jeudi 1 décembre 2011

Dialectique -n°35 sept-oct.2011

Le JUSTE MILIEU du META-point de vue
Prologue
« Faut-il taire un désaccord ou une divergence de point de vue par fraternité ? »
Mais bien sûr, puisque cela est du vent ! En effet,; si nous avions la possibilité d’accéder à l’objectivité pure, cela pourrait être très différent mais nous savons que cet état est impossible car il y aura toujours les prémisses du chercheur de vérité. Au-delà de distinguer des faits concrets et argumentés de simples points de vue ou opinions subjectives, il faut plutôt, pour tailler notre pierre, nous interroger sur notre illusoire représentation. « Nous ne voyons pas le réel, mais seulement la représentation que nous nous en faisons » dit EPICTETE.
Donc, pour le béotien qui n’est nulle part sur le chemin de ses propres remises en question (les seules valides et non véridiques), poser une parole à partir d’un point de vue est trop souvent une évaluation de l’autre basée sur nos préjugés, nos jugements de valeur (cf. première partie). Si je dis à une amie « je n’aime pas ton pull !», cela signifie in fine inconsciemment que je veux lui faire de la peine, la rabaisser car comment pourrais-je m’imaginer l’arbitre du bon goût. L’adage est connu : « tous les goûts sont dans la nature ! ».
Par contre, si nous renversons la phrase en son contraire, avec l’éclairage préalable de la fraternité, cela change tout car nous allons alors distinguer l’autre de son idée/acte. Evidemment au niveau de l’impact émotionnel provoqué chez l’autre, ce n’est pas du tout la même chose de dire en substance « tu es stupide ! » ou le contraire « tu es estimable mais j’ai un autre point de vue tout aussi subjectif mais argumenté sur la question ».
Ensuite nous n’allons plus utiliser la voie impérative de PORTER (cf. première partie Décision/évaluation et aide-soutien) mais l’attitude d’enquête, comme SOCRATE, en posant des questions d’éclaircissement pour mieux connaître la position d’autrui plutôt que de fournir du haut de notre fatuité des réponses à l’emporte-pièce.
« La complexité correspond à l’irruption des antagonistes au cœur des phénomènes organisés, à l’irruption des contradictions au cœur de la théorie. Le problème de la pensée complexe est dès lors de penser ensemble, sans incohérence, deux idées pourtant contraires. Ce n’est possible que si l’on trouve, a) le méta-point de vue qui relativise la contradiction, b) l’inscription dans une boucle qui rende productive l’association des motions antagonistes devenues complémentaires. »[1]
Les six attitudes définies[2] par PORTER se répartissent en 3 d’ingérence dans la vie de l’autre (les plus fréquentes) et 3 plus respectueuses de l’autre subjectivité :
DECISION est l’attitude qui en quelque sorte dit à l’autre « moi à ta place » je ferais cela, autrement dit, décider à sa place de ce qu’il doit ou non faire.
EVALUATION est l’attitude qui juge en maître du bon goût que l’on s’octroie si les vêtements, la coiffure ou le poids de l’autre sont ou non convenables. Pourtant, on dit souvent que les goûts et les couleurs ne se discutent pas.
L’AIDE-SOUTIEN est une attitude paternaliste/maternaliste qui veut faire à la place de l’autre parce que nous jugeons que ce qu’il fait est moins parfait que ce que nous pourrions faire. C’est pour cela que tant de femmes font la vaisselle avec leurs filles qui les regardent mais qui « ne sont pas assez parfaites » pour la tâche.
L’INTERPRETATION est une attitude plutôt d’émancipation de l’autre et qui cherche à s’approprier par la compréhension personnelle les données de l’autre, donc les reconnaître et non les combattre.
L’ENQUÊTE est aussi une attitude de respect, on ne passe pas à sa propre version mais on interroge l’autre pour mieux comprendre son point de vue subjectif, c’est une attitude de reconnaissance d’autrui.
LA COMPREHENSION est une attitude neutre de reformulation du discours de l’autre, c’est celle des sages zen ou de Socrate pour permettre à l’autre de trouver en lui-même ses propres réponses.
« Descends dans les entrailles de la terre, tu trouveras la pierre de l’œuvre » disent les alchimistes, on peut traduire cette métaphore par « descends en toi-même et trouve la base pour construire l’homme que tu es déjà ». « Ce qui est haut est ce qui est en bas »dit Hermès.
De même, les exégèses de la Torah, dans la cabale, nous indiquent « tu verras le monde en mouvement »(développement, renouvellement) et non comme un cliché statique. Tout est mouvement, peu importe l’orientation de s’élever ou de chuter, la marée basse du croissant lunaire avant la marée haute de la pleine lune où il faut bon semer, l’illusion de l’être de la personnalité avant la conscience du non-être. Nous sommes tous sur un chemin mais certains sont toujours dans la matière qui est subjectivité de notre raison, la table n’est pas un solide mais une combinaison d’atomes en mouvement. Le savoir est une accumulation de connaissances qui enferme l’art de se connaître. « définir, c’ est ériger un mur de concepts » . Regardons nous tous comme de l’énergie en mouvement au lieu de croire en la validité de nos personnalités construites. « OM MANE PADME OM », la première et dernière syllabe du son prononcé est en fait une vibration intérieure. Ecoutons la musique des mots que nous pouvons produire pour une évolution créatrice de notre humanitude et du vivant en général.
Toute chose porte en elle son propre contraire, dit HERACLITE, le maître philosophe de la dialectique (qui se rapproche assez du zen) qui s’oppose à la pensée dualiste aristotélicienne du « Ou …ou bien ». Cette pensée du matérialisme et de la causalité linéaire (stimulus-réponse) est assez répandue. Pourtant « nous n’existons pas face au monde parce que nous sommes le monde », dit le philosophe Martin HEIDEGGER. Nous cherchons des causes (ou des responsables) externes pour comprendre nos mal-êtres alors que nous sommes des phénomènes subjectifs observant avec des outils tout aussi subjectifs (le regard de l’œil est biaisé par ce que notre cerveau nous invite à voir) c’est-à-dire d’autres subjectivités. En effet, l’œil n’a pas la capacité de se regarder lui-même observant.
Selon la gestalt (Psychologie de la forme), le monde est complexe et lorsque nous regardons par exemple un tableau d’un primitif flamand, nous voyons une figure (par exemple l’autoportrait du peintre) sur un fond décoratif. Mais nous pouvons tout aussi bien changer la focale de nos yeux en donnant la priorité au fond et ainsi percevoir des détails comme la chambre du peintre et une fenêtre qui donne sur sa ville de Gand. Ou alors, avec de l’entraînement, concevoir par notre vision à la fois la figure et le fond, à la fois notre projection subjective et ce qui pourrait être la subjectivité de l’autre mais pour arriver à cela, il faut nous détacher de la certitude que nous voyons la vérité.
La personnalité n’existe pas, elle est construite par notre cerveau en identification ou en rejet de nos modèles parentaux et de notre bain culturel. L’objectivité de même n’existe pas, les chercheurs honnêtes tendent vers le plus d’objectivité possible mais il y aura toujours les prémisses subjectifs du petit enfant sensible que fut le chercheur scientifique. Comment serait-il possible de raisonner sans se séparer de l’objet de notre observation ? Nous croyons à la réalité de ce que nous voyons parce que nous pensons que nous sommes le sujet qui s’objectifie dans l’histoire de ce qu’il vit. Or, chaque fois que nous formulons une hypothèse, nous sommes dans le monde symbolique ou imaginaire, un « rêve éveillé » dirait FREUD.
Mais à l’échelle du cosmos, qu’est ce que « JE » ou « NOUS » ? Un pet de mouche sur une toile cirée ? Une fourmi sur la pente d’un volcan, elle-même minuscule lorsqu’elle regarde Sirius, petite poussière dans l’immensité du cosmos ?
Nous sommes de fait une absence absolue qui rêve comme Lao-tseu qu’il est un papillon. Sommes-nous Lao-tseu qui démontre, réfléchit et comprend son caractère hautement éphémère. Sommes-nous Lao-tseu qui rêve du papillon ou le papillon qui rêve qu’il est Lao-tseu. Lorsque nous nous éveillons, c’est comme une bulle de savon qui explose car le rêveur et le rêvé ne peuvent exister que dans le rêve.
Il nous faudrait cesser d’accumuler des connaissances pour à la place comprendre que si le rêveur cesse de rêver, il n’est plus le rêveur, il est non être et cependant il est.
Le zen [3] est une méditation qui sort le bouddhisme de sa gangue religieuse. Le Bouddha nous dit : « Lorsque tu as passé la rivière, pourquoi porter ta barque sur ton dos ? » Soit une métaphore pour se dépouiller et se délivrer de toutes nos connaissances se voulant objectives, pour sauter dans le vide et arriver à sentir la vie. La méditation implique deux phases : SAMATHA ou le calme de l’entité, c’est rester assis en zazen sans bouger et surtout sans penser en se concentrant sur la stabilité de la posture et sur le souffle qui va et vient, notre cerveau peut alors se mettre en stand-by, probablement chacun à sa façon.
Mon entité voit des aurores boréales vert clair sur un fond bleu nuit et j’ai des picotements à la fontanelle, je respire et entend tout les bruits de la vie autour de moi (les oiseaux comme les voitures ou les borborygmes de mon voisin). La seconde phase est VIPASSANA ou la vision profonde. Ces états de conscience sont aujourd’hui corroborés par le cognitivisme, on peut atteindre des états modifiés de conscience autres que la transe religieuse qui elle est plus une excitation mentale, le zen ou le yoga étant à l’opposé un arrêt des mots et des images et de l’excitation cérébrale : « Les mots ne sont que les parois d’un vase qui n’existe ultimement que par sa vacuité ».
Nous avons un bol mnésique que nous remplissons de concepts mais aussi de préjugés et de normes et lorsque ce bol est vide, nous croyons encore que sa texture est pleine de matière alors que les atomes le constituant sont en grande partie du vide et du mouvement.
Paul RICOEUR parle dans son œuvre de l’interprétation (une attitude plutôt d’émancipation de l’autre et qui cherche à s’approprier par la compréhension personnelle les données de l’autre, donc les reconnaître et non les combattre) ; c’est aussi le travail du formateur en histoire de vie que je fus dans une autre vie : trouver un sens métaphorique à un récit dont l’essentiel est masqué parfois à l’insu de l’individu. C’est aussi ce que l’on cherche dans les autobiographies par l’herméneutique, lire entre les lignes car un message peut avoir plusieurs sens. Il en va de même des histoires que nous nous racontons sur nous-mêmes, nous lions des évènements fortuits (nous lions la sauce) et nous rationalisons le vécu de façon dualiste avec fort peu de remise en question sur nous-mêmes. Pourtant, si nous voulons désocculter ce mécanisme d’aveuglement de notre cerveau trop protecteur, nous pouvons, par la méditation non religieuse du zen (rien à voir avec celle de Jean de la Croix), voir partiellement notre propre chemin d’errance ainsi que nos côtés ombre et les accepter car nous sommes ce que nous sommes et rien d’autre.
La vérité n’existe pas, il n’y a pas d’objectivité absolue mais des subjectivités relatives. Par exemple, si dans une histoire de vie, quelqu’un exprime sa souffrance récurrente d’avoir été violée dans sa jeunesse, peut-être l’acte criminel n’a-t-il jamais eu lieu, cette violence peut avoir été vécue ou fantasmée, le passé est passé et parfois il change les formes d’un vécu douloureux, mais en tous cas, il y a bien une souffrance réelle qui s’exprime parfois par métaphore et déplacement.
La méditation (dhyana) n’a pas besoin d’exotisme oriental, elle peut se traduire en recherche de la pleine conscience de l’instant, une vision intuitive dans une vivacité d’esprit. Notre conscience non objective mais sensitive et subjective se joue dans l’ici et maintenant que trop souvent nous négligeons. Le futur n’existe pas, nous pouvons mourir à la minute et le passé est souvent un passé recomposé et réinventé avec des liens autocollants ; par contre, l’instant est.
Mc Luhan évoque l’hémisphère gauche analytique du cerveau plus développé chez les hommes (Yang, animus) et l’hémisphère droit poétique et systémique plus développé chez les femmes (Yin et anima). Quel que soit notre genre sexuel, nous avons bien sûr les deux hémisphères mais celui qui est le plus important est bien le subjectif, le cerveau droit qui, après une analyse logique du gauche, permet le choix et donc affirme de fait sa supériorité subjective sur les ordinateurs (calculettes perfectionnées) c’est celui qui au-delà des formations mentales conditionnées permet la créativité, la vision globale d’un phénomène, l’anticipation, la vue de l’ensemble de la forêt et non la centration analytique sur un seul arbre.
Dans le monde de l’éducation, on dit que les filles sont supérieures par leurs possibilités de concentration sur une tâche mais j’ajoute qu’elle sont aussi supérieures sur le plan de la vision globale et de l’éveil d’une conscience spirituelle (pas nécessairement métaphysique) même si depuis des années, elles sont brimées et poussées à intérioriser une quelconque infériorité dues à nos cultures.

« Les gens s’inquiètent souvent à l’idée que, s’ils relâchent leur prise sur le manque et l’avidité, leur désir disparaîtra et qu’ils se retrouveront paralysés et catatoniques. En fait, c’est exactement le contraire qui se produit. C’est l’état d’esprit inattentif, inconscient qui est engourdi, car il est enveloppé d’un épais cocon de pensées vagabondes, de préjugés et de ruminations solipsistes. A mesure que l’attention vigilante croît, l’appréciation des composants de l’expérience se développe. Le but de la présence/conscience n’est pas de désengager l’esprit du monde phénoménal ; il consiste à le rendre capable d’être pleinement présent au monde. L’objectif n’est pas d’éviter l’action, mais d’être présent à ses propres actions, de telle sorte que le comportement devienne progressivement plus sensible, plus responsable et plus conscient. »[4]
Lorsque les femmes se détachent des artifices de la vie moderne, elles ont plus de facilités à être authentiques ; à être elles-mêmes avec l’expression de leur ressenti.
On pourrait caricaturiser les hommes comme des « mentalistes » obsédés par la raison et les femmes avec le non-agir (de la pensée obsessionnelle mais non du faire ménager) mais avec une meilleure compréhension des phénomènes. Les hommes accumulent des connaissances, les femmes aussi mais en plus avec une compréhension subjective plus subtile, lorsqu’elles ne sont pas inhibées par le dressage-éducation qui leur fait croire à une quelconque infériorité (Le Coran ?). Les hommes sont agressifs, dualités et infatués, les femmes sont de fait plus dialecticiennes et plus sensibles. Mais que nous soyons homme ou femme, nous sommes cachés à nous-mêmes par la persona, par le JE que nous avons construit. Après Bodhidharma fondateur du zen, le sixième patriarche HUINENG[5] transforme l’ancienne sagesse « matérialisée » par une modification d’un sage adage disant que sans cesse nous devons enlever la poussière de notre brillant miroir. HUINENG nous dit qu’il n’y a pas de poussière, ni de miroir et donc qu’il faut arrêter cette croyance au perfectionnisme (l’Idéal du moi) du polisseur de miroir, il faut juste s’arrêter et abandonner nos hardes, se débarrasser de toutes nos certitudes : « Quand j’ai faim, je mange ; quand je suis fatigué, je dors »(comme dans les besoins d’EPICURE).
Sur la ligne du temps, le présent n’a pas de durée, il est un point permettant une autre dimension que l’horizontalité temporelle (du bébé à la mort), la verticalité naissante de l’Eternel présent, l’amorce d’une équerre qui coupe le SAMSARA[6] de l’existence temporelle ainsi que, par le compas, une perspective de spirale différentes du cercle de l’espace courbe.
Le point du présent (nirvana) est la clé pour ouvrir la porte de l’intuition du tout, de l’espace universel à l’extérieur (cosmos) et à l’intérieur de nous. Notre particularité est illusoire tout comme notre représentation gauchie par l’œil-cerveau de ce qu’est notre universalité. Nous sommes dans un monde apparent où nous ne sommes pas, c’est-à-dire juste des apparences phénoménales.
Un des premiers livres parlant du zen et du tir à l’arc disait qu’il fallait faire un avec la flèche, la cible et le tireur mais s’il n’y a pas d’objet (autre que nos représentations), il n’y a donc pas non plus de sujet ?
Pour faire le lien avec notre réflexion principale, on pourrait dire que la négation de chaque membre de tout couple d’opposés, la dualité d’un couple de non-entité ne peut être mais paradoxalement bien la relation. Il nous faut donc dépasser les contradictions apparentes pour – comme nous disions avec l’exergue de MORIN – trouver le méta-point de vue alliant les pôles que l’on s’imagine opposés alors qu’ils sont tout autant complémentaires sur une autre échelle de perception.
Après une marche à l’azimut dans l’Hertogenwaldt (fagnes de Jalhay à Malmédy),je découvre une clairière à la lisière d’un bois donnant sur un paysage magnifique. Je roule ma veste en boule pour me faire un coussin d’assise stable et je m’adosse au tronc d’un vieil arbre, le temps est splendide. Dans mon champs de vision, je vois au centre un jeune arbre qui pousse à l’ombre de ses pairs de la forêt des vergers. En effet, il existe encore des pâtures avec arbres fruitiers et des haies où des colonies d’oiseaux et de petits mammifères (hérissons par exemple) prolifèrent malgré le grand prédateur, les primes de l’Europe à l’arrachage de ces futilités de régulation naturelle.
J’entre dans ce premier état modifié de conscience que l’on nomme SAMATHA. Je suis agréablement assailli par de multiples odeurs, celle des fleurs des champs, de l’humus des bois et du fumier sur le pâturage, par les chants des merles et le bruissement des feuilles sur les arbres car il y a un léger vent que je n’avais pas perçu.
Atteignant Vipassanâ je m’imagine de petits filaments lumineux (comme de fins coups de crayon) reliant les diverses composantes de cette nature banale ; le vent qui allié des insectes transporte les semences, les racines du petit arbre qui plongent dans le substrat terre pour l’eau et les nutriments. D’autres ficelles s’élèvent des branches vers le soleil car celui-ci est nécessaire pour la photosynthèse des feuilles (l’apport en oxygène dans la nature) ; sur les deux côtés, la forêt décrit un croissant et certains des arbres poussés plus tôt semblent vouloir écraser les plus jeunes , les éloigner du soleil, le conflit est aussi partout. Je découvre ainsi (aussi au-delà des mots sans âme) l’INTERDEPENDANCE de la nature. Chaque partie de ce paysage vit par réaction, compétition ou coopération et combinaison avec les autres : la terre, l’eau, le souffle de l’air et le feu chaleur du soleil. Dans l’herbe à mes pieds, une araignée tisse sa toile entre des brins d’herbe effilés. Je me secoue et à regret, je retourne à mon « réel » habituel. Je pense aux minorités ethniques survivantes de notre planète qui vivent en harmonie avec la nature en la travaillant (les rizières) à leur rythme ou en n’y travaillant pas (comme les Yanomami du Mato Grosso qui travaillent moins de 3h/jour)[7].
Je pense aussi à tous ces couples occidentaux enfermés dans leur cage invisible de tracas économiques et qui se déchirent de ce trop peu dont ils disposent pour vivre. Je me lève, reprends ma veste et regarde une dernière fois ce paysage qui simplement est. Et tout a repris sa place, je ne vois plus les filaments de mon imaginaire ; l’arbre, la forêt et les vergers sont identiques à ce qu’ils étaient. Mais je compatis avec la misère humaine de la psyché. Tous ces couples qui devraient rire et jouir et qui s’engueulent parce que simplement chaque partenaire est malheureux, quel gâchis.
« La possibilité d’un intérêt empreint de bienveillance pour les autres, présent chez tous les êtres humains, est d’ordinaire mélangée au sentiment du moi et se confond ainsi avec le besoin de satisfaire son insatiabilité de reconnaissance et d’auto-évaluation. L’empathie spontanée qui surgit quand on n’est pas emprisonné dans les réflexes habituels ne s’accompagne pas d’un besoin de réaction du destinataire. C’est l’angoisse concernant la réaction – la réponse de l’autre – qui est la cause de notre tension et de notre inhibition dans l’action. Quand l’action est accomplie sans qu’intervienne la mentalité de transaction commerciale, il peut y avoir détente. »[8]
La notion de mal n’a rien avoir avec SATAN, BUSH ou un autre fou de pouvoir ; il s’agit du Je-concept de notre individualité. Lorsque notre colère se transforme en haine agissent notre amour-propre, notre fierté, l’envie, le désir, la possession, la domination, bref notre égotisme. Le mal-être de la vie phénoménale est un rêve éveillé qui se déroule sur la surface plane de la temporalité où toute action est suivie de sa réaction, ce sont les interinfluence qui forment notre karma non de vie future mais de notre actualité. Le sage éveillé pense et vit verticalement, il comprend les enclenchements qui font que Y frappe X parce que X a frappé au préalable Y, dans un autre contexte. En Analyse Transactionnelle (AT), lorsque nous évoquons un évènement, nous y mettons les majuscules et les points des phrases où cela nous arrange pour que la séquence nous décrive en victime. Par contre, le sage sera celui qui percevra le cercle complet de ce mauvais karma. Percevant l’ensemble, il ne répond pas à la provocation de la séquence et pour ainsi dire interrompt la réaction en chaîne.
Le silence est d’or mais ne pas parler est complicité. Par éthique, nous devons dire le non-dit mais avec un non-verbal empathique (par le sourire et un ton calme), et dans le respect de l’autre (sans accusation, ni jugement de valeur), avec la candeur de notre authenticité refusant les jeux par exemple – dans la position de médiateur - en posant des questions qui permettraient aux protagonistes d’envisager d’autres points de vue ; la compréhension consiste à devenir conscient de ce qui est déjà compris.
Attention cependant à nos énormes différences culturelles : si un « méchant » soldat GI crie sur un civil vietnamien en temps de guerre, celui-ci sourit (signe d’embarras dans sa culture), ce qui va faire monter la colère du soldat, ou encore s’il lui tourne le dos, signe pire que le conflit car marquant le déni (du genre « tu n’existes pas ! ») cela devient terrible pour l’interaction. C’est un peu similaire lorsque, lors d’une thérapie familiale, un des partenaires commence une phrase sans la finir en disant « j’ai compris » ou en tournant son corps (son regard) vers quelqu’un d’autre. Cela est plus que culturel ; si vous tournez le dos à un gorille au dos argenté et que vous partez ainsi, c’est certain qu’il va passer à l’acte.
Donc pour revenir à la simplicité, parler calmement d’adulte à adulte (pas avec le gorille non) sans jugement ni accusation serait le principal conseil sociologique pour un conflit de couple tout comme pour un viol. Lors d’un séminaire sur les stratégies de lutte non-violente contre un excité sexuel (souvent un homme), une stagiaire avait proposé de se laisser tomber par terre et de mimer une crise d’épilepsie , avec bave et tout, ce qui doit également être déconcertant.
Les femmes et les hommes s’unissent dans la joie pour partager le plaisir sexuel et faire des projets communs dans la sécurité de leur équipe, notamment créer un nid sécure pour une progéniture qui s’envolera tandis qu’ eux continueront à vivre souvent hélas trop longtemps ensemble. Ceci est un sous-problème pour la suite car on est pendant 20 ans enfant (grand adolescent), adulte les 20 autres années puis l’autre moitié de la vie, on est considéré comme vieillard à cause de quelques rides alors que tous gardent un cœur de trente ans. Il faudra que les générations futures se penchent sur cet aspect mais envisageons une chose à la fois, soit le premier contact de couple et de « collaboration ».
Quelles que soient les cultures, elles sont en retard sur la réalité de la modernité. On ne peut pas aujourd’hui, en profitant de l’émotion du mariage, énoncer dans le livret des normes et des valeurs dépassées en niant le réel. NON la femme n’a pas pour tâche le bon plaisir de son époux, NON le couple ne doit plus se jurer fidélité, dépendance mais amour, estime et soutien.
En Occident, il y a des interactions du couple qui sont peut-être trop fréquentes et des moments sont nécessaires pour se retrouver seul(e). Les sociétés d’hommes et de femmes sont encore une autre dimension, par exemple se retrouver entre femmes pour sortir ensemble pour dîner ou courir les magasins. Ce genre d’accointances est probablement plus fréquente chez les femmes du sud où en faisant la lessive ou en allant chercher de l’eau, on discute, on plaisante et on rit. Indépendamment du genre sexuel, je dirais qu’il y a parfois plus d’échanges entre femmes du sud que du nord quoique, avec le courriel et le téléphone, c’est difficile à estimer.
Pour rêver l’utopie, imaginons aussi que dans les priorités de la solidarité Nord-Sud, on instaure comme chez nous un enseignement libre, gratuit et de qualité pour les études primaires ; cela serait un vrai investissement solidaire car alors les mères pourraient aider les enfants à faire leur travaux scolaires à domicile (ce que les pères font rarement) et les filles ainsi mieux traitées (que leur statut de ménagère assistante) pourraient faire des études supérieures (bac+3 par exemple) et créer avec quelques amies des mini-entreprises. S’il y à la fois dans un couple une rentrée financière de l’homme ET de la femme, c’est de fait le chemin pour l’émancipation féminine. Entre des remboursements de dettes structurelles au FMI qui étouffent les économies du sud et les corruptions des gens au pouvoir qui détournent les fonds destinés au bien-être des gens, il y a le juste milieu des petits projets de petites asbl d’aide humanitaire qui font le pari que les femmes sont tout aussi matures et responsables que les hommes.
Vacuité
Notre cerveau a inventé notre personnalité (persona dit JUNG) et recompose constamment nos souvenirs et nos représentations, dit le constructivisme de PIAGET. Ce que je crois être « je suis » n’est rien qu’une forme, une représentation égotique (narcissique). Expérience, conscience et être passent par des filtres d’enregistrement, de sélection puis d’interprétation personnelle. Rien d’objectif n’existe que la seconde où nous respirons ici et maintenant. Le centre des moyeux de la roue est vide et pourtant elle est mouvement : être est une manifestation du non-être.
Envisager le vide comme la vacuité du cosmos que nous regardons est un non-sens puisque nous faisons partie de ce que nous observons. Une partie d’un ensemble ne peut conscientiser le tout, nous dit la psychologie systémique. Il n’y a pas de vide à l’intérieur de quelque chose puisqu’il n’y a pas d’intérieur, l’observateur est dépassé par le phénomène du vide au-dedans de lui et en dehors de lui. Développons :
La clé de la compréhension du zen est dans les contradictions dialectiques vécues non comme antagonistes à la manière les marxistes (Marx, Engels, Mao, Trotski,…) mais comme complémentaires. « Cela est parce que cela n’est pas, en conséquence cela est »(thèse-antithèse-synthèse) ou encore « Je suis (ma représentation) parce que « je- ne-suis-pas », donc je suis », ou enfin « Puisque être est non-être, il est donc être ». C’est ici la prééminence de l’élément négatif sur l’élément positif (du vide au plein), un dépassement/renversement de notre système établi de valeurs. Par exemple, aujourd’hui, Jean-Paul Sartre aurait pu écrire « Le néant et l’être ». Pour la cognition, il faut saisir le concept avec son contraire pour le méta-point de vue, autrement dit au lieu de l’intellectualisation, un retour de la préexistence de la non-perception et de son contraire. Cela est sa contrepartie soit toute forme de soi absolu puisque toute vie est éphémère.
Illustrons par un exemple, je suis conscient de n’être que l’assemblage d’agrégats provisoires qui en soi développe des qualités émergentes comme les sentiments. En face, de moi un contradicteur : en moi une colère qui monte, si je peux, sans la renier, l’interroger et me rendre compte de la futilité de l’évènement, je ne vais plus répondre à l’autre de façon que moi aussi, je lui fasse un mal psychique mais je vais respirer et calmer cette inutile colère pour sourire à ce malheureux/cette malheureuse qui me provoque pour une broutille. Ne confondons pas avec l’amour pathogène chrétien, si on me frappe la joue droite, je réponds illico par un arc réflexe de ma moelle épinière car c’est alors mon entité biologique qui sera aux commandes et si je ne réponds pas à l’agression par une explosion modérée, mon organisme provoquera en moi une implosion de mal-vivre que nous identifions sans en connaître la cause comme cancer.
Pour traduire nos modes de pensée trop analytiques, c’est lorsque « je ne suis pas » qu’en un sens je peux être vrai. C’est du René DESCARTES à l’envers : je ne suis pas (que des représentations), une construction mentale constitue l’illusion du Je-concept, puis la prise de conscience profonde que non seulement je ne suis pas mais les autres et l’environnement que je me représente non plus et enfin le déclic d’accepter de faire partie de la vacuité de cela, l’entité devient un être qui ressent au-delà de ses pensées figées (Sutra du Diamant). Avec nos traditions psychanalytiques, nous dirions que nous avons tellement la trouille de l’angoisse de mort que nous faisons comme si nous étions immortels et non éphémères.
Le sixième patriarche du zen HUI-NENG élimine donc le Je-concept (persona) puis les 5 éléments des sens (SKANDAS) ainsi que les connaissances y compris les 4 nobles vérités du Bouddha du lutte contre la souffrance (sutra du cœur) jusqu’à son animalité pulsionnelle et physique pour être « vide » de toute représentation construite. Mais vide ne signifie pas néant ou rien mais vacuité de quelque chose, plasticité de quelque chose dans quelque chose. Un koan zen dit « Si ton bol est plein, comment pourrais-tu le remplir ? ». La forme (de l’être) est vacuité dit le sutra du cœur et vice versa. Une dialectique entre le monde phénoménal de notre entendement et le Vide qui est absolument tout (les atomes de la matière sont creux) car tous deux n’existent que dans le mental, c’est le SAMSARA, notre barrière de vie qui empêche le mental de se connaître/percevoir comme inconscient absolu.
Le monde corrompu dans lequel nous vivons est celui de la pensée duale (bien et mal), SUZUKI évoque « le monde spirituel de la non discrimination » ;si par exemple, la pensée rationnelle est non discrimination dans l’absolu, elle peut se compléter de la pensée spirituelle des FM athées, le méta-point de vue. Il s’agit de dépasser la discrimination de mes deux yeux et de mon mental divisé (Yang mâle et YIN femelle) pour percevoir l’ensemble de l’Autre à l’intérieur de l’entité, du mental intégral constitué par la complémentarité des contraires.
La psychologie de Carl Gustav JUNG : symbolisme et spiritualité
« Quelle absurde conception du monde et de la vie parvient à causer les trois quarts de notre misère, et par attachement au passé se refuse à comprendre que la joie de demain n’est possible que si celle d’aujourd’hui cède la place, que chaque vague ne doit la beauté de sa courbe qu’au retrait de celle qui la précède, que chaque fleur se doit de faner pour son fruit, que celui-ci, s’il ne tombe et meurt, ne saurait assurer des floraisons nouvelles, de sorte que le printemps même prend appui sur le seuil de l’hiver. »[9]
Prélude
Wilhelm REICH, Dr et chercheur allemand publia de nombreux ouvrages sur la fonction de l’orgasme et sur la liberté sexuelle (Allemagne de l’est). Vers 1933, je pense, il émigra aux Etats-Unis où il poursuivit ses travaux sur « l’orgone » mais où il fut pris pour un illuminé et incarcéré pour troubles mentaux, ce qui semble un peu normal dans cette culture pudibonde importée aux Etats-Unis par les protestants fanatiques qui construisirent, avec le capitalisme, le monde du diable. En lisant les ouvrages posthumes de Carl Gustav JUNG, on pourrait dire que s’il avait aussi émigré, son destin aurait pu été similaire. Pourtant l’Association de la Psychanalyse de Zurich (Suisse) a rejeté FREUD à l’unanimité pour reconnaître le génie de JUNG que je pense plus hardi et plus profond pour son époque et la nôtre. Ses liens avec le Véda et les Vedantas indiens ne sont pas inintéressants. JUNG cependant se déclara toute sa vie un scientifique à la recherche de notre psyché intérieure.
MANDALA réalisé par JUNG et évoquant les cités fortifiées de VAUBAN (Louis XIV) avec remparts et fossés. A l’intérieur, un grand fossé entouré d’un mur fortifié à l’aide de 16 tours et un autre fossé intérieur, ce dernier fossé entourant un château central aux tours d’or dont le centre est un temple doré : l’âme ou psyché selon JUNG.
Histoire résumée.
En 1913, au congrès de psychanalyse de Munich, JUNG développe une théorie sur les types psychologiques. Il y défend que la libido est le siège de deux mouvements : l’extraversion où l’intérêt des hommes se tourne vers le monde extérieur et l’introversion où l’intérêt du sujet se tourne vers l’intérieur. Il Classe FREUD et ADLER dans la première et lui-même dans la seconde. Il pense à la libido envisagée comme un autre soi-même et s’ouvre à l’analyse de ses propres processus inconscients.
D’abord avec réticences, il s’exerce à analyser ses propres fantasmes. Il entend dans sa tête une voix féminine qui le contredit, ce qui nous fait penser à Jeanne d’Arc (à qui Dieu disait en Hébreux d’aller bouter l’anglais hors de France). Mais le Dr JUNG n’a pas la culture d’une gardienne de moutons et formule des hypothèses à propos de cette voix qui pourrait être celle de « l’âme », au sens primitif’ et la nomme ANIMA. JUNG connaît les pièges des hallucinations et des personnalités multiples. JUNG a expertisé le florilège de la para science psychologique de son époque : l’écriture automatique ou état de transe des médiums, les rêves éveillés (Freud) et les hallucinations visuelles des spirites. A Vienne, en 1909, le psychanalyste Herbert Silberer expérimente sur lui-même des états hypnagogiques et ils échangent des courriers sur les symboles des pensées antérieures. En homme scientifique, JUNG se pose la question de savoir ce qui se passe quand on débranche la conscience (que l’on entre en méditation, sous hypnose ou lors de cette activité sous-jacente que sont les rêves).
Le 20 avril 1914, JUNG démissionne de la présidence de l’Association Internationale de psychanalyse et le 30, il démissionne de son poste d’enseignant à l’université de Zurich (rupture FREUD-JUNG). Le 10 juillet, la société psychanalytique de Zurich, par 15 voix contre une, quitte la Société Internationale de Psychanalyse pour le motif que FREUD entrave la liberté et l’indépendance de la recherche et se donne un nouveau nom : « Association de psychanalyse » dont JUNG assume la présidence. Le 24 juillet, à Londres, son exposé « La compréhension psychologique des procédés pathologiques » s’oppose à la méthode analytique-réductive de FREUD.
La vie, dit JUNG, est un phénomène qui avance vers le nouveau, il n’est pas possible de la comprendre de manière seulement rétrospective. Il reste bien sûr l’allié de Pierre JANET qui donnera les bases de la psychologie systémique de Palo Alto et de l’autohypnose. Le constructivisme, dit JUNG, cherche à établir des ponts entre notre âme telle qu’elle est et son avenir. En prenant ses distances avec les réductions causes-effets et l’analyse du seul passé, il rejoint en somme notre modernité aussi bien avec la psychogénéalogie qu’avec l’ethnopsychiatrie.
Le 1° août 1914, il écrit à Mircea Eliade qu’il prépare un exposé sur la schizophrénie, il se demande s’il ne va pas tomber dedans. Après sa conférence du 31 juillet, il apprend que la guerre a éclaté et que ses rêves ne lui arrivaient peut-être que du tréfonds de l’inconscient collectif (comme les animaux qui ont conscience des phénomènes géophysiques bien avant leur survenue). Ce pressentiment, il devait l’appeler son « grand rêve ». Dans LIBER NOVUS[10], il comprend que la guerre ayant éclaté, sa terreur de la schizophrénie individuelle était sans fondement. Il en écrit la théorisation en 1955-1956 : « Si cet investissement personnel offre les apparences d’une psychose, c’est parce que le patient intègre les mêmes contenus fantasmés que ceux qui frappent un malade mental, lequel ne peut les intégrer, mais est englouti par eux. »(Ibidem)
Dans l’esprit de JUNG, j’ai essayé d’articuler des intuitions avec des traces mnésiques, sans grand résultat après dix années de méditation zen. Je poursuis ce travail de dégagement de la pensée (ne plus penser à rien) où je vois des sortes d’aurores boréales vertes mouvantes sur un fond bleu nuit et où je ressens des picotements à la fontanelle mais je suis à mon avis trop cartésien pour atteindre un jour l’autre bord de l’excitation mentale (opposée à la méditation et à l’immobilité du souffle du yoga).
A l’université de Liège en gestalt en groupe, j’ai vécus mon premier rêve éveillé que j’affinerai par après comme formateur en psychogénéalogie « à la recherche de notre premier ancêtre », une herméneutique sur des fantasmes de ce que peut-être nous aurions pu être.
Cette première fois, comme novice, j’ai vu un homme du genre Néolithique avec des poils bruns partout, assez massif, immobile à l’entrée d’une grotte (gardien ?), les pieds légèrement écartés lui donnant une position stable, debout, un bras le long du corps et l’autre tenant une lance au repos qui serait plutôt un épieu durci ; j’ai traversé cette image comme si j’étais de l’air et j’ai senti à l’intérieure, une force tranquille, simple, capable de mobiliser l’adrénaline de l’entité mais vide de toute pensée ; cette force n‘avait pas une expression agressive mais plutôt protectrice, une simple image de ma psyché. Lorsque j’ai animé à mon tour, en psychogénéalogie de groupe des séminaires, j’ai pu comprendre que les symboles de fondement de chacun étaient différents mais procuraient tous des émotions.
Par après (avec la raison), j’ai pensé à l’ange de JUNG qu’il appelle Philémon. A partir du 17.04.1917, il pratique de fréquents exercices de vide de conscience et développe la vision d’une hallucination PHILEMON : sur un fond bleu (mer ou ciel) un personnage sous des mottes de terre qui s’effritent, dévoilant un être ailé (ange ?), un vieil homme au départ doté de cornes de taureau avec un trousseau de 4 clés.
Philémon, conscience interne est un païen qui insiste sur la différence entre le moi et l’objet observé, il incarne la connaissance intuitive des choses.
Attention à ne pas amalgamer ceci avec les croyants au KARMA (métempsycose) qui remontent dans leurs vies antérieures, ce qui m’a toujours fait un peu sourire car le narcissisme de l’égo est à peine masqué et leurs vies antérieures ont toujours été celles de personnes illustres connues dans l’histoire. Je dis souvent par autodérision que dans mes vies antérieures, j’ étais lombric et cafard.
Notons les dessins de type mandala (palais de JUNG) ; les moines tibétains dessinent souvent à l’aide de poudre de craie des mandalas d’une grande complexité sur le sol de leur temple puis dès que le dessin est fini, ils le détruisent pour signifié le côté éphémère de toute chose. Ce type de palais a plusieurs remparts et toujours 4 portes gardées par des Bouddhas transcendantaux, le mandala se lit comme un stupa, la première entrée correspondant à la base du stupa est la terre, puis l’eau, puis le souffle/l’air, puis le feu (Amitabha celui du soleil levant des japonais) ; au centre c’est Vairocana le Bouddha de l’éther (du cosmos)

L’âme/psyché
Dans la voie de l’à-venir, JUNG parle de l’esprit du temps. Il distingue l’esprit de ce temps où se justifier est superflu d’un autre esprit à l’œuvre au cœur de l’homme (l’observateur invisible) qui règne sur les profondeurs de tout ce qui fait partie du présent. L’esprit de ce temps parle d’utilité et de valeur. Empli par la fierté et aveuglé par mes présomptions, dit-il, j’ai tenu toujours l’autre esprit à distance. Mais cet esprit des profondeurs fonctionne de tout temps et sera pour toutes les époques plus puissant que l’esprit de ce temps qui change au fil des générations. Il ajoute : « l’esprit des profondeurs a soumis mon orgueil et ma fierté, la joie de mon discernement, la foi en la science, le plaisir d’expliquer et de classifier, il a éteint mon enthousiasme pour les idéaux. Il m’a fait descendre vers des choses simples et ultimes ».
C’est la fusion du sens et du contre-sens qui produit le sur-sens. Le sur-sens est le pont, la voie vers l’à-venir. Le sur-sens n’est pas sens pas plus qu’il n’est contre-sens, il est à la fois image symbolique et force.
Il est le pont du passage et de l’accomplissement, dit-il. JUNG fait un lien ici avec le ZARATHOUSTRA de NIETZSCHE : l’homme n’est pas un but mais un pontet ce que l’on peut aimer en l’homme, c’est qu’il est passage et déclin, les hommes sont ceux qui passent. L’esprit des profondeurs est lui dans une densité permanente.
Mandala de J-.M.L. Tibet 1997

L’ombre de notre temps est l’illusion pernicieuse du non-sens(contre-sens dit-il), l’image de la divinité est dans le quotidien lorsque je me regarde dans le miroir.
Le sur-sens pour comprendre une chose est un pont que me donne la possibilité de revenir sur le chemin (en avant ou en arrière) ; par contre, définir une chose, l’expliquer avec les concepts si fragiles de l’entendement de notre époque ne peut être que subjectivité. Par ce que tu dis, tu existes et non dans ce que tu dis.
« Malheur à ceux qui vivent selon des modèles ! La vie n’est pas pour eux. Si vous vivez selon un modèle, vous vivez la vie d’un modèle, mais qui vivra votre vie sinon vous-même ? »( ibid. P.231)
J’en ai fini des idéologies laïques et des doctrines. Je n’existe pas par moi mais par ma psyché et les vertus qu’elles suscitent. On peut courir sans fin après tous nos désirs mais notre âme/psyché est en nous et elle est nous et non nos représentations de persona. L’érudition seule fait partie de l’esprit de ce temps et ne suffit pas ; il faut trouver en nous le savoir du cœur, celui qui grandit en nous sans gourou ni livre. On ne peut acquérir ce savoir que par l’action de vivre sans masque : ne pas gloser sur l’humanisme mais faire de l’aide humanitaire sans en attendre un quelconque retour. C’est notre pensée et nos actions que nous devons activer, un autre type de connaissance où le bien et le mal sont liés en réunissant sens et contre-sens. L’esprit de ce temps me faisait croire à ma raison parce que j’étais professeur ; je crois toujours à la raison mais l’esprit des profondeurs m’enseigne l’humilité et l’autodérision.
« Le chrétien triomphe de la tentation du diable mais non de la tentation de Dieu d’accéder au bien et au raisonnable. Le chrétien succombe donc à la tentation. Vous devez encore apprendre à ne succomber à aucune tentation, mais à tout faire de votre propre gré, alors vous serez libres. »(ibid. p.235)
Il n’y a qu’un seul chemin et c’est le vôtre : « Sois à toi-même ton propre flambeau ! » dit le Bouddha.
Le mystère de la fleur d’or
L’âme de JUNG n’est plus celle des chrétiens mais la globalité de la psyché humaine, notamment les oppositions entre la raison consciente et l’inconscient. L’âme dans cette dimension est la médiatrice arbitre, « le mixte du même et de l’autre. », disait PLATON.
En1928, Richard Wilhelm, missionnaire protestant en Chine est connu pour sa découverte du YI-KING et propose à JUNG un ouvrage commun sur le taoïsme. Ce travail n’aura pas lieu mais JUNG, déjà féru de mandala, trouva là sa voie pour sa création psychique personnelle et son chemin d’autonomie. Il se bornera à écrire (seul) « Les commentaires sur la fleur d’or » en citant WILHELM sa source posthume. Il s’affirme comme psychologue d’une science en mouvement. La méthode scientifique est l’instrument des occidentaux et on peut ouvrir bien des portes avec elle.
Notons ici une remarque personnelle récurrente : mes amis moines zen de l’école de Thich Nhat Hanh organisent depuis longtemps des séminaires de formation pour des psychologues occidentaux et aucun d’eux n’arrive à penser que ceux-ci pourraient leur apporter un YANG qu’ils négligent avec leur YIN romantique et désuet[11], un peu comme lorsque les occidentaux colonisateurs qui faisaient de l’ethnocentrisme sans le savoir. Attention, il n’y a pas que des superstitions dans la pensée orientale, il y a bien sûr comme chez nous des croyants qui pensent que Bouddha est un Dieu et le prient pour un quelconque intérêt mesquin. Il ne faut donc pas réduire le zen ou le TAO à des mystiques exaltés vivant à la limite pathologique des ascètes et des reclus. La théosophie et le spiritisme du siècle dernier dans nos contrées sont des obscurantismes à mille lieux des sciences de la cognition.
C’est ce que pensait JUNG et que je pense également aujourd’hui comme athée se voulant scientifique dans les sciences humaines. L’occidental est pragmatique et souffre de mille maux : de la complexité des couples conjugaux, de ses maux de dos et de dents, de ses névroses et de ses idées politiques absurdes et de ses politiciens qui se revendiquent du bien-être de tous pour leur pouvoir personnel.
L’esprit ne doit pas se confondre avec le seul intellectualisme, il est la psyché (avec l’analyse, les émotions), le cœur et l’éthique, soit une certaine spiritualité mais pour comprendre le tout, il faut le réconcilier avec les genres opposés, le féminin, l’obscur, la lune, la terre (yin), le ressenti et l’émotivité plongeant ainsi également dans l’intuition. Lors de formations en créativité intellectuelle, j’ai pu vérifier qu’un chercheur qui s’endort sans avoir trouvé de solution à son problème peut la trouver au réveil car son cerveau continue à travailler « EUREKA ! ».
Que pouvons-nous faire pour changer ce monde si injuste ? Renverser les dictateurs corrompus et les politiciens à vie ? Il en reviendra d’autres ! C’est une loi de la Dynamique des Groupes(DG) : enlevez le leader et le bouc émissaire dans un groupe de rats, il en viendra d’autres ; enlevez-les aussi et ce sera pareil jusqu’au chiffre 3 : le leader, le suiveur et le bouc émissaire. Nous ne saurions non plus changer le cours des planètes ; donc comme Maître ECKHART et les taoïstes, il en va de même dans la psyché :« dans le domaine psychique aussi il faut pouvoir laisser advenir ». Nous devons comprendre le TAO comme une méthode consciente qui vise à réunir ce qui était séparé.
Nous devons percevoir les contradictions comme complémentaires au lieu de les voir comme antagonistes par un processus de développement personnel qui s’exprime par les symboles : sans YIN, il ne pourrait y avoir de YANG ; sans son côté pile, la pièce de monnaie n’aurait pas un côté face, ombre et lumière ensemble donc. JUNG a une prédilection pour les dessins de MANDALA (cercles « magiques »). Ces palais « vus d’avion » ont le plus souvent la forme de plusieurs cercles et possèdent 4 portes (ce qui rappelle la tétraktys pythagoricienne, le nombre fondamental du carré long). Les côtés « magiques » sont des projections d’évènements psychiques, l’unité des contraires est le TAO, la voie ou la lumière blanche centrale (comme dans le livre tibétain des morts). Les cercles évoquent le mouvement circumambulatoire que l’on retrouve dans les pèlerinages autour des temples en s’allongeant de tout son long à même le sol du sentier en signe d’humilité pour avancer du « pas du corps ». C’est aussi le cercle de la vie où, au centre, l’action s’inverse en non-agir ; les puissances périphériques du mental sont délaissées au profit de la petitesse du centre, c’est CELA.
On pourrait dire que le point central de lumière est le concept de deux en Un comme l’homme : « Les formes créées par le feu spirituel ne sont que des couleurs et des formes vides. »[12]. Tout le reste est projection comme le mentionne le Bardo Thödol : les dieux bienfaisants ou malfaisants sont des illusions à vaincre. Il faut se défaire de la nuisance de la chape religieuse. « Dieu doit être sans cesse enfanté dans l’âme. » (Maître ECKHART).« La pratique religieuse et la morale ont revêtu un caractère nettement brutal, voire presque malfaisant. Ce qui est comprimé n’évolue pas, mais continue de végéter dans une barbarie primitive au fond de l’inconscient »[13]
Jean-Marie LANGE 26.11.11
N.B. : A l’heure où j’écris ces lignes, le 24.11 deux coopérants européens ont été enlevés à Hombori (Mali) et le lendemain 25.11 à Tombouctou 3 (plus un tué sur place). Notre association « Groupe d’Autoformation Psychosociale »(asbl) ne veut nullement fournir un mode opératoire (comme les missionnaires catholiques qui insultent encore les valeurs de ce monde musulman bien après les colonisations). Nous voulons juste restaurer à l’homme (principalement à la veuve et aux orphelins) sa dignité en lui laissant ses choix afin que par lui-même, il apporte son réconfort à la collectivité dans une misère noire. Pars le projet fraternel de reboisement de 2000 arbres fruitiers et de conférences pour sensibiliser à la lutte contre l’excision, coutume barbare ainsi que le mise sur pied d’une bibliothèque de livres neufs d’auteurs africains loués à un prix symbolique La violence suscite la violence, refusons ce chemin infantile, faisons confiance aux hommes. Lorsque notre entité éphémère mourra, notre âme mourra aussi mais, en attendant, vivons avec une grande conscience le moment. Mon âme, je reviens vers toi, tout en restant athée pur jus, je reviens calciné et purifié comme le Phénix. La mal-vie de ma jeunesse et ma muse lumineuse m’ont ramené à toi. Remercions les moments de vie heureux. C’est avec ma compagne que je veux parcourir le reste du chemin jusqu’à la solitude de la vacuité et dans l’esprit du carpe diem et non de la mortification religieuse et poisseuse.
[1] MORIN Edgar, La méthode I. La Nature de la Nature, Paris, Points/Seuil, 1981, p.379.
[2] Les attitudes de Porter, in ANZIEU & Martin, La dynamique des groupes restreints, Paris, Seuil, 1968.
[3] « Un homme qui a atteint le niveau de la créativité, n’est plus avide. En même temps il a également surmonté sa superbe, ses illusions d’omniscience et d’omnipotence, il est humble et se voit tel qu’il est. Psychanalyse et zen transcendent tous deux l’éthique et cependant leur but ne peut être atteint sans qu’une transformation d’ordre éthique n’ait lieu. Un autre élément commun aux deux systèmes est leur indépendance affirmée vis-à-vis de toute forme d’autorité ? Une des raisons principales des critiques de FREUD contre la religion est d’avoir découvert la soumission à Dieu, un substitut illusoire pour l’ancienne soumission à un père punitif et protecteur. Dans sa croyance en Dieu, l’homme, selon FREUD, prolonge sa dépendance infantile au lieu d’assumer la maturité, ce qui signifie ne dépendre que de ses propres forces. Qu’aurait pensé FREUD d’une « religion » qui ne connaît ni Dieu ni autorité irrationnelle d’aucune forme ? Dont le but principal est de libérer l’homme de toute dépendance, de le vivifier, de lui montrer qu’il est lui-même – et personne d’autre – responsable de son destin. » Suzuki/Fromm/Martino, Bouddhisme zen et psychanalyse, Paris, Quadrige, PUF, 1981, p.139-140. Notons que ce principe est intéressant mais que l’homme croyant religieux est aux antipodes de pareilles réflexions.
[4] VARELA Francisco//THOMPSON Evan/ROSCH Eleanor, L’inscription corporelle de l’esprit. Sciences cognitives et expérience humaine, Paris, Seuil, 1993, p.176, 177.
[5] Huineng (Houei-neng) Le sixième patriarche du Chan (le zen en Chine), à l’origine de l’école du sud est né en 638 au Xinzhou (sud de la Chine). Son disciple FAHAI consigne l’essentiel de son enseignement dans le sûtra de l’estrade. Pour Huineng, la méthode n’est ni subite ni graduelle : « c’est l’homme qui est plus ou moins vif, plus ou moins obtus ». C’est avec lui que le chan prend son essor. Quand il meurt en 713, il n’est toujours pas reconnu.
[6] « Le samsara c’est l’existence caractérisée par l’impermanence ey le changement incessant , et donc aussi par le sentiment de la durée et du temps. L’absence de certitude quant aux renaissances possibles et aux souffrances à venir imprègne le samsara tout entier, des destinées les plus douloureuses au plus heureuses. » CORNU Philippe, Dictionnaire encyclopédique du bouddhisme, Paris, Seuil, 2001,p. 481. Attention, on oppose souvent le nirvana au samsara et il y a confusion avec FREUD car dans son principe du Nirvana c’est l’extinction de tous désir, alors que pour le zen se serait plutôt la vie de l’instant, l’Eternel présent.
[7] SAHLINS M., Age de pierre, âge d'abondance, L'économie des sociétés primitives, Paris, Gallimard, 1978.
[8] Varela et al., L’inscription corporelle…, ibid., p.330-331.
[9] GIDE André, Les nourritures terrestres, Paris, Livre de Poche, 1964, p.215.
[10] JUNG C.G., Le libre rouge, LIBER NOVUS, Paris, 2011, p.201.
[11] « Loin de moi la pensée de sous-estimer l’extraordinaire différenciation de l’intellect occidental ; mesuré par rapport à lui, l’intellect oriental doit être qualifié de puéril. (Cela n’a naturellement rien à voir avec l’intelligence.)(….) C’est pourquoi il est si lamentable de voir l’Européen se renier lui-même pour imiter et « affecter » l’Orient, alors qu’il aurait de telles possibilités s’il restait lui-même et découvrait selon son mode et conformément à sa nature tout ce que l’Orient a extrait de sa propre nature au cours des millénaires. » JUNG Carl Gustav, Commentaire sur le mystère de la fleur d’or, Paris, Albin Michel, 2003, p.25.
[12] HOUEÏ MING KING (TAI’CHI)
[13] JUNG, Commentaires sur la fleur d’or, ibid., p.56.

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