatifs et occupationnels. Seul le Centre de Dynamique des Groupes et d’Analyse Institutionnelle (CDGAI-ULG) est resté cohérent et a gardé l’église au milieu du village. Je n’ai rien contre le chant ou la chorale mais ce n’était pas nos objectifs d’émancipation sociale avec des outils critiques donnant de la pertinence et de la confiance en eux à de futurs citoyens actifs du monde. Nous avons alors créé avec des amis formateurs le Groupe d’Autoformation Psychosociale (GAP-asbl depuis 2005), fin de l’excursus.
« La justice distributive s’oppose à l’égalité rigoureuse du droit de nature. Isocrate loue les premiers Athéniens d’avoir bien su distinguer quelle était la plus avantageuse des deux sortes d’égalité, dont l’une consiste à faire part des mêmes avantages à tous les citoyens indifféremment, et l’autre à les distribuer selon le mérite de chacun. (Cependant) il n’a jamais existé de société, à quelque degré de corruption qu’elles aient pu parvenir, dans laquelle on ne fît aucune différence entre les méchants et les gens de bien ; et dans les matières de mœurs où la loi ne peut fixer de mesure assez exacte pour servir de règle au magistrat , c’est très sagement que, pour ne pas laisser le sort ou le rang des citoyens à sa discrétion, elle lui interdit le jugement des personnes pour ne lui laisser que celui des actions. »[14] Mise à part l’affaire AGUSTA en Belgique, combien d’hommes politiques éminents représentant en principe les citoyens n’ont pas connu des « affaires maffieuses » étouffées ? Pas de procès d’intention ! Il doit sûrement y avoir des parlementaires intègres qui, puisqu’ils interdisent aux enseignants un seul cumul, agissent de même pour eux-mêmes.
La démocratisation de l’école est un mensonge éhonté. L’Etat n’a pas arrêté de créer des sections « poubelles » de moins en moins formatives (par exemple des humanités techniques en football) car, après la condamnation de l’enseignement professionnel comme voie de garage et filière de relégation, on a inventé pire encore : les CEFA ( Centre d’Enseignement et de Formation en Alternance ), deux jours à l’école et trois jours à l’usine, comme si l’entreprise, toujours forte pour critiquer l’enseignement et dont le but est de gagner de l’argent, allait détourner à des fins éducatives un de ses travailleurs chevronnés pour ces jeunes relégués. Avant, il y avait aussi les contrats d’apprentissage où soi-disant on formait un jeune boulanger la plupart du temps en lui faisant gratuitement et inlassablement balayer l’atelier et autres travaux d’esclave sans l’introduire vraiment au savoir-faire pour lequel il était là (cela a-t-il changé ?).
Puis, il y a eu le pire dans la stigmatisation, les ZEP (Zones d’Education Prioritaire en France) que nous allons copier en Belgique par les Ecoles à discrimination positive d’où les bourgeois ont retiré illico leurs enfants n’y laissant que les migrants pour la plupart maghrébins ou quelques rares enfants blancs et où le niveau est de plus en plus bas et la préparation de nos petits pas assez exigeante pour aborder l’enseignement supérieur. Je fais l’hypothèse que la Communauté Française de Belgique n’engage pas souvent des chercheurs pédagogues des universités non catholiques et qui seraient peut-être plus à gauche ?
Par les hasards de la vie, je me suis retrouvé chargé de mission représentant la CPEONS au CEF de Bruxelles (seul pédagogue de l’ULG sur 6) puis désigné par celui-ci comme expert belge pour une mission d’étude européenne (de Thessaloniki) au sein d’une commission des 12 (Angleterre, Italie, Portugal, Espagne, France, Belgique, Hollande, Allemagne, Luxembourg, Irlande, Islande et Flandre(je plaisante)) pour une évaluation de groupe de l’enseignement technique et professionnel français. Pour synthétiser avec une illustration parlante en soi, nous avons par exemple visité une école de carrosserie hyper moderne où – outre la technique – la discipline et la politesse étaient inculquées. Les entrepreneurs qui accueillaient les jeunes en stage les débauchaient avant qu’ils ne soient diplômés si bien qu’à la moindre velléité de demande d’augmentation salariale par la suite, le patron refusait arguant du fait que, sans diplôme le jeune ne pouvait postuler ailleurs . Je n’invente rien à ce cynisme, c’est bel et bien un retour vers une forme de servage. Ailleurs, j’ai vu aussi une pyramide d’ordinateurs jetés, dans un local désaffecté d’une école dont le toit fuyait. Bill Gates[15] s’en fout ils sont vendus mais, par contre, les petits manquent toujours et cruellement d’un encadrement humain suffisant, d’instituteurs.
Dans un autre monde au Québec (et lors d’une autre mission), j’ai découvert le paradis de l’enseignement fondamental ; dans des locaux propres et peints (sans murs lépreux), j’ai vu des classes non surchargées de 15 enfants avec un instituteur-pédagogue pratiquant les méthodes actives et d’éveil, assisté de deux orthopédagogues repérant les enfants ayant un quelconque blocage pour leur proposer gentiment de la remédiation personnalisée, on se serait cru dans le livre « L’Emile » de Rousseau précepteur.
Selon l’opinion populaire, beaucoup se plaignent de la grossièreté des migrants suivant l’enseignement professionnel ( TITTYTANMENT). Pourquoi ne pourrait-on inclure dans les programmes un cours de civisme dans le versus politesse et respect pour cette nouvelle population belge qui s’adapte si mal (par exemple TSHISEKEDI et Matonge fin décembre 2011, nous ne sommes pas le Congo, et les commerçants n’ont pas à avoir leur vitrine brisée parce que KABILA a été élu). Pour reprendre encore MICHEA : « l’enseignement du savoir-vivre doit être enseigné de toutes les façons convenables »(p.47) Il ne s’agit plus de conscientiser, de former et d’intégrer MAIS de driller, de quadriller, de réprimer ; le programme pour tous est la soumission inconditionnelle aux ordres, une incompatibilité totale avec la patience de la formation, du dressage humain au lieu de formation à la logique, à la dialectique et à la rhétorique : créér un mur-fossé et non des ponts et entretenir cette rupture par des cités dortoirs hors des villes, en banlieues. Ces jeunes révoltés casseront et brûleront les voitures de leurs cousins sans idéal de révolution, juste du pillage (puisqu’ils sont conditionnés à la consommation) et ces hordes de barbares justifieront ainsi la répression des forces de l’ordre de Sarkozy bling-bling pour protéger les citoyens pauvres, peureux et bien pensants. Ce que le capitalisme cynique n’a pas prévu, c’est la récupération de ces 8/10 de loosers par une nouvelle forme de mafia religieuse : les intégristes extrémistes. On n’a jamais dit que l’instituant suscité ne pourrait être pire que l’institué.. Nous allons vers des guerres Nord-Sud entre les djihadistes manipulés et St Michel avec la floraison des mouvements extrémistes de droite dans les mondes occidentaux.
Pour résumer et faire le point sur les deux possibilités d’école, celle des pédagogues progressistes (Freinet, Dewey, Decroly, Meirieu,…) et celle de l’élitisme conservateur, on peut sans conteste dire que la vague de 68 est retombée platement dans l’informité de l’océan et que les réactionnaires ont aujourd’hui gagné sur toute la ligne avec l’instauration de la sociale duale. Cela ne veut pas dire que les pédagogues étaient tous des rêveurs utopistes mais plutôt que les conservateurs étaient sans scrupule envers le mal-être du plus grand nombre. Les réformes pédagogiques de la naïveté libertaire ont glissé en leur contraire avec le cynisme du néolibéralisme.
J’ai profité de l’ascenseur social par hasard mais dans ma classe d’humanités techniques, d’autres que moi étaient tout aussi capables. Le verrou est à présent tombé. Je considère le témoignage de mon histoire de vie en filigrane comme un hommage envers mes formateurs, ces maîtres psychopédagogues que certains instituteurs décrient si facilement . Peut-être la fleur de la culture renaîtra-t-elle de ses cendres lorsque le marché se sera autodétruit ?



En conclusions provisoires pour le changement personnel
Un ami musulman, me sachant militant laïque, m’a dit un jour : « Toi, tu finiras ta vie musulman ! ». Je doute toujours de tout mais j’ai pris cela comme un compliment à ma tolérance. Je ne peux conclure cet état des lieux partiel et partial autrement qu’en rappelant que le concept « évaluation » signifie vérifier si un objectif est acquis ou non et non les jugements de valeur qui comme la chienlit gagnent du terrain, y compris dans les milieux intellectuels. Moi, j’ai échoué mais je me suis bien amusé – sans sacrifice – dans mes attitudes et comportements instituants.
Les évaluations sur le plan interpersonnel
Nous vivons à une époque donnée et nous trouvons normal tout ce qui s’y passe, disait Heidegger, parce qu’un discours lénifiant des politiques (ils sont tous dans la même non marge de liberté) abuse de la crédulité des citoyens honnêtes qui feront demain la gloire de l’extrême-droite, ce pourquoi je suis tellement démonté contre le parti socialiste car les autres n’ont pas l’hypocrisie de se revendiquer des travailleurs puis de former un gouvernement de centre-droite sous la direction du chef de guerre de la Wallonie.
Mon maître pédagogue Gilbert De Landsheere, dans son « Précis de docimologie » (la science des évaluations), insiste sur l’extrême subjectivité de nos évaluations et décisions. A titre expérimental, il prend une dissertation moyenne, efface les notes et signes d’identification de l’auteur, photocopie le document et le remet à 20 évaluateurs différents. Dans les épreuves corrigées, les notes s’étalent de 4/20 à 18/20 et c’est avec de pareils outils partiaux que nous jaugeons parfois l’avenir d’un enfant ; ce sont nos préjugés. Notre travail de formateur est de renvoyer aux autres ce que l’on nous a à nous-mêmes donné. Ainsi ai-je pris avec moi un jour que je suivais des cours de troisième cycle à l’université, un stagiaire autodidacte brillant mais complexé, pour qu’il écoute le discours d’un prof de l’université matheux bien précis et qu’il se rende compte que tout était relatif.
Que peut-on faire si on doit rendre un verdict ? Sinon écouter notre ressenti qui ne raisonne pas mais crie. Par exemple, cette étudiante qui se vante trop ou cette autre qui a mis quelques secondes d’hésitation avant de répondre, etc. Nous pouvons nous interroger sur l’autre face du ressenti pour comprendre le pourquoi du comment. Par exemple elle se vante de ses connaissances livresques car elle manque d’expérience ou encore elle hésite parce qu’elle vient de se faire tanner par son copain. Peu importe car les gens qui croient avoir du pouvoir sont en général souvent méchants vis-à-vis des plus jeunes. Donc si je veux malgré tout faire du tort à ce jeune « en mon pouvoir », nous devrions nous interroger sur ce que nous gagnons au juste pour notre illusoire ego : s’élever en l’écrasant, de la vanité,… qu’il y ait une remédiation et non un jugement sans appel, que toute évaluation serve à quelque chose et non à asseoir cette injustice d’un règlement de compte inconscient par victime interposée.
L’évaluation au niveau social
Nous ne sommes plus dans une civilisation du bien-être mais dans une société du profit exacerbé. On traite les services publics, en particulier l’enseignement comme des produits quantitatifs, la notion de service public est mangée par un management de la quantité et de la terreur (cf. les suicides au travail) au détriment du qualitatif. Il n’y a pas que la démesure démontée par les écologistes du réchauffement climatique et des atteintes à la biodiversité, iI y a aussi dans les nuisances de la globalisation économique, le creusement des inégalités.
« Les deux cent vingt-cinq personnes les plus riches du monde possèdent une fortune égale aux revenus cumulés de deux milliards et demi d’êtres humains. L’économie spéculative représente 97,3% des fluctuations financières alors que seulement 2,7 % correspondent à des biens et des services réels (…) Il manque cruellement une expression politique à la colère qui gronde dans le monde du travail face à la régression sociale et juridique, à la dégradation des conditions de travail, à la montée de la précarité et du mal-être. Nous sommes aujourd’hui à un tournant. La souffrance au travail, expression individuelle et personnelle d’une colère rentrée, ne demande qu’à alimenter le feu de la révolte contre un système globalitaire. »[16]
Selon Jean Ziegler, pour relever les défis vitaux de l’humanité, à savoir : la faim, l’accès à l’eau potable, les soins de base, le logement, etc., il faudrait, selon avec les estimations du programme des Nations Unies, 40 milliards de dollars/an alors que les sommes dépensées par la publicité sont de 400 milliards, le trafic des stupéfiants,400 milliards et l’armement ; 800 milliards. Merci Obama ! De plus, aujourd’hui on récupère les termes ; par exemple SARKOSY cite la politique de gouvernance d’Edgar MORIN[17] qui lui râle car son projet et lui parle bien d’une société de la suffisance et du bien-être qui cultive l’art de vivre ici et maintenant. On parle aussi de « révolution » pour désigner le pouvoir néolibéral et la globalisation économique et de « résistance au changement » pour ceux qui proclament qu’un autre monde est possible. Pourtant si l’on n’invente pas une nouvelle vague instituante, je crains pour nos enfants qu’il y ait une implosion du capitalisme fou et la fin du monde que nous connaissons.
Cela dit, bonnes fêtes de fin d’année si ce sont les dernières.
Jean-Marie Lange, formateur d’adultes au GAP, ce 28.12.2011





[1] ROUSSEAU Jean-Jacques, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, Paris, Flammarion, 1971, p.146.

[2] « A Durban, lors de la conférence mondiale contre le racisme organisée par les Nations-Unies du 28 août au 7 septembre 2001, les forces antiracistes du monde entier s’étaient donné rendez-vous au cœur de l’Afrique du Sud pour faire reculer le racisme (…) Je suis arrivée en rêvant d’y trouver les forces progressiste qui permettraient de construire un monde plus juste au XXI° siècle. Et je suis tombée nez à nez avec des fanatiques voulant nous ramener au Moyen Age. Plus exactement aux années trente. Loin d’être un moment de communion antiraciste, le forum des ONG de Durban s’est révélé être un vrai foyer d’agitation et pro-islamiste. » FOUREST Caroline, La Tentation obscurantiste, Paris, Le Livre de Poche, essai, 2009,p.17-18.
[3] PESSIN Alain, L’imaginaire utopique aujourd’hui, Paris, Sociologie d’aujourd’hui, PUF, 2001, p.35 et 33.

[4] L’analyse institutionnelle dit en substance que l’histoire ne peut être réduite aux seuls dominants (nommés INSTITUES) mais qu’elle est la résultante dialectique du conflit avec les contestataires/révolutionnaires utopistes (nommés INSTITUANTS) ; pour sortir du conflit, on utilisera - s’il y a un réel rapport de force - la négociation pour trouver un compromis (nommé INSTITUTIONNALISATION). Les révolutionnaires d’hier deviendront à leur tour des institués et une nouvelle vague instituante renaîtra, ce qui fait en principe progresser l’humanité. Notons que par exemple, sans cibler les personnes, les socialistes d’hier sont les dominants d’aujourd’hui en Wallonie et cela pour le profit néolibéral et au détriment des travailleurs qu’ils étaient censés défendre. J’emploie la parrêsia de Michel FOUCAULT.

[5] « La mission de l’enseignement est en effet de transmettre, en même temps que des connaissances spécialisées, une culture générale qui permette de comprendre notre condition et de nous aider à vivre ; cette mission est impensable et impossible si l’on ne favorise pas chez l’élève une façon de penser libre et ouverte, ce qui inclut de s’ouvrir aux grands problèmes qu’affronte tout être humain, de saisir les complexité du réel. » MORIN Edgar, Mes philosophes, MERINGAC, Germina, 2011, p.66
[6] HICTER Marcel (Haneffe 1918-Momalle 1979) in « Pour une démocratie culturelle »(1980)
[7] HIRTT Nico & de SELYS Gérard, Tableau noir. Résister à la privatisation de l’enseignement, Bruxelles, EPO, 1998, p.71.

[8] « (Aujourd’hui) avons-nos vraiment affaire, comme le veut l’interprétation dominante, à de jeunes militants civiques, révoltés par le peu de place et de considération que le système capitaliste réserve à la culture et aux êtres humains ? Ou ne sont-ils déjà, au contraire, pour un nombre croissant d’entre eux, que de simples consommateurs, difficiles et chicaniers essentiellement désireux d’obtenir au meilleur prix les marchandises que le système propose ? (Dans la terminologie de l’European Round Table et donc dans la pratique de la Commission Européenne, l’élève est devenu un « client » et le cours « un produit ». De nombreux parents d’élèves ont déjà parfaitement assimilé cette idée moderne.) » MICHEA Jean-Claude, L’enseignement de l’ignorance et ses conditions modernes, Paris, Climats, Flammarion, 2009, p.60.
[9] LANGE Jean-Marie, Revalorisation de l’enseignement technique et pédagogies émancipatrices, Paris, L’Harmattan, 2002.
[10] ORWELL Georges, La ferme des animaux, Paris, Folio, 1945, 2011, p.62-63.
[11] Ancien conseiller de Jimmy CARTER et fondateur, en 1973, de la Trilatérale « club encore plus impénétrable que le Siècle, qui regroupait en 1992 environ 350 membres américains, européens et japonais » et qui constitue « un des lieux où s’élaborent les idées et les stratégies de l’internationale capitaliste. » Bitoun P. Cité par Jean-Claude MICHEA, L’enseignement de l’ignorance et ses conditions modernes, Paris, Climats, Flammarion 2006, p.42.

[12] Rapport du 24 mai 1991. Cité dans Tableau noir (ibid.) de de SELYS et HIRTT. Ce petit livre indispensable reproduit abondamment les textes que la Commission Européenne, l’OCDE ou l’European Round Table (l’un des lobbies communautaires les plus discrets et les plus efficaces dont Edith CRESSON était la passionaria infatigable) consacrent, depuis quelques années à définir les « ajustements culturels » exigés par la réforme capitaliste de l’école. Comme ces rapport ne sont pas destinés à être lus par le peuple souverain, les auteurs s’y expriment avec un cynisme tout à fait stupéfiant. » MICHEA J.C., ibid. bas de page 44.

[13] MICHEA J.C., ibid. p. 44-45.

[14] ROUSSEAU J.J. Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité par mi les hommes, ibid., p. 251
[15] « Ce que la machine peut inculquer c’est, au mieux, un savoir coupé de ses supports affectifs et culturels et par conséquent privé de sa signification humaine et de ses potentialités critiques. Dans son principe, il n’est pas différent de celui qu’un dressage habile pourrait « enseigner » à un animal. Mais on sait bien que « les milliards de Bill Gates sont nés, entre autres, de cette petite lumière imbécile qui s’allume dans le crâne d’un ministre dès qu’on prononce devant lui les mots ordinateurs, informatique ou modernité »(Charlie-Hebdo, 17.9.1997). Est-il utile de préciser que cet article de Philippe Val est consacré à Claude Allègre ? ».(MIRCHEA, ibid., p.45).
[16] De GAULEJAC Vincent, TRAVAIL, les raisons de la colère, Paris, Seuil, 2011, p. 316-317.

[17] « Nous ne voulons pas fonder un parti nouveau, ni nous rallier à un parti ancien, mais nous souhaitons que s’opère une régénérescence à partir des quatre sources qui alimentent la gauche : la source libertaire, qui se concentre sur la liberté des individus ; la source socialiste, qui se concentre sur l’amélioration de la société ; la source communiste qui se concentre sur la fraternité communautaire. Ajoutons-y la source écologique, qui nous restitue notre lien et notre interdépendance avec la nature et plus profondément notre Terre-mère, et qui reconnaît en notre soleil la source de toutes énergies vivantes. Nous souhaitons que les partis politiques actuels, dont les ressourcements sont taris et se sont de surcroît fossilisés, acceptent de se décomposer pour une recomposition qui puiserait conjointement aux quatre sources. » MORIN Edgar, HESSEL Stéphane, Le chemin de l’espérance, Paris, Fayard, 2011, p.60.

jeudi 1 décembre 2011

Dialectique -n°35 sept-oct.2011

Le JUSTE MILIEU du META-point de vue
Prologue
« Faut-il taire un désaccord ou une divergence de point de vue par fraternité ? »
Mais bien sûr, puisque cela est du vent ! En effet,; si nous avions la possibilité d’accéder à l’objectivité pure, cela pourrait être très différent mais nous savons que cet état est impossible car il y aura toujours les prémisses du chercheur de vérité. Au-delà de distinguer des faits concrets et argumentés de simples points de vue ou opinions subjectives, il faut plutôt, pour tailler notre pierre, nous interroger sur notre illusoire représentation. « Nous ne voyons pas le réel, mais seulement la représentation que nous nous en faisons » dit EPICTETE.
Donc, pour le béotien qui n’est nulle part sur le chemin de ses propres remises en question (les seules valides et non véridiques), poser une parole à partir d’un point de vue est trop souvent une évaluation de l’autre basée sur nos préjugés, nos jugements de valeur (cf. première partie). Si je dis à une amie « je n’aime pas ton pull !», cela signifie in fine inconsciemment que je veux lui faire de la peine, la rabaisser car comment pourrais-je m’imaginer l’arbitre du bon goût. L’adage est connu : « tous les goûts sont dans la nature ! ».
Par contre, si nous renversons la phrase en son contraire, avec l’éclairage préalable de la fraternité, cela change tout car nous allons alors distinguer l’autre de son idée/acte. Evidemment au niveau de l’impact émotionnel provoqué chez l’autre, ce n’est pas du tout la même chose de dire en substance « tu es stupide ! » ou le contraire « tu es estimable mais j’ai un autre point de vue tout aussi subjectif mais argumenté sur la question ».
Ensuite nous n’allons plus utiliser la voie impérative de PORTER (cf. première partie Décision/évaluation et aide-soutien) mais l’attitude d’enquête, comme SOCRATE, en posant des questions d’éclaircissement pour mieux connaître la position d’autrui plutôt que de fournir du haut de notre fatuité des réponses à l’emporte-pièce.
« La complexité correspond à l’irruption des antagonistes au cœur des phénomènes organisés, à l’irruption des contradictions au cœur de la théorie. Le problème de la pensée complexe est dès lors de penser ensemble, sans incohérence, deux idées pourtant contraires. Ce n’est possible que si l’on trouve, a) le méta-point de vue qui relativise la contradiction, b) l’inscription dans une boucle qui rende productive l’association des motions antagonistes devenues complémentaires. »[1]
Les six attitudes définies[2] par PORTER se répartissent en 3 d’ingérence dans la vie de l’autre (les plus fréquentes) et 3 plus respectueuses de l’autre subjectivité :
DECISION est l’attitude qui en quelque sorte dit à l’autre « moi à ta place » je ferais cela, autrement dit, décider à sa place de ce qu’il doit ou non faire.
EVALUATION est l’attitude qui juge en maître du bon goût que l’on s’octroie si les vêtements, la coiffure ou le poids de l’autre sont ou non convenables. Pourtant, on dit souvent que les goûts et les couleurs ne se discutent pas.
L’AIDE-SOUTIEN est une attitude paternaliste/maternaliste qui veut faire à la place de l’autre parce que nous jugeons que ce qu’il fait est moins parfait que ce que nous pourrions faire. C’est pour cela que tant de femmes font la vaisselle avec leurs filles qui les regardent mais qui « ne sont pas assez parfaites » pour la tâche.
L’INTERPRETATION est une attitude plutôt d’émancipation de l’autre et qui cherche à s’approprier par la compréhension personnelle les données de l’autre, donc les reconnaître et non les combattre.
L’ENQUÊTE est aussi une attitude de respect, on ne passe pas à sa propre version mais on interroge l’autre pour mieux comprendre son point de vue subjectif, c’est une attitude de reconnaissance d’autrui.
LA COMPREHENSION est une attitude neutre de reformulation du discours de l’autre, c’est celle des sages zen ou de Socrate pour permettre à l’autre de trouver en lui-même ses propres réponses.
« Descends dans les entrailles de la terre, tu trouveras la pierre de l’œuvre » disent les alchimistes, on peut traduire cette métaphore par « descends en toi-même et trouve la base pour construire l’homme que tu es déjà ». « Ce qui est haut est ce qui est en bas »dit Hermès.
De même, les exégèses de la Torah, dans la cabale, nous indiquent « tu verras le monde en mouvement »(développement, renouvellement) et non comme un cliché statique. Tout est mouvement, peu importe l’orientation de s’élever ou de chuter, la marée basse du croissant lunaire avant la marée haute de la pleine lune où il faut bon semer, l’illusion de l’être de la personnalité avant la conscience du non-être. Nous sommes tous sur un chemin mais certains sont toujours dans la matière qui est subjectivité de notre raison, la table n’est pas un solide mais une combinaison d’atomes en mouvement. Le savoir est une accumulation de connaissances qui enferme l’art de se connaître. « définir, c’ est ériger un mur de concepts » . Regardons nous tous comme de l’énergie en mouvement au lieu de croire en la validité de nos personnalités construites. « OM MANE PADME OM », la première et dernière syllabe du son prononcé est en fait une vibration intérieure. Ecoutons la musique des mots que nous pouvons produire pour une évolution créatrice de notre humanitude et du vivant en général.
Toute chose porte en elle son propre contraire, dit HERACLITE, le maître philosophe de la dialectique (qui se rapproche assez du zen) qui s’oppose à la pensée dualiste aristotélicienne du « Ou …ou bien ». Cette pensée du matérialisme et de la causalité linéaire (stimulus-réponse) est assez répandue. Pourtant « nous n’existons pas face au monde parce que nous sommes le monde », dit le philosophe Martin HEIDEGGER. Nous cherchons des causes (ou des responsables) externes pour comprendre nos mal-êtres alors que nous sommes des phénomènes subjectifs observant avec des outils tout aussi subjectifs (le regard de l’œil est biaisé par ce que notre cerveau nous invite à voir) c’est-à-dire d’autres subjectivités. En effet, l’œil n’a pas la capacité de se regarder lui-même observant.
Selon la gestalt (Psychologie de la forme), le monde est complexe et lorsque nous regardons par exemple un tableau d’un primitif flamand, nous voyons une figure (par exemple l’autoportrait du peintre) sur un fond décoratif. Mais nous pouvons tout aussi bien changer la focale de nos yeux en donnant la priorité au fond et ainsi percevoir des détails comme la chambre du peintre et une fenêtre qui donne sur sa ville de Gand. Ou alors, avec de l’entraînement, concevoir par notre vision à la fois la figure et le fond, à la fois notre projection subjective et ce qui pourrait être la subjectivité de l’autre mais pour arriver à cela, il faut nous détacher de la certitude que nous voyons la vérité.
La personnalité n’existe pas, elle est construite par notre cerveau en identification ou en rejet de nos modèles parentaux et de notre bain culturel. L’objectivité de même n’existe pas, les chercheurs honnêtes tendent vers le plus d’objectivité possible mais il y aura toujours les prémisses subjectifs du petit enfant sensible que fut le chercheur scientifique. Comment serait-il possible de raisonner sans se séparer de l’objet de notre observation ? Nous croyons à la réalité de ce que nous voyons parce que nous pensons que nous sommes le sujet qui s’objectifie dans l’histoire de ce qu’il vit. Or, chaque fois que nous formulons une hypothèse, nous sommes dans le monde symbolique ou imaginaire, un « rêve éveillé » dirait FREUD.
Mais à l’échelle du cosmos, qu’est ce que « JE » ou « NOUS » ? Un pet de mouche sur une toile cirée ? Une fourmi sur la pente d’un volcan, elle-même minuscule lorsqu’elle regarde Sirius, petite poussière dans l’immensité du cosmos ?
Nous sommes de fait une absence absolue qui rêve comme Lao-tseu qu’il est un papillon. Sommes-nous Lao-tseu qui démontre, réfléchit et comprend son caractère hautement éphémère. Sommes-nous Lao-tseu qui rêve du papillon ou le papillon qui rêve qu’il est Lao-tseu. Lorsque nous nous éveillons, c’est comme une bulle de savon qui explose car le rêveur et le rêvé ne peuvent exister que dans le rêve.
Il nous faudrait cesser d’accumuler des connaissances pour à la place comprendre que si le rêveur cesse de rêver, il n’est plus le rêveur, il est non être et cependant il est.
Le zen [3] est une méditation qui sort le bouddhisme de sa gangue religieuse. Le Bouddha nous dit : « Lorsque tu as passé la rivière, pourquoi porter ta barque sur ton dos ? » Soit une métaphore pour se dépouiller et se délivrer de toutes nos connaissances se voulant objectives, pour sauter dans le vide et arriver à sentir la vie. La méditation implique deux phases : SAMATHA ou le calme de l’entité, c’est rester assis en zazen sans bouger et surtout sans penser en se concentrant sur la stabilité de la posture et sur le souffle qui va et vient, notre cerveau peut alors se mettre en stand-by, probablement chacun à sa façon.
Mon entité voit des aurores boréales vert clair sur un fond bleu nuit et j’ai des picotements à la fontanelle, je respire et entend tout les bruits de la vie autour de moi (les oiseaux comme les voitures ou les borborygmes de mon voisin). La seconde phase est VIPASSANA ou la vision profonde. Ces états de conscience sont aujourd’hui corroborés par le cognitivisme, on peut atteindre des états modifiés de conscience autres que la transe religieuse qui elle est plus une excitation mentale, le zen ou le yoga étant à l’opposé un arrêt des mots et des images et de l’excitation cérébrale : « Les mots ne sont que les parois d’un vase qui n’existe ultimement que par sa vacuité ».
Nous avons un bol mnésique que nous remplissons de concepts mais aussi de préjugés et de normes et lorsque ce bol est vide, nous croyons encore que sa texture est pleine de matière alors que les atomes le constituant sont en grande partie du vide et du mouvement.
Paul RICOEUR parle dans son œuvre de l’interprétation (une attitude plutôt d’émancipation de l’autre et qui cherche à s’approprier par la compréhension personnelle les données de l’autre, donc les reconnaître et non les combattre) ; c’est aussi le travail du formateur en histoire de vie que je fus dans une autre vie : trouver un sens métaphorique à un récit dont l’essentiel est masqué parfois à l’insu de l’individu. C’est aussi ce que l’on cherche dans les autobiographies par l’herméneutique, lire entre les lignes car un message peut avoir plusieurs sens. Il en va de même des histoires que nous nous racontons sur nous-mêmes, nous lions des évènements fortuits (nous lions la sauce) et nous rationalisons le vécu de façon dualiste avec fort peu de remise en question sur nous-mêmes. Pourtant, si nous voulons désocculter ce mécanisme d’aveuglement de notre cerveau trop protecteur, nous pouvons, par la méditation non religieuse du zen (rien à voir avec celle de Jean de la Croix), voir partiellement notre propre chemin d’errance ainsi que nos côtés ombre et les accepter car nous sommes ce que nous sommes et rien d’autre.
La vérité n’existe pas, il n’y a pas d’objectivité absolue mais des subjectivités relatives. Par exemple, si dans une histoire de vie, quelqu’un exprime sa souffrance récurrente d’avoir été violée dans sa jeunesse, peut-être l’acte criminel n’a-t-il jamais eu lieu, cette violence peut avoir été vécue ou fantasmée, le passé est passé et parfois il change les formes d’un vécu douloureux, mais en tous cas, il y a bien une souffrance réelle qui s’exprime parfois par métaphore et déplacement.
La méditation (dhyana) n’a pas besoin d’exotisme oriental, elle peut se traduire en recherche de la pleine conscience de l’instant, une vision intuitive dans une vivacité d’esprit. Notre conscience non objective mais sensitive et subjective se joue dans l’ici et maintenant que trop souvent nous négligeons. Le futur n’existe pas, nous pouvons mourir à la minute et le passé est souvent un passé recomposé et réinventé avec des liens autocollants ; par contre, l’instant est.
Mc Luhan évoque l’hémisphère gauche analytique du cerveau plus développé chez les hommes (Yang, animus) et l’hémisphère droit poétique et systémique plus développé chez les femmes (Yin et anima). Quel que soit notre genre sexuel, nous avons bien sûr les deux hémisphères mais celui qui est le plus important est bien le subjectif, le cerveau droit qui, après une analyse logique du gauche, permet le choix et donc affirme de fait sa supériorité subjective sur les ordinateurs (calculettes perfectionnées) c’est celui qui au-delà des formations mentales conditionnées permet la créativité, la vision globale d’un phénomène, l’anticipation, la vue de l’ensemble de la forêt et non la centration analytique sur un seul arbre.
Dans le monde de l’éducation, on dit que les filles sont supérieures par leurs possibilités de concentration sur une tâche mais j’ajoute qu’elle sont aussi supérieures sur le plan de la vision globale et de l’éveil d’une conscience spirituelle (pas nécessairement métaphysique) même si depuis des années, elles sont brimées et poussées à intérioriser une quelconque infériorité dues à nos cultures.

« Les gens s’inquiètent souvent à l’idée que, s’ils relâchent leur prise sur le manque et l’avidité, leur désir disparaîtra et qu’ils se retrouveront paralysés et catatoniques. En fait, c’est exactement le contraire qui se produit. C’est l’état d’esprit inattentif, inconscient qui est engourdi, car il est enveloppé d’un épais cocon de pensées vagabondes, de préjugés et de ruminations solipsistes. A mesure que l’attention vigilante croît, l’appréciation des composants de l’expérience se développe. Le but de la présence/conscience n’est pas de désengager l’esprit du monde phénoménal ; il consiste à le rendre capable d’être pleinement présent au monde. L’objectif n’est pas d’éviter l’action, mais d’être présent à ses propres actions, de telle sorte que le comportement devienne progressivement plus sensible, plus responsable et plus conscient. »[4]
Lorsque les femmes se détachent des artifices de la vie moderne, elles ont plus de facilités à être authentiques ; à être elles-mêmes avec l’expression de leur ressenti.
On pourrait caricaturiser les hommes comme des « mentalistes » obsédés par la raison et les femmes avec le non-agir (de la pensée obsessionnelle mais non du faire ménager) mais avec une meilleure compréhension des phénomènes. Les hommes accumulent des connaissances, les femmes aussi mais en plus avec une compréhension subjective plus subtile, lorsqu’elles ne sont pas inhibées par le dressage-éducation qui leur fait croire à une quelconque infériorité (Le Coran ?). Les hommes sont agressifs, dualités et infatués, les femmes sont de fait plus dialecticiennes et plus sensibles. Mais que nous soyons homme ou femme, nous sommes cachés à nous-mêmes par la persona, par le JE que nous avons construit. Après Bodhidharma fondateur du zen, le sixième patriarche HUINENG[5] transforme l’ancienne sagesse « matérialisée » par une modification d’un sage adage disant que sans cesse nous devons enlever la poussière de notre brillant miroir. HUINENG nous dit qu’il n’y a pas de poussière, ni de miroir et donc qu’il faut arrêter cette croyance au perfectionnisme (l’Idéal du moi) du polisseur de miroir, il faut juste s’arrêter et abandonner nos hardes, se débarrasser de toutes nos certitudes : « Quand j’ai faim, je mange ; quand je suis fatigué, je dors »(comme dans les besoins d’EPICURE).
Sur la ligne du temps, le présent n’a pas de durée, il est un point permettant une autre dimension que l’horizontalité temporelle (du bébé à la mort), la verticalité naissante de l’Eternel présent, l’amorce d’une équerre qui coupe le SAMSARA[6] de l’existence temporelle ainsi que, par le compas, une perspective de spirale différentes du cercle de l’espace courbe.
Le point du présent (nirvana) est la clé pour ouvrir la porte de l’intuition du tout, de l’espace universel à l’extérieur (cosmos) et à l’intérieur de nous. Notre particularité est illusoire tout comme notre représentation gauchie par l’œil-cerveau de ce qu’est notre universalité. Nous sommes dans un monde apparent où nous ne sommes pas, c’est-à-dire juste des apparences phénoménales.
Un des premiers livres parlant du zen et du tir à l’arc disait qu’il fallait faire un avec la flèche, la cible et le tireur mais s’il n’y a pas d’objet (autre que nos représentations), il n’y a donc pas non plus de sujet ?
Pour faire le lien avec notre réflexion principale, on pourrait dire que la négation de chaque membre de tout couple d’opposés, la dualité d’un couple de non-entité ne peut être mais paradoxalement bien la relation. Il nous faut donc dépasser les contradictions apparentes pour – comme nous disions avec l’exergue de MORIN – trouver le méta-point de vue alliant les pôles que l’on s’imagine opposés alors qu’ils sont tout autant complémentaires sur une autre échelle de perception.
Après une marche à l’azimut dans l’Hertogenwaldt (fagnes de Jalhay à Malmédy),je découvre une clairière à la lisière d’un bois donnant sur un paysage magnifique. Je roule ma veste en boule pour me faire un coussin d’assise stable et je m’adosse au tronc d’un vieil arbre, le temps est splendide. Dans mon champs de vision, je vois au centre un jeune arbre qui pousse à l’ombre de ses pairs de la forêt des vergers. En effet, il existe encore des pâtures avec arbres fruitiers et des haies où des colonies d’oiseaux et de petits mammifères (hérissons par exemple) prolifèrent malgré le grand prédateur, les primes de l’Europe à l’arrachage de ces futilités de régulation naturelle.
J’entre dans ce premier état modifié de conscience que l’on nomme SAMATHA. Je suis agréablement assailli par de multiples odeurs, celle des fleurs des champs, de l’humus des bois et du fumier sur le pâturage, par les chants des merles et le bruissement des feuilles sur les arbres car il y a un léger vent que je n’avais pas perçu.
Atteignant Vipassanâ je m’imagine de petits filaments lumineux (comme de fins coups de crayon) reliant les diverses composantes de cette nature banale ; le vent qui allié des insectes transporte les semences, les racines du petit arbre qui plongent dans le substrat terre pour l’eau et les nutriments. D’autres ficelles s’élèvent des branches vers le soleil car celui-ci est nécessaire pour la photosynthèse des feuilles (l’apport en oxygène dans la nature) ; sur les deux côtés, la forêt décrit un croissant et certains des arbres poussés plus tôt semblent vouloir écraser les plus jeunes , les éloigner du soleil, le conflit est aussi partout. Je découvre ainsi (aussi au-delà des mots sans âme) l’INTERDEPENDANCE de la nature. Chaque partie de ce paysage vit par réaction, compétition ou coopération et combinaison avec les autres : la terre, l’eau, le souffle de l’air et le feu chaleur du soleil. Dans l’herbe à mes pieds, une araignée tisse sa toile entre des brins d’herbe effilés. Je me secoue et à regret, je retourne à mon « réel » habituel. Je pense aux minorités ethniques survivantes de notre planète qui vivent en harmonie avec la nature en la travaillant (les rizières) à leur rythme ou en n’y travaillant pas (comme les Yanomami du Mato Grosso qui travaillent moins de 3h/jour)[7].
Je pense aussi à tous ces couples occidentaux enfermés dans leur cage invisible de tracas économiques et qui se déchirent de ce trop peu dont ils disposent pour vivre. Je me lève, reprends ma veste et regarde une dernière fois ce paysage qui simplement est. Et tout a repris sa place, je ne vois plus les filaments de mon imaginaire ; l’arbre, la forêt et les vergers sont identiques à ce qu’ils étaient. Mais je compatis avec la misère humaine de la psyché. Tous ces couples qui devraient rire et jouir et qui s’engueulent parce que simplement chaque partenaire est malheureux, quel gâchis.
« La possibilité d’un intérêt empreint de bienveillance pour les autres, présent chez tous les êtres humains, est d’ordinaire mélangée au sentiment du moi et se confond ainsi avec le besoin de satisfaire son insatiabilité de reconnaissance et d’auto-évaluation. L’empathie spontanée qui surgit quand on n’est pas emprisonné dans les réflexes habituels ne s’accompagne pas d’un besoin de réaction du destinataire. C’est l’angoisse concernant la réaction – la réponse de l’autre – qui est la cause de notre tension et de notre inhibition dans l’action. Quand l’action est accomplie sans qu’intervienne la mentalité de transaction commerciale, il peut y avoir détente. »[8]
La notion de mal n’a rien avoir avec SATAN, BUSH ou un autre fou de pouvoir ; il s’agit du Je-concept de notre individualité. Lorsque notre colère se transforme en haine agissent notre amour-propre, notre fierté, l’envie, le désir, la possession, la domination, bref notre égotisme. Le mal-être de la vie phénoménale est un rêve éveillé qui se déroule sur la surface plane de la temporalité où toute action est suivie de sa réaction, ce sont les interinfluence qui forment notre karma non de vie future mais de notre actualité. Le sage éveillé pense et vit verticalement, il comprend les enclenchements qui font que Y frappe X parce que X a frappé au préalable Y, dans un autre contexte. En Analyse Transactionnelle (AT), lorsque nous évoquons un évènement, nous y mettons les majuscules et les points des phrases où cela nous arrange pour que la séquence nous décrive en victime. Par contre, le sage sera celui qui percevra le cercle complet de ce mauvais karma. Percevant l’ensemble, il ne répond pas à la provocation de la séquence et pour ainsi dire interrompt la réaction en chaîne.
Le silence est d’or mais ne pas parler est complicité. Par éthique, nous devons dire le non-dit mais avec un non-verbal empathique (par le sourire et un ton calme), et dans le respect de l’autre (sans accusation, ni jugement de valeur), avec la candeur de notre authenticité refusant les jeux par exemple – dans la position de médiateur - en posant des questions qui permettraient aux protagonistes d’envisager d’autres points de vue ; la compréhension consiste à devenir conscient de ce qui est déjà compris.
Attention cependant à nos énormes différences culturelles : si un « méchant » soldat GI crie sur un civil vietnamien en temps de guerre, celui-ci sourit (signe d’embarras dans sa culture), ce qui va faire monter la colère du soldat, ou encore s’il lui tourne le dos, signe pire que le conflit car marquant le déni (du genre « tu n’existes pas ! ») cela devient terrible pour l’interaction. C’est un peu similaire lorsque, lors d’une thérapie familiale, un des partenaires commence une phrase sans la finir en disant « j’ai compris » ou en tournant son corps (son regard) vers quelqu’un d’autre. Cela est plus que culturel ; si vous tournez le dos à un gorille au dos argenté et que vous partez ainsi, c’est certain qu’il va passer à l’acte.
Donc pour revenir à la simplicité, parler calmement d’adulte à adulte (pas avec le gorille non) sans jugement ni accusation serait le principal conseil sociologique pour un conflit de couple tout comme pour un viol. Lors d’un séminaire sur les stratégies de lutte non-violente contre un excité sexuel (souvent un homme), une stagiaire avait proposé de se laisser tomber par terre et de mimer une crise d’épilepsie , avec bave et tout, ce qui doit également être déconcertant.
Les femmes et les hommes s’unissent dans la joie pour partager le plaisir sexuel et faire des projets communs dans la sécurité de leur équipe, notamment créer un nid sécure pour une progéniture qui s’envolera tandis qu’ eux continueront à vivre souvent hélas trop longtemps ensemble. Ceci est un sous-problème pour la suite car on est pendant 20 ans enfant (grand adolescent), adulte les 20 autres années puis l’autre moitié de la vie, on est considéré comme vieillard à cause de quelques rides alors que tous gardent un cœur de trente ans. Il faudra que les générations futures se penchent sur cet aspect mais envisageons une chose à la fois, soit le premier contact de couple et de « collaboration ».
Quelles que soient les cultures, elles sont en retard sur la réalité de la modernité. On ne peut pas aujourd’hui, en profitant de l’émotion du mariage, énoncer dans le livret des normes et des valeurs dépassées en niant le réel. NON la femme n’a pas pour tâche le bon plaisir de son époux, NON le couple ne doit plus se jurer fidélité, dépendance mais amour, estime et soutien.
En Occident, il y a des interactions du couple qui sont peut-être trop fréquentes et des moments sont nécessaires pour se retrouver seul(e). Les sociétés d’hommes et de femmes sont encore une autre dimension, par exemple se retrouver entre femmes pour sortir ensemble pour dîner ou courir les magasins. Ce genre d’accointances est probablement plus fréquente chez les femmes du sud où en faisant la lessive ou en allant chercher de l’eau, on discute, on plaisante et on rit. Indépendamment du genre sexuel, je dirais qu’il y a parfois plus d’échanges entre femmes du sud que du nord quoique, avec le courriel et le téléphone, c’est difficile à estimer.
Pour rêver l’utopie, imaginons aussi que dans les priorités de la solidarité Nord-Sud, on instaure comme chez nous un enseignement libre, gratuit et de qualité pour les études primaires ; cela serait un vrai investissement solidaire car alors les mères pourraient aider les enfants à faire leur travaux scolaires à domicile (ce que les pères font rarement) et les filles ainsi mieux traitées (que leur statut de ménagère assistante) pourraient faire des études supérieures (bac+3 par exemple) et créer avec quelques amies des mini-entreprises. S’il y à la fois dans un couple une rentrée financière de l’homme ET de la femme, c’est de fait le chemin pour l’émancipation féminine. Entre des remboursements de dettes structurelles au FMI qui étouffent les économies du sud et les corruptions des gens au pouvoir qui détournent les fonds destinés au bien-être des gens, il y a le juste milieu des petits projets de petites asbl d’aide humanitaire qui font le pari que les femmes sont tout aussi matures et responsables que les hommes.
Vacuité
Notre cerveau a inventé notre personnalité (persona dit JUNG) et recompose constamment nos souvenirs et nos représentations, dit le constructivisme de PIAGET. Ce que je crois être « je suis » n’est rien qu’une forme, une représentation égotique (narcissique). Expérience, conscience et être passent par des filtres d’enregistrement, de sélection puis d’interprétation personnelle. Rien d’objectif n’existe que la seconde où nous respirons ici et maintenant. Le centre des moyeux de la roue est vide et pourtant elle est mouvement : être est une manifestation du non-être.
Envisager le vide comme la vacuité du cosmos que nous regardons est un non-sens puisque nous faisons partie de ce que nous observons. Une partie d’un ensemble ne peut conscientiser le tout, nous dit la psychologie systémique. Il n’y a pas de vide à l’intérieur de quelque chose puisqu’il n’y a pas d’intérieur, l’observateur est dépassé par le phénomène du vide au-dedans de lui et en dehors de lui. Développons :
La clé de la compréhension du zen est dans les contradictions dialectiques vécues non comme antagonistes à la manière les marxistes (Marx, Engels, Mao, Trotski,…) mais comme complémentaires. « Cela est parce que cela n’est pas, en conséquence cela est »(thèse-antithèse-synthèse) ou encore « Je suis (ma représentation) parce que « je- ne-suis-pas », donc je suis », ou enfin « Puisque être est non-être, il est donc être ». C’est ici la prééminence de l’élément négatif sur l’élément positif (du vide au plein), un dépassement/renversement de notre système établi de valeurs. Par exemple, aujourd’hui, Jean-Paul Sartre aurait pu écrire « Le néant et l’être ». Pour la cognition, il faut saisir le concept avec son contraire pour le méta-point de vue, autrement dit au lieu de l’intellectualisation, un retour de la préexistence de la non-perception et de son contraire. Cela est sa contrepartie soit toute forme de soi absolu puisque toute vie est éphémère.
Illustrons par un exemple, je suis conscient de n’être que l’assemblage d’agrégats provisoires qui en soi développe des qualités émergentes comme les sentiments. En face, de moi un contradicteur : en moi une colère qui monte, si je peux, sans la renier, l’interroger et me rendre compte de la futilité de l’évènement, je ne vais plus répondre à l’autre de façon que moi aussi, je lui fasse un mal psychique mais je vais respirer et calmer cette inutile colère pour sourire à ce malheureux/cette malheureuse qui me provoque pour une broutille. Ne confondons pas avec l’amour pathogène chrétien, si on me frappe la joue droite, je réponds illico par un arc réflexe de ma moelle épinière car c’est alors mon entité biologique qui sera aux commandes et si je ne réponds pas à l’agression par une explosion modérée, mon organisme provoquera en moi une implosion de mal-vivre que nous identifions sans en connaître la cause comme cancer.
Pour traduire nos modes de pensée trop analytiques, c’est lorsque « je ne suis pas » qu’en un sens je peux être vrai. C’est du René DESCARTES à l’envers : je ne suis pas (que des représentations), une construction mentale constitue l’illusion du Je-concept, puis la prise de conscience profonde que non seulement je ne suis pas mais les autres et l’environnement que je me représente non plus et enfin le déclic d’accepter de faire partie de la vacuité de cela, l’entité devient un être qui ressent au-delà de ses pensées figées (Sutra du Diamant). Avec nos traditions psychanalytiques, nous dirions que nous avons tellement la trouille de l’angoisse de mort que nous faisons comme si nous étions immortels et non éphémères.
Le sixième patriarche du zen HUI-NENG élimine donc le Je-concept (persona) puis les 5 éléments des sens (SKANDAS) ainsi que les connaissances y compris les 4 nobles vérités du Bouddha du lutte contre la souffrance (sutra du cœur) jusqu’à son animalité pulsionnelle et physique pour être « vide » de toute représentation construite. Mais vide ne signifie pas néant ou rien mais vacuité de quelque chose, plasticité de quelque chose dans quelque chose. Un koan zen dit « Si ton bol est plein, comment pourrais-tu le remplir ? ». La forme (de l’être) est vacuité dit le sutra du cœur et vice versa. Une dialectique entre le monde phénoménal de notre entendement et le Vide qui est absolument tout (les atomes de la matière sont creux) car tous deux n’existent que dans le mental, c’est le SAMSARA, notre barrière de vie qui empêche le mental de se connaître/percevoir comme inconscient absolu.
Le monde corrompu dans lequel nous vivons est celui de la pensée duale (bien et mal), SUZUKI évoque « le monde spirituel de la non discrimination » ;si par exemple, la pensée rationnelle est non discrimination dans l’absolu, elle peut se compléter de la pensée spirituelle des FM athées, le méta-point de vue. Il s’agit de dépasser la discrimination de mes deux yeux et de mon mental divisé (Yang mâle et YIN femelle) pour percevoir l’ensemble de l’Autre à l’intérieur de l’entité, du mental intégral constitué par la complémentarité des contraires.
La psychologie de Carl Gustav JUNG : symbolisme et spiritualité
« Quelle absurde conception du monde et de la vie parvient à causer les trois quarts de notre misère, et par attachement au passé se refuse à comprendre que la joie de demain n’est possible que si celle d’aujourd’hui cède la place, que chaque vague ne doit la beauté de sa courbe qu’au retrait de celle qui la précède, que chaque fleur se doit de faner pour son fruit, que celui-ci, s’il ne tombe et meurt, ne saurait assurer des floraisons nouvelles, de sorte que le printemps même prend appui sur le seuil de l’hiver. »[9]
Prélude
Wilhelm REICH, Dr et chercheur allemand publia de nombreux ouvrages sur la fonction de l’orgasme et sur la liberté sexuelle (Allemagne de l’est). Vers 1933, je pense, il émigra aux Etats-Unis où il poursuivit ses travaux sur « l’orgone » mais où il fut pris pour un illuminé et incarcéré pour troubles mentaux, ce qui semble un peu normal dans cette culture pudibonde importée aux Etats-Unis par les protestants fanatiques qui construisirent, avec le capitalisme, le monde du diable. En lisant les ouvrages posthumes de Carl Gustav JUNG, on pourrait dire que s’il avait aussi émigré, son destin aurait pu été similaire. Pourtant l’Association de la Psychanalyse de Zurich (Suisse) a rejeté FREUD à l’unanimité pour reconnaître le génie de JUNG que je pense plus hardi et plus profond pour son époque et la nôtre. Ses liens avec le Véda et les Vedantas indiens ne sont pas inintéressants. JUNG cependant se déclara toute sa vie un scientifique à la recherche de notre psyché intérieure.
MANDALA réalisé par JUNG et évoquant les cités fortifiées de VAUBAN (Louis XIV) avec remparts et fossés. A l’intérieur, un grand fossé entouré d’un mur fortifié à l’aide de 16 tours et un autre fossé intérieur, ce dernier fossé entourant un château central aux tours d’or dont le centre est un temple doré : l’âme ou psyché selon JUNG.
Histoire résumée.
En 1913, au congrès de psychanalyse de Munich, JUNG développe une théorie sur les types psychologiques. Il y défend que la libido est le siège de deux mouvements : l’extraversion où l’intérêt des hommes se tourne vers le monde extérieur et l’introversion où l’intérêt du sujet se tourne vers l’intérieur. Il Classe FREUD et ADLER dans la première et lui-même dans la seconde. Il pense à la libido envisagée comme un autre soi-même et s’ouvre à l’analyse de ses propres processus inconscients.
D’abord avec réticences, il s’exerce à analyser ses propres fantasmes. Il entend dans sa tête une voix féminine qui le contredit, ce qui nous fait penser à Jeanne d’Arc (à qui Dieu disait en Hébreux d’aller bouter l’anglais hors de France). Mais le Dr JUNG n’a pas la culture d’une gardienne de moutons et formule des hypothèses à propos de cette voix qui pourrait être celle de « l’âme », au sens primitif’ et la nomme ANIMA. JUNG connaît les pièges des hallucinations et des personnalités multiples. JUNG a expertisé le florilège de la para science psychologique de son époque : l’écriture automatique ou état de transe des médiums, les rêves éveillés (Freud) et les hallucinations visuelles des spirites. A Vienne, en 1909, le psychanalyste Herbert Silberer expérimente sur lui-même des états hypnagogiques et ils échangent des courriers sur les symboles des pensées antérieures. En homme scientifique, JUNG se pose la question de savoir ce qui se passe quand on débranche la conscience (que l’on entre en méditation, sous hypnose ou lors de cette activité sous-jacente que sont les rêves).
Le 20 avril 1914, JUNG démissionne de la présidence de l’Association Internationale de psychanalyse et le 30, il démissionne de son poste d’enseignant à l’université de Zurich (rupture FREUD-JUNG). Le 10 juillet, la société psychanalytique de Zurich, par 15 voix contre une, quitte la Société Internationale de Psychanalyse pour le motif que FREUD entrave la liberté et l’indépendance de la recherche et se donne un nouveau nom : « Association de psychanalyse » dont JUNG assume la présidence. Le 24 juillet, à Londres, son exposé « La compréhension psychologique des procédés pathologiques » s’oppose à la méthode analytique-réductive de FREUD.
La vie, dit JUNG, est un phénomène qui avance vers le nouveau, il n’est pas possible de la comprendre de manière seulement rétrospective. Il reste bien sûr l’allié de Pierre JANET qui donnera les bases de la psychologie systémique de Palo Alto et de l’autohypnose. Le constructivisme, dit JUNG, cherche à établir des ponts entre notre âme telle qu’elle est et son avenir. En prenant ses distances avec les réductions causes-effets et l’analyse du seul passé, il rejoint en somme notre modernité aussi bien avec la psychogénéalogie qu’avec l’ethnopsychiatrie.
Le 1° août 1914, il écrit à Mircea Eliade qu’il prépare un exposé sur la schizophrénie, il se demande s’il ne va pas tomber dedans. Après sa conférence du 31 juillet, il apprend que la guerre a éclaté et que ses rêves ne lui arrivaient peut-être que du tréfonds de l’inconscient collectif (comme les animaux qui ont conscience des phénomènes géophysiques bien avant leur survenue). Ce pressentiment, il devait l’appeler son « grand rêve ». Dans LIBER NOVUS[10], il comprend que la guerre ayant éclaté, sa terreur de la schizophrénie individuelle était sans fondement. Il en écrit la théorisation en 1955-1956 : « Si cet investissement personnel offre les apparences d’une psychose, c’est parce que le patient intègre les mêmes contenus fantasmés que ceux qui frappent un malade mental, lequel ne peut les intégrer, mais est englouti par eux. »(Ibidem)
Dans l’esprit de JUNG, j’ai essayé d’articuler des intuitions avec des traces mnésiques, sans grand résultat après dix années de méditation zen. Je poursuis ce travail de dégagement de la pensée (ne plus penser à rien) où je vois des sortes d’aurores boréales vertes mouvantes sur un fond bleu nuit et où je ressens des picotements à la fontanelle mais je suis à mon avis trop cartésien pour atteindre un jour l’autre bord de l’excitation mentale (opposée à la méditation et à l’immobilité du souffle du yoga).
A l’université de Liège en gestalt en groupe, j’ai vécus mon premier rêve éveillé que j’affinerai par après comme formateur en psychogénéalogie « à la recherche de notre premier ancêtre », une herméneutique sur des fantasmes de ce que peut-être nous aurions pu être.
Cette première fois, comme novice, j’ai vu un homme du genre Néolithique avec des poils bruns partout, assez massif, immobile à l’entrée d’une grotte (gardien ?), les pieds légèrement écartés lui donnant une position stable, debout, un bras le long du corps et l’autre tenant une lance au repos qui serait plutôt un épieu durci ; j’ai traversé cette image comme si j’étais de l’air et j’ai senti à l’intérieure, une force tranquille, simple, capable de mobiliser l’adrénaline de l’entité mais vide de toute pensée ; cette force n‘avait pas une expression agressive mais plutôt protectrice, une simple image de ma psyché. Lorsque j’ai animé à mon tour, en psychogénéalogie de groupe des séminaires, j’ai pu comprendre que les symboles de fondement de chacun étaient différents mais procuraient tous des émotions.
Par après (avec la raison), j’ai pensé à l’ange de JUNG qu’il appelle Philémon. A partir du 17.04.1917, il pratique de fréquents exercices de vide de conscience et développe la vision d’une hallucination PHILEMON : sur un fond bleu (mer ou ciel) un personnage sous des mottes de terre qui s’effritent, dévoilant un être ailé (ange ?), un vieil homme au départ doté de cornes de taureau avec un trousseau de 4 clés.
Philémon, conscience interne est un païen qui insiste sur la différence entre le moi et l’objet observé, il incarne la connaissance intuitive des choses.
Attention à ne pas amalgamer ceci avec les croyants au KARMA (métempsycose) qui remontent dans leurs vies antérieures, ce qui m’a toujours fait un peu sourire car le narcissisme de l’égo est à peine masqué et leurs vies antérieures ont toujours été celles de personnes illustres connues dans l’histoire. Je dis souvent par autodérision que dans mes vies antérieures, j’ étais lombric et cafard.
Notons les dessins de type mandala (palais de JUNG) ; les moines tibétains dessinent souvent à l’aide de poudre de craie des mandalas d’une grande complexité sur le sol de leur temple puis dès que le dessin est fini, ils le détruisent pour signifié le côté éphémère de toute chose. Ce type de palais a plusieurs remparts et toujours 4 portes gardées par des Bouddhas transcendantaux, le mandala se lit comme un stupa, la première entrée correspondant à la base du stupa est la terre, puis l’eau, puis le souffle/l’air, puis le feu (Amitabha celui du soleil levant des japonais) ; au centre c’est Vairocana le Bouddha de l’éther (du cosmos)

L’âme/psyché
Dans la voie de l’à-venir, JUNG parle de l’esprit du temps. Il distingue l’esprit de ce temps où se justifier est superflu d’un autre esprit à l’œuvre au cœur de l’homme (l’observateur invisible) qui règne sur les profondeurs de tout ce qui fait partie du présent. L’esprit de ce temps parle d’utilité et de valeur. Empli par la fierté et aveuglé par mes présomptions, dit-il, j’ai tenu toujours l’autre esprit à distance. Mais cet esprit des profondeurs fonctionne de tout temps et sera pour toutes les époques plus puissant que l’esprit de ce temps qui change au fil des générations. Il ajoute : « l’esprit des profondeurs a soumis mon orgueil et ma fierté, la joie de mon discernement, la foi en la science, le plaisir d’expliquer et de classifier, il a éteint mon enthousiasme pour les idéaux. Il m’a fait descendre vers des choses simples et ultimes ».
C’est la fusion du sens et du contre-sens qui produit le sur-sens. Le sur-sens est le pont, la voie vers l’à-venir. Le sur-sens n’est pas sens pas plus qu’il n’est contre-sens, il est à la fois image symbolique et force.
Il est le pont du passage et de l’accomplissement, dit-il. JUNG fait un lien ici avec le ZARATHOUSTRA de NIETZSCHE : l’homme n’est pas un but mais un pontet ce que l’on peut aimer en l’homme, c’est qu’il est passage et déclin, les hommes sont ceux qui passent. L’esprit des profondeurs est lui dans une densité permanente.
Mandala de J-.M.L. Tibet 1997

L’ombre de notre temps est l’illusion pernicieuse du non-sens(contre-sens dit-il), l’image de la divinité est dans le quotidien lorsque je me regarde dans le miroir.
Le sur-sens pour comprendre une chose est un pont que me donne la possibilité de revenir sur le chemin (en avant ou en arrière) ; par contre, définir une chose, l’expliquer avec les concepts si fragiles de l’entendement de notre époque ne peut être que subjectivité. Par ce que tu dis, tu existes et non dans ce que tu dis.
« Malheur à ceux qui vivent selon des modèles ! La vie n’est pas pour eux. Si vous vivez selon un modèle, vous vivez la vie d’un modèle, mais qui vivra votre vie sinon vous-même ? »( ibid. P.231)
J’en ai fini des idéologies laïques et des doctrines. Je n’existe pas par moi mais par ma psyché et les vertus qu’elles suscitent. On peut courir sans fin après tous nos désirs mais notre âme/psyché est en nous et elle est nous et non nos représentations de persona. L’érudition seule fait partie de l’esprit de ce temps et ne suffit pas ; il faut trouver en nous le savoir du cœur, celui qui grandit en nous sans gourou ni livre. On ne peut acquérir ce savoir que par l’action de vivre sans masque : ne pas gloser sur l’humanisme mais faire de l’aide humanitaire sans en attendre un quelconque retour. C’est notre pensée et nos actions que nous devons activer, un autre type de connaissance où le bien et le mal sont liés en réunissant sens et contre-sens. L’esprit de ce temps me faisait croire à ma raison parce que j’étais professeur ; je crois toujours à la raison mais l’esprit des profondeurs m’enseigne l’humilité et l’autodérision.
« Le chrétien triomphe de la tentation du diable mais non de la tentation de Dieu d’accéder au bien et au raisonnable. Le chrétien succombe donc à la tentation. Vous devez encore apprendre à ne succomber à aucune tentation, mais à tout faire de votre propre gré, alors vous serez libres. »(ibid. p.235)
Il n’y a qu’un seul chemin et c’est le vôtre : « Sois à toi-même ton propre flambeau ! » dit le Bouddha.
Le mystère de la fleur d’or
L’âme de JUNG n’est plus celle des chrétiens mais la globalité de la psyché humaine, notamment les oppositions entre la raison consciente et l’inconscient. L’âme dans cette dimension est la médiatrice arbitre, « le mixte du même et de l’autre. », disait PLATON.
En1928, Richard Wilhelm, missionnaire protestant en Chine est connu pour sa découverte du YI-KING et propose à JUNG un ouvrage commun sur le taoïsme. Ce travail n’aura pas lieu mais JUNG, déjà féru de mandala, trouva là sa voie pour sa création psychique personnelle et son chemin d’autonomie. Il se bornera à écrire (seul) « Les commentaires sur la fleur d’or » en citant WILHELM sa source posthume. Il s’affirme comme psychologue d’une science en mouvement. La méthode scientifique est l’instrument des occidentaux et on peut ouvrir bien des portes avec elle.
Notons ici une remarque personnelle récurrente : mes amis moines zen de l’école de Thich Nhat Hanh organisent depuis longtemps des séminaires de formation pour des psychologues occidentaux et aucun d’eux n’arrive à penser que ceux-ci pourraient leur apporter un YANG qu’ils négligent avec leur YIN romantique et désuet[11], un peu comme lorsque les occidentaux colonisateurs qui faisaient de l’ethnocentrisme sans le savoir. Attention, il n’y a pas que des superstitions dans la pensée orientale, il y a bien sûr comme chez nous des croyants qui pensent que Bouddha est un Dieu et le prient pour un quelconque intérêt mesquin. Il ne faut donc pas réduire le zen ou le TAO à des mystiques exaltés vivant à la limite pathologique des ascètes et des reclus. La théosophie et le spiritisme du siècle dernier dans nos contrées sont des obscurantismes à mille lieux des sciences de la cognition.
C’est ce que pensait JUNG et que je pense également aujourd’hui comme athée se voulant scientifique dans les sciences humaines. L’occidental est pragmatique et souffre de mille maux : de la complexité des couples conjugaux, de ses maux de dos et de dents, de ses névroses et de ses idées politiques absurdes et de ses politiciens qui se revendiquent du bien-être de tous pour leur pouvoir personnel.
L’esprit ne doit pas se confondre avec le seul intellectualisme, il est la psyché (avec l’analyse, les émotions), le cœur et l’éthique, soit une certaine spiritualité mais pour comprendre le tout, il faut le réconcilier avec les genres opposés, le féminin, l’obscur, la lune, la terre (yin), le ressenti et l’émotivité plongeant ainsi également dans l’intuition. Lors de formations en créativité intellectuelle, j’ai pu vérifier qu’un chercheur qui s’endort sans avoir trouvé de solution à son problème peut la trouver au réveil car son cerveau continue à travailler « EUREKA ! ».
Que pouvons-nous faire pour changer ce monde si injuste ? Renverser les dictateurs corrompus et les politiciens à vie ? Il en reviendra d’autres ! C’est une loi de la Dynamique des Groupes(DG) : enlevez le leader et le bouc émissaire dans un groupe de rats, il en viendra d’autres ; enlevez-les aussi et ce sera pareil jusqu’au chiffre 3 : le leader, le suiveur et le bouc émissaire. Nous ne saurions non plus changer le cours des planètes ; donc comme Maître ECKHART et les taoïstes, il en va de même dans la psyché :« dans le domaine psychique aussi il faut pouvoir laisser advenir ». Nous devons comprendre le TAO comme une méthode consciente qui vise à réunir ce qui était séparé.
Nous devons percevoir les contradictions comme complémentaires au lieu de les voir comme antagonistes par un processus de développement personnel qui s’exprime par les symboles : sans YIN, il ne pourrait y avoir de YANG ; sans son côté pile, la pièce de monnaie n’aurait pas un côté face, ombre et lumière ensemble donc. JUNG a une prédilection pour les dessins de MANDALA (cercles « magiques »). Ces palais « vus d’avion » ont le plus souvent la forme de plusieurs cercles et possèdent 4 portes (ce qui rappelle la tétraktys pythagoricienne, le nombre fondamental du carré long). Les côtés « magiques » sont des projections d’évènements psychiques, l’unité des contraires est le TAO, la voie ou la lumière blanche centrale (comme dans le livre tibétain des morts). Les cercles évoquent le mouvement circumambulatoire que l’on retrouve dans les pèlerinages autour des temples en s’allongeant de tout son long à même le sol du sentier en signe d’humilité pour avancer du « pas du corps ». C’est aussi le cercle de la vie où, au centre, l’action s’inverse en non-agir ; les puissances périphériques du mental sont délaissées au profit de la petitesse du centre, c’est CELA.
On pourrait dire que le point central de lumière est le concept de deux en Un comme l’homme : « Les formes créées par le feu spirituel ne sont que des couleurs et des formes vides. »[12]. Tout le reste est projection comme le mentionne le Bardo Thödol : les dieux bienfaisants ou malfaisants sont des illusions à vaincre. Il faut se défaire de la nuisance de la chape religieuse. « Dieu doit être sans cesse enfanté dans l’âme. » (Maître ECKHART).« La pratique religieuse et la morale ont revêtu un caractère nettement brutal, voire presque malfaisant. Ce qui est comprimé n’évolue pas, mais continue de végéter dans une barbarie primitive au fond de l’inconscient »[13]
Jean-Marie LANGE 26.11.11
N.B. : A l’heure où j’écris ces lignes, le 24.11 deux coopérants européens ont été enlevés à Hombori (Mali) et le lendemain 25.11 à Tombouctou 3 (plus un tué sur place). Notre association « Groupe d’Autoformation Psychosociale »(asbl) ne veut nullement fournir un mode opératoire (comme les missionnaires catholiques qui insultent encore les valeurs de ce monde musulman bien après les colonisations). Nous voulons juste restaurer à l’homme (principalement à la veuve et aux orphelins) sa dignité en lui laissant ses choix afin que par lui-même, il apporte son réconfort à la collectivité dans une misère noire. Pars le projet fraternel de reboisement de 2000 arbres fruitiers et de conférences pour sensibiliser à la lutte contre l’excision, coutume barbare ainsi que le mise sur pied d’une bibliothèque de livres neufs d’auteurs africains loués à un prix symbolique La violence suscite la violence, refusons ce chemin infantile, faisons confiance aux hommes. Lorsque notre entité éphémère mourra, notre âme mourra aussi mais, en attendant, vivons avec une grande conscience le moment. Mon âme, je reviens vers toi, tout en restant athée pur jus, je reviens calciné et purifié comme le Phénix. La mal-vie de ma jeunesse et ma muse lumineuse m’ont ramené à toi. Remercions les moments de vie heureux. C’est avec ma compagne que je veux parcourir le reste du chemin jusqu’à la solitude de la vacuité et dans l’esprit du carpe diem et non de la mortification religieuse et poisseuse.
[1] MORIN Edgar, La méthode I. La Nature de la Nature, Paris, Points/Seuil, 1981, p.379.
[2] Les attitudes de Porter, in ANZIEU & Martin, La dynamique des groupes restreints, Paris, Seuil, 1968.
[3] « Un homme qui a atteint le niveau de la créativité, n’est plus avide. En même temps il a également surmonté sa superbe, ses illusions d’omniscience et d’omnipotence, il est humble et se voit tel qu’il est. Psychanalyse et zen transcendent tous deux l’éthique et cependant leur but ne peut être atteint sans qu’une transformation d’ordre éthique n’ait lieu. Un autre élément commun aux deux systèmes est leur indépendance affirmée vis-à-vis de toute forme d’autorité ? Une des raisons principales des critiques de FREUD contre la religion est d’avoir découvert la soumission à Dieu, un substitut illusoire pour l’ancienne soumission à un père punitif et protecteur. Dans sa croyance en Dieu, l’homme, selon FREUD, prolonge sa dépendance infantile au lieu d’assumer la maturité, ce qui signifie ne dépendre que de ses propres forces. Qu’aurait pensé FREUD d’une « religion » qui ne connaît ni Dieu ni autorité irrationnelle d’aucune forme ? Dont le but principal est de libérer l’homme de toute dépendance, de le vivifier, de lui montrer qu’il est lui-même – et personne d’autre – responsable de son destin. » Suzuki/Fromm/Martino, Bouddhisme zen et psychanalyse, Paris, Quadrige, PUF, 1981, p.139-140. Notons que ce principe est intéressant mais que l’homme croyant religieux est aux antipodes de pareilles réflexions.
[4] VARELA Francisco//THOMPSON Evan/ROSCH Eleanor, L’inscription corporelle de l’esprit. Sciences cognitives et expérience humaine, Paris, Seuil, 1993, p.176, 177.
[5] Huineng (Houei-neng) Le sixième patriarche du Chan (le zen en Chine), à l’origine de l’école du sud est né en 638 au Xinzhou (sud de la Chine). Son disciple FAHAI consigne l’essentiel de son enseignement dans le sûtra de l’estrade. Pour Huineng, la méthode n’est ni subite ni graduelle : « c’est l’homme qui est plus ou moins vif, plus ou moins obtus ». C’est avec lui que le chan prend son essor. Quand il meurt en 713, il n’est toujours pas reconnu.
[6] « Le samsara c’est l’existence caractérisée par l’impermanence ey le changement incessant , et donc aussi par le sentiment de la durée et du temps. L’absence de certitude quant aux renaissances possibles et aux souffrances à venir imprègne le samsara tout entier, des destinées les plus douloureuses au plus heureuses. » CORNU Philippe, Dictionnaire encyclopédique du bouddhisme, Paris, Seuil, 2001,p. 481. Attention, on oppose souvent le nirvana au samsara et il y a confusion avec FREUD car dans son principe du Nirvana c’est l’extinction de tous désir, alors que pour le zen se serait plutôt la vie de l’instant, l’Eternel présent.
[7] SAHLINS M., Age de pierre, âge d'abondance, L'économie des sociétés primitives, Paris, Gallimard, 1978.
[8] Varela et al., L’inscription corporelle…, ibid., p.330-331.
[9] GIDE André, Les nourritures terrestres, Paris, Livre de Poche, 1964, p.215.
[10] JUNG C.G., Le libre rouge, LIBER NOVUS, Paris, 2011, p.201.
[11] « Loin de moi la pensée de sous-estimer l’extraordinaire différenciation de l’intellect occidental ; mesuré par rapport à lui, l’intellect oriental doit être qualifié de puéril. (Cela n’a naturellement rien à voir avec l’intelligence.)(….) C’est pourquoi il est si lamentable de voir l’Européen se renier lui-même pour imiter et « affecter » l’Orient, alors qu’il aurait de telles possibilités s’il restait lui-même et découvrait selon son mode et conformément à sa nature tout ce que l’Orient a extrait de sa propre nature au cours des millénaires. » JUNG Carl Gustav, Commentaire sur le mystère de la fleur d’or, Paris, Albin Michel, 2003, p.25.
[12] HOUEÏ MING KING (TAI’CHI)
[13] JUNG, Commentaires sur la fleur d’or, ibid., p.56.