La LIBERTE de passer le pont de nos croyances
Mc Lean et Laborit
Selon Mc LEAN, nous dit Henri LABORIT[1], au fil de l’évolution, nous avons conservé les traces de nos cerveaux antérieurs :
1)le cerveau reptilien agressif et mu par les besoins et pulsions primaires (manger, boire, copuler,…) sans mémoire et donc aussi sans état d’âme.
2)Le cerveau des mammifères ou système limbique avec l’intuition, le ressenti, les affects (telle la peur par exemple) et la mémoire processuelle animale, base de l’apprentissage. La biche reconnaît le fusil du chasseur et tremble de peur de ses quatre pattes en se camouflant.
3) Le néo-cortex, dernière couche avec les neurones, spécifique à l’homme et qui nous donne la faculté de penser, d’anticiper, de créer. Donc aussi notre angoisse d’exister et d’appréhender la douleur ainsi que l’angoisse exsistentielle devant la mort.
Ces trois couches du cerveau fonctionnent ensemble et parfois l’une ou l’autre prédomine selon le contexte.Une soirée bien arrosée et la sexualité du prédateur seepent est titilée (l’homme a 5 fois plus de testostérone que la femme). Une carresse ou un mot gentil et notre partie animale ronronne. Une problème abstrait et nos cellules grises réfléchissent jusqu’à l’ « EUREKA ! » de la compréhension.
Toutefois, nous ne sommes pas libres car conditionnés par nos déterminismes sociaux (culturel et époqual), notre famille et notre histoire de vie mais aussi par notre cerveau qui triche avec notre perception du réel. Par exemple, mon cerveau m’envoie des signaux de douleur de la goutte de mon gros orteil alors que j’ai eu la jambe coupée. Mes yeux constatent l’absence de cette jambe mais la souffrance imprimée est toujours réelle même si je n’ai plus de gros orteil.
Le phénomène le plus étudié au sujet de notre peu de liberté de conscience est celui de la « dissonnance cognitive » de Léon FESTINGER qui dit en substance que nous réarrangeons nos souvenirs en les transformant. Cette expérience de 1967 est le socle explicatif de toutes les manipulations mentales : la rationalisation est à l’opposé de la raison.
Une dame devant une vitrine hésite entre deux robes similaires, l’une rouge, l’autre bleue, elle les essaye et toujours pas de déclic. La vendeuse lui dit que la bleue lui va mieux car assortie à ses yeux, elle l’achète et se dit qu’en effet elle a bien fait d’acheter la bleue. Ce dérapage de notre intelligence influencée est bien connu des marchands par correspondance qui font des courriers personnalisés et des cadeaux de pacotille. Mais le pire est dans l’exploitation de la détresse d’autrui.
Une veuve va consulter un charlatan marabout ; celui-ci la rassure sur le bien-être de son époux dans l’au-delà et au moment de payer ne lui réclame rien. Elle revient et ce sera une petite somme, puis un peu plus et ainsi de suite et le raisonnement biaisé chez la personne victime est en quelque sorte : « on en veut pour notre investissement ! ». La vieille dame de cette histoire de vie a vendu sa maison pour communiquer avec feu son époux via le charlatan. Elle vit depuis à l’hospice.
La liberté est un concept polysémantique. Est-ce la liberté de jouir ? Si c’est cela, je me drogue, je bois et je fais l’amour comme un fou avec viagra, une position hédoniste où l’on brûle la vie par tous les bouts. Une anecdote en passant, une souris de laboratoire dressée pour s’autoalimenter dans une cage de Skinner en poussant une pédalle ad hoc et à laquelle on branche une électrode sur son centre cervical du plaisir n’appuie plus que sur cette seconde commande et se laisse mourir de faim par abus d’orgasme.
Est-ce la liberté de faire ce que je veux ? On appelle cela le néolibéralisme, le fort exploitant le faible. Plus de service public gratuit, privatisons tout, polluons sans retenue et que les ¾ de l’humanité dite le tiers-monde crève de faim et de misère. On sent dans cette définition que notre globalisation économique est le mal à l’état brut et ne correspond plus avec le mot d’ordre de 1789 : « Liberté ainsi que Egalité ainsi que Fraternité ».
Donc avec les déterminismes sociaux, les répressions internes inconscientes du surmoi et les dérives de l’esprit du concept à la fois par les dissonances et les influences externes font que nous n’avons qu’une petite marge de liberté et de libre arbitre mais nous pouvons l’utiliser si nous nous servons à la fois d’une conscience awareness et de notre raison. Une petite vieille dépassée par un robot genre bancontact s’énerve, se fait du mauvais sang et recommence inlassablement ses erreurs, ce qui ne sera pas le cas d’une personne qui réfléchit et s’interroge sur elle-même et ses gestes.
Les deux cerveaux
Nous avons l’hémisphère cérébral gauche à dominance analytique et logique et l’hémisphère droit plus poétique, intuitif et créatif. Avec l’un, nous voyons les détails de l’arbre et avec l’autre, l’ensemble de la forêt et la perception de sa beauté. Cet hémisphère dit féminin (mais que les hommes possèdent aussi et vice versa) est celui de la conscience profonde dite awareness.
Que sommes-nous à l’échelle du cosmos ? Ma liberté est de vivre au mieux une vie d’insecte éphémère en résistant à ceux qui veulent encore plus me conditionner (les religieux) puis de retourner à la terre, au substrat de la nature sans forme. Je fais partie d’un tout qui me dépasse car je suis emprisonné dans mes concepts de temps et d’espace qui sont relatifs. Un cosmonaute voyageant dans l’espace à une vitesse lumière pourrait revenir de son périple plus jeune que son fils, nous dit Einstein.
Si nous allions notre raison gauche avec la créativité droite, nous pouvons percevoir « l’arroseur arrosé » par ses propres concepts. La science est toujours provisoire et relative mais nous allons très vite pour nous réinventer des certitudes. Nous avons une représentation du monde et de nous-mêmes qui dépend de multiples paramètres. Arrêtons de croire en notre égo, ce que nous appelons notre personnalité construite de bric et de broc puis rationnalisée et lissée dans le temps. Nos souvenirs sont reformatés et idéalisés et le futur n’existe pas encore, il n’y a donc que le moment présent de l’ici et maintenant pour apprendre à vivre et à mourir avec notre petite marge de liberté.
Les états modifiés de conscience
Dans les prochaines décennies grâce à l’imagerie médicale du cerveau (IRM), nous allons faire de grands progrès dans la connaissance encore peu connue de nos mécanismes mentaux et du contrôle ou non de nos émotions anxieuses. Edgar MORIN, chercheur au CNRS, commente le tableau de FISCHER des états modifiés de conscience avec une sorte de potentiomètre dont le zéro est le centre.
Ce tableau montre en substance que lorsque nous nous excitons mentalement dans la création comme dans la colère, nous sommes possédés dans notre comportement par une hyper-activité cérébrale (liée avec le cortisol et l’adrénaline) qui court-circuite notre conscience. Si nous nous maintenons dans cet état d’esprit (c’est le cas de le dire), nous allons vers des états schizoïdes avec une catatonie ou des hallucinations (apparitions), nous entendons des voix et enfin nous pouvons sombrer dans l’extase mystique.
Par contre, si nous essayons de calmer notre esprit en écoutant nos émotions et en distinguant les illusions (non étayées sur des faits) et les colères de vanité, nous nous approchons d’une hypoactivité mentale avec le yoga et le zen. La médiation zen débarrassée de ses fioritures religieuses puériles est une gymnastique de l’esprit très intéressante, sans pour autant être verbalisable car cela concerne le cerveau droit : « Comment voulez-vous partager le goût d’un fruit exotiques avec quelqu’un qui ne l’a jamais goûté ? », dit un sage. L’enjeu de la pratique méditative zen est à la fois simple et difficile : 1) arrêter de penser ; 2) se concentrer sur ce que l’on fait (conscience awareness).
En conclusion sommaire
Une fois débarrassé des influences externes directes (les critiques et jugements de valeur souvent négatifs de nos proches), une fois que nous avons pris conscience de nos déterminismes sociaux, une fois que nous acceptons que nous avons trop de certitudes et des préjugés (ou des stéréotypes professionnels) pour enfin pouvoir nous recadrer sur notre autoévaluation et notre perfectionnement sans donner des leçons à autrui, nous pouvons accéder à une introspection partielle et limitée de notre être intérieur, sans pour autant nier notre raison.
Qu’est-ce que je veux ? Réussir pour être reconnu socialement ? Foutaise ! Baiser comme un dieu ? Foutaise, c’est le reptile qui parle ! Etre aimé et reconnu par mes proches ? Bien sûr, mais c’est la biche ou le petit toutou qui parle en moi (système limbique). Alors qu’est-ce que je veux ? Souffrir le moins possible, vivre bien et préparer ma mort en en ayant conscience ?
C’est peut-être une conscientisation modeste mais fondamentale et qui devrait donner de la saveur à l’instant vécu. En effet, avec notre angoisse de mort, nous n’arrêtons pas de nous agiter, de travailler, de faire des tas de choses comme un enfant sage qui veut plaire à ses parents mais cet activisme maladif qui pousse certains d’entre-nous au burn-out est un simple camouflage de notre grande trouille de la mort. Il nous faut intellectuellement l’accepter : nous n’avons qu’une vie et lorsque nous serons morts, il ne restera que notre cadavre, noud dis Epicure.
Un adage chrétien disait « ma liberté est limitée à celle des autres », dans nos fantasmes réciproques de soumission au « qu’en dira-t-on ? » ; un autre, plus progressiste à mon sens, dit : « la liberté des autres étend la mienne à l’infini ». Et c’est bien là mon choix, celui de distribuer partout dans mes contacts humains des autorisations à vivre plutôt que des interdits variables d’une époque à l’autre, tout en restant bien entendu cadré par le respect des droits de l’homme.
La liberté limitée dans le temps et dans l’espace que nous avons comme existant est celle de vivre avec le moins de douleur possible (et donc sans autosacrifice et mortification imbéciles pour un au-delà imaginaire de consolation) et avec nos proches d’une qualité (et égalité) relationnelle intéressante. Comme disaient les alchimistes, il nous faut sublimer une morale de contrainte en une éthique du don généreux et sans façon. Arrêter de demander, de l’affection par exemple, mais en donner car tous les êtres humains sont en soif de reconnaissance affective.
Soyons nous-mêmes sur notre propre chemin et luttons contre notre dressage de jeunesse à la critique négative, un conditionnement ; pour, au contraire, encourager les autres à dépasser leur peur pour vivre ensemble le peu de liberté et de joie que seuls nous-mêmes pouvons nous octroyer.
« Mourir pour des idées, d’accord mais de mort lente. »(BRASSENS)
Jean-Marie Lange,
11.11.2010.
[1] LABORIT H., Eloge de la fuite, Paris, Gallimard, 1989. LABORIT H., L'agressivité détournée, Paris, 10/18, 1981. LABORIT H., La légende des comportements, Paris, Flammarion,1994.
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