mercredi 16 février 2011

CAP n°32 Psychologie et chamanisme

GROUPE D’AUTOFORMATION PSYCHOSOCIALE
Association pour le développement de l’autonomie et de la participation sociale
Association Sans But Lucratif (a.s.b.l.) n°874273371
Siège social : 40, rue Saint-Lô, BE 5060 FALISOLLE,
Président Patrick LECEUX 0496/627678 patrick.leceux@mac.com
Coordination pédagogique: Jean-Marie LANGE jm.lange@skynet.be
DEXIA : 068-2426901-85; IBAN BE89 0682 4269 0185 BIC GKCCBEBB
Groupe d'Autoformation Psychosociale : Formations des adultes et actions humanitaires. L'association de formation des cadres GAP est une association (asbl) spécialisée en management associatif, en recherche-action participative et en prévention des conflits de groupe. Elle se veut résolument sans but lucratif; aussi, lorsqu'elle dégage un quelconque bénéfice, elle conçoit le projet d'une aide humanitaire technique et ciblée au Tiers Monde en partenariat avec les villageois. Le GAP est un opérateur de terrain qui se réclame de l'application des droits de l'homme et ne se réfère à aucune confession et à aucun parti politique.
Site http://soutien.et.autonomie.free.fr Blog : http://gap.belgique3.blogspot.com;

CAPI – Cahiers d'Autoformation Psychosociale en Pédagogie institutionnelle -
SOMMAIRE des précédents articles de cette revue bimensuelle de réflexions pédagogiques du GAP
N°1 – Janv-Fév. 2006 : Qu'est ce que le GAP ?
N°2 – Mars-Avril 06: Le cahier des offres de formation du GAP.
N°3 - Mai-Juin 06 : La colère des enseignants (gestion des conflits – opus 1)
N°4 – Juill.-août 06 : La pensée rationnelle (gestion des conflits – opus 2)
N°5 – Sept.-Oct.06 : Totem et tabou
N°6 – Nov. Déc. 06 : Jalousie et fonctionnement à la croyance (Médiation couple – opus 1)
N°7 – Janv.Fév. 07 : L'Avant-projet pédagogique BURUNDI
N°8 – Mars-Avril 07 : La Dynamique des Groupes, l'organisation sociale et l'homme de la singularité.
N°9 – Mai-Juin 07 : Histoire de vie en groupe et aide sociale (Proposition au Congrès international des professionnels francophones de l'intervention). Pédagogie du projet.
N°10 – Juillet-Août 07 : Rapport d'activité "Enfants de Kayoba" première phase "Voyage d'études et de faisabilité 2007"
N°11 – Sept.Oct.07 : Le chaman et le formateur
N°12 – Nov.Dec. 07 – L'identité personnelle, une insertion sociale ?
N°13 – Janv.Fév.08 – La genèse des alchimistes pour l'éducation à une spiritualité laïque
N°14 – Mars-avril 08 - Le travail des intervenants sociaux (1) : Pour une insertion sociale et multiculturelle citoyenne.
N°15 – Mai-Juin 08 – Le travail des intervenants sociaux (2) : Emploi, travail et méthodes d'intervention.
N°16 – Juillet-Août 08 – Le travail des intervenants sociaux (3) : Fantasme de toute puissance, démocratie ou génocide.
N°17 – Sept. Oct. 08 : La souffrance du désir et le détachement
N°18 – Nov. Déc.08 : Le stress et les consciences
N°19 – Janv-Fev 09 : Le triangle rouge de la lutte contre tous les racismes
N°20 – Mars-Avril 09 : La psychologie des émotions.
N°21- Mai-juin 09 : La raison sensible (combattre les fidèles au nom des infidèles).
N°22 – Juill-Août 09 : Le néant et l'être affamé
N°23 – Sept-Oct 09 : Multiculturalisme et autoformation
N°24 – nov.dec.09
N°25 – Janv.fev10 : la matière, le vide, la nature et l’éducation.
N°26 – Mars-Avril10 : Le sexisme, forme principale de racisme.
N°27 – Mai-juin 10 : Sorcellerie et ethnopsychiatrie
N°28 – Juil-août10 : Pour une introduction à l’anthropologie culturelle et sociale
N°29 – Sept-oct10 : Le combat perpétuel de la démocratie participative
N°30 – Nov-dec10 : Les sans-papiers
N°31 – Janv-Fév 11 : le couple et l’institution du mariage (Médiation couple - opus 2)
N°32 – Mars-Avril11 : La psychologie systémique et le chamanisme


Première partie : l’Ecole de Palo Alto
« Pas d’amour et pas de haine pour toute la race humaine.
Je suis seulement de passage dans ce monde enrage.
Que l’on soit russe, noir ou blanc, on a tous le même sang,
Seulement de passage, tous ensemble on est de passage. »(Graeme ALLWRIGHT, 1968)
Les principes de Pierre JANET, précurseur de l’autohypnose
« Vous savez bien qu’une femme qui n’urine plus ne peut pas vivre longtemps. Or c’est fini je n’urinerai jamais. – Qu’est-il donc arrivé ? Ce n’est pas ma faute, Dieu l’a voulu…Je ne sais comment vous expliquer. Un verset du Cantique des Cantiques vous renseignera : « Mon épouse est un jardin fermé et une fontaine est scellée ». Il y a aussi cette parole que l’âme dit au bien-aimé : « Qu’il me donne un baiser de sa bouche ». Dieu en mettant des baisers partout a mis un sceau et je ne pourrai plus jamais uriner. »(Madeleine, cas d’étude de JANET)[1]
Pierre JANET (1859-1947), dans sa description des états psychologiques d’hyperactivité cérébrale précédant l’extase évoque « l’état de consolation » : son sujet, Madeleine, reste immobile pendant des heures les bras en croix avec le sourire aux lèvres. Dans cet état d’immobilité du corps, une grande activité psychologique interne a lieu (paroles intérieures, images, pensées,…) et est accompagnée d’une joie béate et de sentiments optimistes. Ces attitudes sont propres à tous les mystiques. De cet état d’hébétude et de non communication verbale, le sujet va évoluer vers l’extase (la jouissance) puis le ravissement (la joie). Le premier degré dit de consolation et/ou de recueillement semble pénible et prendra fin avec l’extase. Madeleine peut être assise ou agenouillée sans mouvement (catatonie ?) mais avec des réactions lentes (comme au ralenti) à des stimulations externes et s’il s’agit d’une réponse, à voix très basse.
L’extase est une immobilité totale dans une attitude de prière ou de crucifixion. Le sujet ne réagit plus, ne répond plus. En temps normal, Madeleine a une vie ascétique mais durant l’extase, il peut y avoir arrêt du métabolisme. Pas de nourriture ni de boisson pendant 48 heures, les fonctions d’excrétion (y compris miction) sont aussi supprimées. (Elle a déjà tendance à la constipation en période d’activité.). La respiration est diminuée. Le sujet reste sur la pointe des pieds et ne pose jamais ses talons sur le sol. Notons une remarque que Madeleine fait à JANET : « A quoi cela sert-il que les hommes me comprennent puisque Dieu me comprend ? ». Ce désintérêt de la vie sociale face à la joie de l’ineffable est propre aux mystiques. Mais si nous utilisons une autre grille de lecture, celle du désir, pourquoi JANET a-t-il cette place si importante dans la vie de Madeleine, y compris lorsqu’elle est en pleine extase ? Poser la question est y répondre. Epinglons également une confidence significative de Madeleine : la supériorité du spirituel sur le matériel.
Elle est bien de son époque (fin XIX°) se perdant en déclarations infinies sur l’immoralité sexuelle puisqu’elle se prend comme sainte jouissant avec Dieu. A notre époque plus pointue des sciences de l’esprit et du corps, on pourrait parler de conditionnement religieux ou refoulement de la sexualité, une fonction de nature (créée par Dieu). Rappelons les paroles du philosophe BOUDDHA (qui n’était pas un dieu) nous invitant à choisir la voie du milieu : ni ascèse mortifère libérant des hormones de bien-être (comme l’endorphine et la sérotonine), ni hédonisme compulsif mais la joie et le plaisir de l’instant comme diront également EPICURE et SPINOZA.
Le Ravissement c’est quand l’activité interne paraît cesser et qu’elle raconte ses pensées et ses visions. Elle évoque l’extase comme une délicieuse ivresse (sérotonine ?). L’engourdissement n’est pas de la torpeur et le sujet se souvient des interventions du médecin alors qu’elle semble dormir. Si le médecin lui demande quelque chose, elle ne bouge pas mais par contre s’il s’adresse à l’Autre de son Soi avec la culture de l’époque, il y a réaction. Par exemple : « Demandez à Dieu qu’il vous permette de vous lever et de venir avec moi ! ». Elle obtempère et cela fait penser à l’ethnopsychiatre qui s’adresse à l’Autre du Soi et/ou au chaman qui négocie avec les démons ayant enlevé l’âme de son patient.
Les trois états sont liés et au besoin, elle peut repasser de l’extase au recueillement. Les yeux sont mi-clos, l’immobilité totale y compris des muscles faciaux et la bouche évoque une moue comme pour un baiser, ce que l’on retrouve sur les masques KIFWEBE des SONGYE (RDC).
« Madeleine, qui est en réalité et qui a été toute sa vie la plus pudique et la plus chaste des femmes, perd toute pudeur dans certaines crises d’extase et nous montre brutallement qu’elle est, non seulement la fille de Dieu, la mère de Dieu, mais qu’elle est encore la maîtresse ou, si l’on veut, l’épouse de Dieu et qu’elle sait l’être complètement. Nous avons déjà remarqué que pendant les extases la bouche prend l’attitude du « baiser perpétuel », à certains moments Madeleine parle sans cesse de ce baiser. »[2]
Avec le lien établi par JANET (et sa formule de s’adresser au grand Autre possédant Madeleine), il y a la relation particulière de l’intervenant psychosocial qui, s’il commande un ordre impliquant un mouvement, est écouté ; autrement dit, ce qui pour les infirmières est de la catatonie (si les infirmières forcent la patiente a baisser ses bras en croix, lentement la malade reprend la pose) devient avec le médecin de la catalepsie. Notons en passant avec l’anneau de Moebius, que les extrêmes d’une contradiction, même psychique, se rejoignent puisque la catalepsie est le propre du chaman en activité.
Les principes de la sorcellerie et du chaman
ERICKSON le maître de l’autohypnose de la psychologie systémique de l’Ecole de Palo Alto (Californie), nous conseille de saturer l’hémisphère cérébral gauche (dit cerveau rationnel) d’un babil de propositions contradictoires tout en regardant les mouvements du pendule (objet brillant) qui n’est qu’un leurre pour appeler à la conscience l’hémisphère droit et l’autre moi du sujet, celui en lien avec le corps, la féminité et peu en rapport avec notre bain culturel rationnel. Il conseille de prendre les mêmes poses que celle du sujet, le même ton, un mimétisme, une imitation de sympathie.
Au fond, dans l’interaction interpersonnelle, le thérapeute, intervenant psychosocial, chaman ou sorcier imite au verbal et au non verbal (mouvements, mimiques, poses,…) son vis-à-vis avec l’environnement de la culture commune, cet espace symbolique particulier de l’ethnie considérée à partir duquel nous forgeons nos représentations mentales et il réagit à l’influence exercée par « l’ensorcelé », autrement dit l’initiative du mouvement est portée au crédit du patient.
Les divers ethnologues rapportent que, dans toutes les sociétés, il y a ceux qui agissent et « manipulent » et ceux qui subissent le rapport interactif en croyant le mener. Ceux qui connaissent le mécanisme interactif et le mode opératoire, ce sont les informateurs sorciers et non les ethnologues qui les interrogent. On sait depuis toujours que celui qui pose une question se dévoile à travers celle-ci. Le sorcier imité prend l’initiative du mouvement et suggère un mouvement différent à l’autre, ce que les thérapeutes appellent eux la provocation. Le sorcier sait qu’avec cette attitude et ce comportement, il exerce une influence même délirante sur l’autre. Le sorcier écoute et capte la communication de l’autre, il la mémorise sans réaction, il est lui imperméable à la suggestion car il a son projet qui lui donne une supériorité sur l’autre, celle d’être le moins suggestible.

Dans la psyché du chaman, de la magie comme du thérapeute, les représentations sont des désirs du futur et la répétition (névrotique) appartient au passé, à une histoire de vie toujours en voie de digestion, à un choc traumatique toujours en voie de résorption. Il y a interaction à partir du signifiant culturel qui peut devenir croyances avec une lecture de l’intervenant dont ces mouvements sont extraits d’une histoire de vie vécue dans une culture donnée en implication authentique comme hétérosuggestion. Les interprétations et mouvements de « l’ensorcelé » qui lui semblent être une imitation venant de sa propre volonté de ce qu’il voit et entend et qui sera vécu sont de l’autosuggestion. Bon nombre de praticiens de l’autohypnose m’ont déjà confié lors d’examens de mémoires d’assistants en psychologie qu’ils exercent leur influence d’autohypnose sans que le patient n’en ait conscience.
[3]
Ce que René LOURAU appelait l’analyse implicationnelle n’est pas un jeu car le sorcier et l’ensorcelé sont pris ensemble dans les rais d’une même culture. La sorcellerie est un discours que l’on ne peut vraiment comprendre qu’en se laissant prendre dans la culture qui le contient, l’intervenant psychosocial avec son discours opérant joue sur un fil suspendu éprouvant et dangereux car de l’autre côté pour le funambule, il y a la croyance. La sociologue Jeanne Favret-Saada a bien étudie cette interaction des émotions dans le « couloir d’influence » ; en effet, la résistance de l’envoûté peut inverser le rapport de force en provoquant un « choc en retour » capable de retourner le charme sur le sorcier lui-même.
Le chaman peut mettre son cerveau en hypoactivité avec des Etats Modifiés de Conscience (EMC) s’approchant du zen ou du yoga. C’est pour cela que le chaman demande que l’on ne touche pas à son corps immobile (en catalepsie) pendant plusieurs jours. Sa psyché voyage dans les mondes inférieurs et supérieurs à la recherche de l’âme perdue du patient, dit-il. Lorsqu’il réincorpore son corps, il a le poing fermé et glisse l’âme dans l’oreille droite du patient car il ne peut s’empêcher d’ajouter toujours une pincée de merveilleux.
Le chaman a donc une vision active de la surnature au moyen de cette transe calme qu’il contrôle et il va négocier d’égal à égal avec les esprits des rêves pour récupérer l’âme. Par contre, dans les cultes de possessions africains ou brésiliens, par la musique, les chants, les incantations, le cerveau est placé en hyperactivité : il y a des apparitions, le sujet entend des voix puis devient le cheval (ou la jument) du génie, il s’agit d’une conception passive, il est l’objet de forces invisibles. Notons que dans les transes des Yoruba (Nigéria –les Orishas), du Vaudou (Haïti – les Loas) ou du candomblé (Brésil – les Saints), c’est un honneur de devenir le cheval d’un génie. En principe, les aires culturelles ne se mélangent pas mais nous pourrions dire que chez nous en Europe, Ste Thérèse d’Avila et Jeanne d’Arc sont des possédées chargées de mission.
A côté des possessions souhaitées et appelées, il existe des possessions non voulues (les DJINN ou esprits des champs de bataille ou de noyés, le plus souvent méchants), cette sorte d’esprits incrusteurs, proche de nos hystéries est synonyme de désordre, de troubles maléfiques d’où les exorcismes des chrétiens et/ou le recours à l’ethnopsychiatrie.
« La possession par l’Autre est forcément pathogène. Elle s’aggrave par la négation que lui oppose la culture. Celle-ci voit dans tout désir, dans tout mimétisme, le Diable qu’au Moyen Age on appelle…l’Autre. La culture fourvoyée cherche à se débarrasser de l’Autre par un stratagème mythique, l’expulsion : c’est l’exorcisme. Et par définition, cet exorcisme est pathogène : il veut expulser l’Autre comme si l’on pouvait nier l’altérité. Il cherche – et c’est peut-être là que réside le seul satanisme de toute l’affaire – à soustraire l’homme à l’influence de l’Autre, c’est-à-dire à le guérir radicalement de son…hominité même. La possession par le Diable est une lecture pathogène de la réalité mimétique (qui devrait être ethno psychiatrique), du rapport interindividuel. Et c’est ainsi que le remède est pire que le mal, car la négation de l’aliénation et de l’altérité aliène et altérise non seulement la possédée mais tous ceux qui, autour d’elle, tentent d’exorciser l’Autre et de la guérir de…sa condition humaine. »[4]
Enfin le quatrième cas classique est celui de la chasse aux sorcières où le désorceleur va désigner au jugé un bouc-émissaire pour son psychodrame. Celui désigné ensorceleur est reconnu et approuvé par tous et on ne peut plus lui serrer la main, ni le regarder dans les yeux, ni l’écouter dans sa bonne foi (mais y-a-t-il quelque part une bonne foi ?). Tout va se passer entre le double du sorcier présumé et le double du désorceleur (dit le bon) avec bien sûr, qualité obligatoire, un public qui assiste aux représentations théâtrales. Par exemple, le désorceleur fait chauffer du sel dans une poêle sans graisse et projette ce contenu dans la direction où vit le pseudo-sorcier. Souvent, le désorceleur est en sueur et épuisé d’avoir lutté avec le double de l’autre, soit des efforts pour gagner son salaire et « cela se voit bien ! ».
Pour ce cas de figure, pensons aux milliers de sorcières torturées et brûlées en 4 siècles de Sainte Inquisition. Notons que ce mécanisme victimaire est aussi employé par les chefs d’Etat qui désignent au peuple un ennemi extérieur pour focaliser la grogne de celui-ci sur autre chose que leur propre incompétence. La mise à mort rituelle sur la place publique avec les grands seigneurs de la ville et les prélats de l’église serait donc le remède supra magique pour rétablir la santé, la paix et la sécurité grâce à la victime expiatoire ? S’il y avait un dieu, ce serait une éthique que de le combattre pour son laxisme. Pourtant, les sorcières se multiplient au fur et à mesure qu’on les extermine, un prodigue ? Le vrai remède sera l’imprimerie car un livre peut être relu chez soi l’esprit clair sans l’excitation de la foule. Alors les textes – comme le fameux Marteau des sorcières – apparaissent pour ce qu’ils sont : des textes de persécution à forte connotation du péché de chair (l’interdit obsessionnel des religieux).
En bref :
- Tous les maux que vit le pauvre Marcel « bas de plafond », sont causés par le bouc-émissaire » désigné sorcier en titre,
- Le désorceleur « prend tout sur lui » et – comme Zorro, Torquemada, ou Alberto Guy –affronte le conflit violent avec le dispensateur du mal à l’aide d’un bras armé pour poser la question (par la torture),
- La cure de désenvoûtement implique deux sacrifices : 1) débarrasser l’ensorcelé de sa culpabilité et 2) le débarrasser après identification du « vrai » coupable de sa vengeance violence.
Autrement dit avec la lecture de la raison, il y a :
Des accusations mythiques, un pseudo-procès inique et le sacrifice public de la victime désignée (sorcière, jeteur de sorts…quel que soit le commanditaire des maléfices). Les moteurs de cette supercherie sociale sont la peur et l’obscurantisme, l’ignorance d’individus crédules et non des sujets autonomes conscients de leur pouvoir de raison.
Notons pour être complet, qu’à côté de ces milliers de chèvres émissaires qui forniquaient avec le Diable, il y a aussi quelques sorciers tueurs professionnels qui vont également jouer sur l’effroi de l’envoûté avec – au besoin - des poisons placés sous les ongles du tueur et qui se dissolvent dans la boisson qu’ils offrent à la victime désignée.
Pour conclure avec les chamans guérisseurs et leurs principes qui nous intéressent, rappelons qu’en-deçà de la mise en scène mélodramatique, ils utilisent aussi bien des plantes médicinales (si le sujet veut seulement guérir sans être initié à leur ordre « l’homme-médecine ») que des plantes hallucinogènes qui, elles, seront comprises comme épreuves psychédéliques dans les divers échelons de cet apprentissage au perfectionnement de soi pour devenir des structures vivantes de la stabilité sociale.
En synthèse, entre les initiations mimétiques et les diverses pratiques sorcières (magie de sympathie), nous pouvons constater que des peuples de l’Afrique sur l’axe équatorial, distants d’environ 500 km chacun (donc sans route ni moyen de communication aisé) peuvent développer des similarités troublantes au niveau des rituels, ce que JUNG nommait les archétypes.
Le processus en lien avec des drogues hallucinogènes est en rapport avec le soma hermétique des alchimistes de notre histoire et des Véda indiens.
· On va retrouver dans nos terroirs l’ergot de seigle CLAVICEPS PASPALI ou CLAVICEPS PURPUREA dont on peut extraire l’alcaloïde LSD des hippies, similaire à celui utilisé lors des Mystères d’Eleusis.
· On va retrouver dans le culte du BWITI des MITSOGHO (sous-groupe FANG du Gabon) des décoctions de racines de l’IBOGA avec son principe actif de l’IBOGAÏNE.
· Le champignon au chapeau à tâches rouges, l’amanite tue-mouche AMANITA MUSCARIA, également un alcaloïde, considéré auparavant comme le seul SOMA ARYENS.
· Une opération préparatoire (pour éviter les mauvais trips) est le silence de l’enfermement sous la terre, dans un trou d’eau, dans un cabinet de réflexion, sous des branchages avant de renaître en sortant d’une galerie étroite pour voir le lever du soleil, pris par le bras par un ancien.
· Notons enfin qu’en confirmation d’une initiation, le néophyte est frappé symboliquement trois fois au front avec une pierre chez les Mitsogho et chez les Léga (RDC) trois machettes mises en triangle encadrent son visage et on frappe chacune des machettes avec une invocation sacrée. Notons également que toutes les initiations se terminent – comme chez Astérix – par une fête arrosée où boire et rire ensemble ont leur dernier mot, parfois avec bacchanales dionysiaques. En bref, l’ouverture du soma de la perception due au départ au seul amanite tue-mouches du Rig-Véda est donné par les passages dans la terre, dans l’eau, dans l’air de la parole secrète et le feu (les ingrédients complémentaires de la pharmacopée sont de 7 parts pour le feu (ergot), 3 parts pour l’eau (Iboga) et 5 parts pour l’air (amanite tue-mouches).
Deuxième partie : LA PSYCHOLOGIE SYSTEMIQUE et LE CHAMANISME (II)
« Toutes les grandes calamités de ce monde ont été perpétrées au nom d’un alibi. Le colonialisme, le communisme, l’apartheid, les religions,…Des prétextes, des justifications. Je suis fatigué de mes propres excuses et de celles des autres. Dorénavant j’assume la responsabilité de mes actes. Sans me défiler, j’ai le choix, tu as le choix. On peut décider de sa vie c’est tout. C’est le seul choix qui nous reste. Mener une vie responsable, prouver que si on veut changer les choses, il faut commencer là, en soi-même. »(Déon MEYER, L’âme du chasseur, Paris, Points, 2000)
Introduction à la seconde partie
L’homme (ou la femme) parle et s’imagine que « ce qu’il dit, il est ! », l’illusion de notre persona, d’abord à nos propres yeux. Pourtant, nous sommes plus que ce que nous disons et que nous nous racontons : nous sommes une entité biologique interactive avec un corps qui s’exprime, qui transpire sa force ou sa faiblesse et avec ce que les Grecs appelaient l’âme et que nous nommons la psyché et d’autres l’inconscient et d’autres encore la force de caractère qui serait au mieux, comme dit SCHOPENHAUER, la volonté et le goût de vivre et le pouvoir du corps de se battre pour sa survie. Je ne pense pas que nous devions choisir entre l’une ou l’autre lecture, nous sommes comme une couche de l’oignon avec celles en-dessous, l’inconscient, l’être intérieur ou observateur neutre, le cosmos et au-dessus nos interrelations personnelles, groupales, sociales et politiques (dans le sens citoyen du terme et non dans le sens mouton bêlant) et encore au-dessus l’espèce et la nature provisoire de laquelle nous faisons partie par nos atomes et molécules, puis le vide intersidéral sans le moindre grand architecte qui ne peut être que fantasme fabulateur pour contrer nos angoisses de mort définitive. La volonté (définie par SCHOPENHAUER) se donne à voir chez celui qui parle avec une « aura » sensitive qui reflète autant sa réflexion que son tonus et son ressenti. La compréhension des émotions n’est pas à réduire à leur seule expression par les sentiments (joie, tristesse,…),qui au niveau des mimiques, sont communs à toute l’humanité. En effet, un homme qui rit ou qui pleure, quelle que soient son langage et sa culture, a une expression similaire. Ce qui pourra être différent est dans son détachement de cette partie animale réactive qui nous fait souffrir moralement comme physiquement. L’existence est un moment passager. Toutes les angoisses écrites ou non en prières à une quelconque force supra-humaine ne servent qu’à nous consoler. Nous sommes de la vie dans l’ici et maintenant et rien d’autre et ce n’est déjà pas si mal.
Les maîtres du désordre que sont les guérisseurs chamans se servent d’allégories, de rituels, d’incantations et de théâtralisation tout comme les thérapeutes de l’ethnopsychiatrie occidentale sans y croire eux-mêmes et sans pour autant être des « charlatans » (surnom des marabouts magiciens africains) visant le lucre et l’exploitation de la misère humaine. La force des chamans est le plus souvent dans une pensée positive s’opposant aux perturbations aussi bien psychiques que physiques. Un peu comme dans la philosophie bouddhiste, le demi-Dieu AVALOKITESVARA (mais il n’y a pas de dieu dans le bouddhisme !) renonce à l’immortalité du nirvana pour rester un bienveillant au service des hommes tant qu’il y aura de la souffrance (donc en principe jusqu’à l’extinction logique de notre espèce).
Pour établir un lien avec les plantes hallucinogènes évoquées dans la première partie, notons qu’il y a 4.000 ans, les Indo/Iraniens ou Aryens se sont scindés en deux groupes : l’un est allé vers le sud de la vallée de l’Indus et utilisant une drogue chamanique que l’on retrouve dans les rituels indiens du RIG VEDA : le SOMA (aujourd’hui le SOMA serait un mélange de l’amanite tue-mouche des origines, de LSD et d’IBOGA (du Gabon) ; l’autre groupe est resté dans le territoire d’origine en Asie centrale au Nord de l’Inde et dans le rite de l’AVESTA Iranien, la drogue identique est alors nommée le HAUMA (provoquant des images entoptiques ou « constantes de formes »). Il existe une connexion neuronale entre la rétine subissant l’influence de la lumière sur ces cellules réceptrices et le cortex visuel. Le courant informationnel va dans les deux sens. Lorsque l’on se frotte les paupières fermées, on voit des sortes de points lumineux, des phosphènes revenant du cortex visuel vers la rétine, une constante de formes. Le processus hallucinatoire se déroule de la même façon lorsque le sujet essaie de trouver un sens aux phénomènes entoptiques chamaniques, le cerveau les traduisant en images familières. Ainsi, les images du rêve deviennent réalistes comme les illusions de chute dans un tunnel ou dans un tourbillon.
Pour établir également un lien avec l’histoire des religions, notons qu’en terre d’islam, chez les initiés au rituel de possession religieuse, la montée dans les étages supérieurs de la création (de Dieu) et la rencontre avec les génies qui y séjournent s’appelle MJERRED (« être nu »). La fin de cette transe est le retour sur terre (la réincorporation du chaman dans son corps) et non – comme dans les cas d’exorcisme en Europe – la sortie d’une entité étrangère.
Par exemple, au Maghreb, l’ordre de la NAQCHBANDIYYA (confrérie soufie) a rayonné depuis BOUKHARA (Ouzbékistan) dès le XIV° siècle. Le thème du voyage dans les lieux des génies et/ou des djoûn (djinn au singulier) d’en-bas est un peu comparable au « rêve éveillé », technique d’autohypnose de FREUD.
L’influence des mouvements soufi lors de la pénétration de l’Islam au Maghreb puis dans l’Afrique sahélienne fut considérable. Le culte des saints et les pratiques confrériques ont conservé au Maroc des traces tangibles comme les KOUBBA (petits sanctuaires surmontés d’une coupole). Les confréries soufistes établiront des ZAOUÏA (bâtiments plus importants) dans l’ensemble du monde musulman. Le chef de confrérie était appelé CHEIKH (le « Vieil homme »), les adeptes sahéliens se disent descendants d’esclaves noirs razziés (au Mali par exemple, les peuples Bambara, Bozo, Senoufo, Songhay,.. .). Notons enfin que la folie sacrée évoquée dans les textes soufi comme « celle des fous de Dieu » n’a rien à voir avec la maladie mentale ; au contraire, les soufi dissocient la JIDBA (possession mystique) de la folie ordinaire pathologique des MAHBOUL (fou).
Rappelons enfin que le DJINN est un esprit malin plutôt méchant que l’on associe aux âmes des champs de bataille ou aux noyés et que le culte des ancêtres ne veut pas dire que ceux-ci sont bienveillants mais au contraire exigeants envers les vivants. Lorsqu’une âme d’un ancêtre est irritée, elle se venge en donnant l’une ou l’autre maladie. En pays DOGON (Mali), les femmes vont alors jeter une offrande de bouillie de mil sur les grosses pierres proches de la sépulture du courroucé. Auparavant, le rituel était plus sophistiqué : on déposait la bouillie de mil dans une demi-calebasse puis ce récipient sur une échelle DOGON en miniature appelée WAGEM, les esprits (invisibles) grimpant alors à cette échelle pour consommer l’offrande.
Le rêve, la transe et les hallucinations
« (Les cultes de possession) sont comme d’autres rituels des formes authentiques et passionnantes, complexes et belles de la spiritualité. Une des sources où les âmes altérées peuvent étancher leur soif et boire le ciel. » Roger BASTIDE cité par THOMAS LU, Possessions, Paris, Galaxie anthropologique, Paris, 1993,p.83.
Le rêve est à la fois un phénomène naturel relevant du système nerveux central ET culturel car influencé par la vie diurne et les évènements vécus. Il est nécessaire de penser ensemble ces deux sources dialectiques. Si nous ne voyons que le côté nature, le phénomène est parcellaire et si nous privilégions, comme dans la psychanalyse, le côté culture, c’est alors de l’idéologie gonflée par les spécificités de notre anthropocentrisme. Nous ne pouvons que tendre vers l’objectivité mais le plus rigoureux des chercheurs aura toujours des prémisses en accord non conscient avec ses valeurs et ses normes ;c’est pourquoi, le philosophe Jürgen HABERMAS évoque au mieux l’intersubjectivité comme distincte de la subjectivité et s’approchant autant que faire se peut d’une certaine objectivité.
Nous ne naissons pas sur une page blanche mais avec une culture déjà là, spécifique à notre milieu, notre famille et notre époque. Nous pouvons certes au fil de notre histoire de vie influencer un peu (très peu) notre société mais toujours avec cette dialectique du bain culturel et de l’idéologie d’une époque donnée.
Au-delà de l’instruction de base, nous apprenons avec le symbolisme culturel ambiant à nous insérer avec le plus d’harmonie possible dans notre groupe d’appartenance mais comme nous sommes « le nez contre la vitre », nous peinons toujours à l’analyser correctement. Ce ne sera que par la méthode comparative où nous nous confrontons avec les cultures des autres que nous pourrons mieux comprendre notre propre bain culturel.
Notons que si le rêve est un phénomène transculturel en soi, ses effets sont parfois opposés, par exemple entre les cultures du livre et les cultures orales du tiers-monde. Nous rêvons à partir de notre culture alors que les indiens d’Amazonie, nous dit Bastide, font l’inverse : leurs rêves créent de la culture.
Notre civilisation technoscientifique a asséché par la productivité du travail ces aspects de l’imaginaire et du symbolisme. Nous sommes trop cartésiens rationalistes pour accepter la fonction poétique de l’hémisphère cérébral droit, une autre manière de décoder ou plutôt de simplement accepter et recevoir la part du rêve jugée par notre rigidité comme subjectivité irrecevable.
Le point de vue psychosocial
Pour le chaman en catalepsie, son rêve est un voyage de l’âme dans le pays des mondes invisibles (les génies, les ancêtres,…). Chez nous avec les travaux récents en psychogénéalogie (l’histoire de vie de nos ancêtres), nous arrivons seulement à conscientiser l’impact de l’influence de nos ancêtres morts sur nos choix de vie, influence qui a marqué également nos propres parents ; on appelle cela la loyauté familiale invisible.
Nous avons bien sûr sur le plan individuel la mort du sujet source de l’angoisse existentielle et de la peur de mourir mais aussi la mort-mythe collective des archétypes de JUNG ou encore du « nom du père » de LACAN. La psychanalyse limitée à notre nombril et nos fantasmes est aujourd’hui une perspective du XIX° dépassée. Par contre, la psychologie dynamique se déploie en associant la psyché (l’âme) à la culture.
Résolument centré sur le recoupement des faits et des arguments, nous garderons toutefois par commodité et clarté pédagogique les appellations mystiques. Par exemple, lorsqu’en histoire de vie, on parle de fantômes, on devrait développer qu’il ne s’agit pas d’ectoplasmes surannés mais des secrets de famille encryptés au même titre que certains de nos désirs sexués. L’essentiel est le pragmatisme, à savoir comprendre ce qui fait souffrir pour aider la personne à se recadrer et à se libérer de ses obsessions ou de ses démons.
Sainte Thérèse d’Avila avait des extases, un « ravissement » d’être possédée par Dieu de façon sensuelle et mes amis africains eux sont possédés lors de la transe en devenant les chevaux des esprits, des génies. Ce que nous appelons la transcendance ou l’ascension de l’âme vers Dieu est en Afrique et au Brésil inversé, c’est la descente des Dieux sur les « chevaux » que sont les possédés consentants. Les possessions divines illuminent les humains alors que les morts mécontents sont comme nos diables, on les respecte parce qu’on en a peur.
L’exorciste catholique chassait les démons du corps (les désirs inférieurs) et il en va de même pour les possessions pathologiques en Afrique. Par exemple, chez les DOGON du Mali, environ un an après un décès, la société des masques AWA (ne pas être reconnu par l’âme) va danser sur le toit de la maison pour faire décoller les âmes nostalgiques de la vie qui seraient restées au plafond de la demeure.
De même, le double invisible du sorcier de magie noire qui lance un sort va « manger » l’âme du sujet (il devient dépressif) et il faudra un contre-sort de magie blanche (parfois le même NGANGA devenant guérisseur) pour libérer le sujet, ce que nous appelons chez nous le thérapeute.
Nous sommes des matérialistes désabusés mais le possédé par un Dieu est lui transfiguré par ses croyances qui vont unifier sa psyché dans son obsession. Notons que si une divinité possède une personne non initiée à la culture, la transe peut alors avoir un aspect chaotique et il faudra réinsérer le sujet dans le symbolisme de son ethnie ; ce sont en quelque sorte des extases contrôlées par la société. Notons également que lorsque les morts hantent/tourmentent les vivants, les génies sont réticents à en prendre possession, les dieux préfèrent alors rester en-dehors.
Un ami à qui je demandais s’il était musulman ou animiste, me répondit les deux. Comme je lui réclamais des détails, et il me précisa qu’il était à 10% musulman et à 90% animiste. L’islam et la chrétienté sont des religions externes qui masquent en Afrique l’animisme profond ainsi que les rituels secrets d’initiation.
Luc de HEUSCH cité par BASTIDE distingue clairement l’ADORCISME du chaman qui cherche le retour de l’âme puis une possession qui serait en fait l’injection d’un surcroît d’âme de l’EXORCISME qui est l’extraction d’une présence étrangère à soi, la possession néfaste par une âme étrangère, ce que nous appellerions une perturbation psychique. Il y a en Afrique beaucoup moins de névrosés car les personnes fragiles sont vite entourées par la collectivité qui réchauffe et les initiations complexes qui intègrent le sujet dans son groupe social et le stabilisent. Chez nous, on masque en fait les symptômes avec des calmants, anxiolytiques, euphorisants et somnifères et on écoute mal celui qui pleure de sa mal-vie.
La recherche d’une spiritualité immanente par la fraternité envers l’humanité ne veut pas dire « la foi du charbonnier » en des entités invisibles construites par des églises y compris laïque comme celle de FREUD. La transe n’est pas un phénomène mystérieux, nous pouvons atteindre des Etats Modifiés de Conscience (EMC) sans nous en rendre compte, le fait de conduire son véhicule sans y penser par exemple ou encore sans le conscientiser, par exemple lorsque nous sommes sous l’emprise d’une énorme colère, ce n’est plus tout à fait nous.
L’ethnopsychiatrie
Le sociologue Max WEBER a annoncé le désenchantement du monde par le processus de la raison qui peut se réfléchir elle-même mais qui trop souvent dévie sous des rationalisations a posteriori. Que faire lorsqu’un sujet est en déséquilibre dans sa vie et demande de l’aide ? Nous savons tous que le « raisonner » sur sa dépression serait des plus absurde.
L’ethnopsychiatrie qui combat les sectes et les cultes de dépendance comme le divan psychanalytique propose le recours à des cultes sociaux des anciens de nos cultures suggère qu’ils soient réétudiés à la lumière de nos découvertes récentes en sciences humaines pour créer ce milieu sécure qui fait défaut chez l’homme moderne noyé dans la solitude. La finalité en serait que l’homme progressivement retrouve son autonomie et son libre-arbitre, qu’il soit un acteur faisant ses choix dans sa propre histoire de vie.
Marcel MAUSS, dans sa Théorie générale de la magie (1902), distingue ce qui a pour nous de l’importance pour l’émancipation sociale : le principe de guérison chamanique avec un épanouissement opposé aux diverses formes d’aliénation des religions. La magie blanche est similaire à la psychothérapie, c’est une influence qui guérit. On se réfère à des forces cachées (comme les DJOÛN invisibles) pouvant être manipulées, contraintes, rendues alliées alors que l’adhésion à une religion, c’est le fonctionnement métaphysique à la croyance et la foi en des certitudes et des dogmes, la négation de l’esprit critique, la perte de notre responsabilité sur nos vies au profit d’une transcendance protéiforme (mais souvent anthropomorphique avec l’image d’un bon père) et l’espérance en une vie meilleure après la mort, comme le paradis.
D’autres religions, comme le bouddhisme croient en la réincarnation permanente de l’âme à un statut supérieur ou inférieur selon le karma. Par exemple, la vache qui devient femme, puis homme, puis lama.(Cette hiérarchisation pose la question d’une conscience animale réflexive peu probable).
Pour Bertrand HELL avec le médium chaman, l’inconscient de l’homme se dévoile par les rites de communication du médium avec la « surnature », il s’agit d’une approche placée sous le signe d’une efficacité pratique directe, le comportement pragmatique dans l’ici et maintenant. Pour Roger BASTIDE (Brésil) et Elias MIRCEA (Asie), il existe une spiritualité spécifique aux pays du sud à ne pas trop vite classer sous le terme péjoratif d’un animisme primitif.
La gestalt
Des gens déterminés, sérieux et sévères travaillent comme des damnés et ne rejoignent leur famille et maison le soir pour s’alimenter, regarder la télévision et dormir. Le lendemain matin, ils reviennent au boulot ; cet abrutissement de notre religion laïque du néolibéralisme et du consumérisme a pour prix de maintenir le corps ficelé et l’âme anesthésiée et liée au corps-robot et cela jusqu’à la mort. C’est l’efficacité implacable et morne du troupeau aveugle pour produire des biens inutiles pour la plupart avec des yeux qui ne voient pas plus loin que la forme convenue des phénomènes et des objets. La psychologie de la forme ou gestalt de Kurt LEWIN consiste à vivre « ici et maintenant » sans trop se soucier de ce qui est du passé ni des projections dans un avenir toujours hypothétique.
Il s’agit de « faire » en conscientisant nos actes les plus quotidiens en résonance avec le milieu : l’acteur et son environnement, la figure et le fond, les représentations affectives ET le ressenti des émotions.
Communiquer avec le Soi et les autres ne se réduit pas à parler, au babil de l’enfant, à mettre des mots sur la colère ou la frustration mais à comprendre que l’entité passagère que nous sommes vit en interdépendance avec le reste de la nature. Pour illustrer par un petit exemple, nous sommes à 2h du matin dans l’aéroport bondé de Bamako, je me lève pour placer un détritus dans une poubelle (on se demanderait bien pourquoi vu l’environnement), une grasse et imposante Mama se précipite pour prendre mon siège et mon ami le bloque de sa main, en disant » c’est la place du monsieur qui est derrière vous ». La dame le toise avec mépris et lui dit : « Je suis chez moi ici, pas toi ! ». On ne se rend pas compte que les mots peuvent devenir des armes et que si nous n’utilisons pas l’intelligence pour nous raisonner et comprendre, mon copain pourrait reprendre tel quel la même phrase et l’asséner à un des sans-papier maliens qui pullulent dans les aérogares de Paris ; ce serait alors pour nous une faute de racisme et si mon copain répond au premier degré, ce serait alors une joute de colère stérile entre deux humains tous deux respectables.
Selon DAMASIO, l’erreur de DESCARTES est dans sa fameuse phrase : « Je pense, donc je suis ! Je suis, donc j’existe !» La question pertinente est « qui est ce Je-ego-persona ? » sinon une représentation inventée pour lier la sauce avec nos diverses croyances et illusions. On devrait plutôt dire « Cela pense en moi ! ».
Que sont nos valeurs et nos normes ? Comment dire le non-dit que nous trahisons avec nos mots trop rationalisés ? Comment arriver à seulement dégager de la compassion par la peau, le corps et les fenêtres de l’âme que sont nos yeux ? Comment arriver à se taire pour entendre le bruit d’une seule main qui applaudit ? (Koan zen)
Anthropologie culturelle et sociale
L’anthropologie culturelle est passée d’une théorie évolutionniste (Darwin) puis fonctionnaliste (Malinovski) au structuralisme (Lévi-Strauss) qui postule une loi générale entre deux idéologies exprimant un même signifié des Etats Modifiés de Conscience (le signifiant ici dans nos propos étant le chamanisme et les transes de possession). L’approche dialectique réfute une antinomie rigide entre adorcisme et exorcisme ; ce serait plutôt les pôles opposés d’une seule contradiction, les côtés face et pile d’une même pièce, deux expressions sociales spirituelles : le détachement et l’extase (ou la fusion avec Dieu).
La transe est une technique comme les chants, les danses, les fumées de tabac et les incantations qui sont dans la panoplie du médium chaman, un guérisseur initié aussi bien aux plantes salvatrices qu’aux pratiques complexes d’influence qui correspondent chez nous à l’autohypnose et à l’ethnopsychiatrie. C’est ce que démontre l’anthropologue belge Jean-Paul COLLEYN en s’opposant à la dichotomie structuraliste.
Lors de sa retraite initiatique, l’apprenti chaman voyage avec les esprits (génies et/ou Djoûn) sans pour autant être dans une transe d’exhibition mais dans ce que nous appellerions avec FREUD, le « rêve éveillé ».
« Freud ne nie pas l’intervention de la société à l’intérieur même du sommeil et sa pénétration jusque dans la fantasmagorie du rêve. Même si cette influence de la société, pour lui, est double. Négative d’un côté, elle apparaît comme un tri des images jaillies du plus lointain de l’inconscient, de façon que ne passent seulement que les images acceptées par la morale collective : c’est la censure sociale. Positive, par ailleurs, elle est fabrication de symboles. La libido arrive, en effet, à franchir hypocritement les barrières tendues par la société ; elle se cache, pour cela, derrière des symboles.
Mais ces symboles ne relèvent pas de la fantaisie individuelle : ils sont fournis par la collectivité, par les vieilles magies, par les mythologies antiques, par les cultes que l’on pouvait croire morts à jamais ; en réalité, il existe tout un inconscient collectif en l’homme, et le rêve est une exploration de ces ténèbres accumulées en nous depuis des millénaires, une descente dans des formes de pensée contemporaines, des plus primitives sociétés. »[5]
La possession maîtrisée
Rappelons le chamanisme islamisé, évoqué dans notre introduction, avec la quête du ravissement du soufisme. La maîtrise de la possession chez les GWANA soufi (Maghreb et Sahel) est HÂL UAQ. Etymologiquement, HÂL est l’EMC de l’extase (transport hors de soi) et AQL est l’état de réflexion des philosophes soufi méditants un texte (comme la réflexion de n’importe quel intellectuel actif). Ce mélange de recherche de compréhension et de révélation divine habitait les néoplatoniciens arabes comme Al-Kindi, Avicenne, Averroès,…On parle dans cette perspective de possession maîtrisée, soit l’arroseur arrosé qui se voit ou le regard du possédé sur sa propre extase, autrement dit une sorte de lucidité sensible au ressenti.
L’ethnopsychiatre Georges DEVEREUX assimile le guérisseur à un névrosé ayant réussi à dépasser son trouble par une activité utile pour le groupe, à convertir sa problématique en portant secours aux autres. L’ethnopsychiatre met en évidence la récupération sociale de toute « folie » pour inscrire la personne, perturbée au départ, dans une structure stabilisée et sécurisante (normalisation). Cela signifie que lorsque le chaman est possédé, c’est un peu comme un jeu de rôle ou un psychodrame avec la possibilité, en-dehors de la « prise de rôle » dans la scène du rituel, de déposer son « masque ».
Pour Georges LAPASSADE (analyse institutionnelle), la possession est un mécanisme psychosocial de dissociation affective de l’identité (double personnalité), ce qui rejoint les travaux de Pierre JANET (évoqué dans la première partie) sur l’automatisme psychologique libéré lors de la transe ou de l’autohypnose. La précaution que nous devons prendre en évoquant « la dissociation » est de ne pas classer les chamans et les possédés dans une catégorie pathologique même si le DMS IV parle dans ses nosographies des personnalités multiples. Rappelons que pour nous, la psychiatrie perd beaucoup de temps à coller des étiquettes pour identifier des « pourquoi », on ne sait pourquoi et que l’ethnopsychiatrie est centrée sur l’agir du « comment » aider l’autre à sortir de sa représentation de souffrance. Nous considérons les EMC comme des potentialités socialement codées de l’inconscient. Notons par exemple que lorsque nous sommes relaxés dans notre bain ou détendus en train de conduire machinalement, nous sommes dans des transes légères de la même famille que les rêves.
Nous pouvons rapprocher certains cultes de possession, comme le Candomblé brésilien, des histoires de vie où le sujet va déposer dans une sorte de confession au groupe l’un ou l’autre secret de famille, un fragment d’histoire de vie non racontée verbalement comme chez nous mais joué et dansé.
En un mot, les sociétés initiatiques et leurs divers rituels mettent en place une lecture sociale symbolique destinée à aider le sujet à penser différemment son désordre interne, une perturbation psychique de départ dépassée par l’initiation, nous dit également Michel LEIRIS, à propos du ZAR éthiopien. Il s’agit en quelque sorte de chasser les diables en nous puis d’aider les autres à chasser les leurs. Mais rappelons également le travail d’amélioration individuelle : la possession peut être une voie (TARÎQA) pour découvrir la lumière intérieure de notre propre spiritualité.
Sur l’aspect social de la possession maîtrisée, le génie qui habite le sujet dit le non-dit à tous. Par exemple, à l’ethnologue : « Ne te promène pas en short ! », à une spectatrice : « Ne couche pas avec tes domestiques ! », des remises à l’ordre normatives du groupe avec l’alibi que ce n’est pas un initié qui parle mais l’esprit qui le possède, donc sans choquer les personnes interpellées par la parole dérangeante de réprimande publique. Dénoncer des fautes individuelles permet de prévenir du malheur et de l’infortune. L’ethnopsychiatre Gregory BATESON dans une étude sur l’autisme parle des messages paradoxaux comme le « double bind ».
Par exemple, la mère qui demande à son bébé de venir lui faire un câlin et dans la même phrase lui dit de ne pas la toucher car elle a horeur de cela. Quoi qu’il fasse, le petit est en tort ; alors, parfois, il déconnecte son cerveau.
L’apparition d’une cause externe du monde invisible peut en soi mettre du sens sur des paradoxes en évoquant par exemple des tabous violés et la nécessité d’une purification.
« La logique de la faute commise, volontairement ou non, permet de donner du sens et de rétablir l’homme comme acteur de sa destinée. Des esprits colériques qui frappent ? Cette conception réaliste, pragmatique d’un invisible anthropomorphisé n’est ni naïve ni irrationnelle. Elle est une pensée symbolique efficace dans la mesure où elle permet de faire basculer les évènements du registre d’un aléatoire absolu dans celui du rituel. Et dans les sociétés à chamanisme ou à culte de possession, ce rituel est le cadre dans lequel se déploie l’intelligence créatrice de l’homme. »[6]
Notons la singularité de cette thérapeutique par les génies par rapport aux religions instituées. L’islam a horreur des représentations humaines, ce qui a pour cause la destruction irrémédiable de nombreux chef d’œuvre du patrimoine de l’humanité. A NANDO (Mali), la mosquée est construite sur une ancienne maison à fétiches connue pour ses miracles par l’imposition des mains de l’Iman. Elle est aussi particulière car ornée de seins et de sexes rappelant sa fonction première de rétablir la sérénité. Le psychologue-chaman n’est pas un fonctionnaire permanent comme le prêtre-dignitaire. Les esprits ne sont convoqués que lorsqu’il y a une perturbation individuelle ou sociale. L’anthropologue belge Jean-Paul COLLEYN l’exprime bien par rapport au culte de NYA des MYNIANKA du Mali : « Si tu prends NYA à cause de tes tourments, il apportera la sérénité dans ta maison, mais si tu épouses NYA dans la sérénité, il t’apportera le tourment. »[7]
Le charivari du carnaval
A la sortie de l’hiver chez nous, cette grande fête d’allégresse païenne et de transgressions diverses appelle le retour du soleil. Il en va de même de l’apparent désordre des guérisseurs face aux religions instituées. Manipuler des esprits de la forêt qui sont dans l’ambivalence et menacent souvent de tout détruire est un exercice subtil de négociation. Les entités qui dessèchent sont aussi celles qui guérissent et font éclore la vie. Le chaman incarne le contre-monde ; il se marginalise, pratique l’altérité sexuelle et « s’ensauvage » pour établir une alliance avec la force de la surnature. Le désordre fait partie de l’ordre naturel des choses (dialectique), les rituels visent à composer et à décharger la potentialité destructrice et non à la détruire (comment ?).
Dans certains cas, la possession par un esprit féminin ouvre la porte à la transgression des sexes ; par exemple au MYANMAR avec le culte des NATS, les chamans se maquillent et s’habillent en femmes, il ne s’agit pas cependant d’un défoulement comme les travestis de nos régions mais d’un jeu de rôle.
Les prêtres symbolisent l’ordre rigidifié et les chamans possédés le désordre mais aucune des parties ne veut le chaos. Les cultes de possession ne sont pas des exécutoires transgressifs pour névrosés ni un terrain de révolte brute, de contestation tous azimuts de gens frustrés. Le but est de maîtriser un environnement accablant sans faire de politique, donc sans vraiment contester l’ordre établi.
Les rituels d’apparent irrespect et de provocation (semblable au carnaval) cherchent en évoquant, en paroles et postures, l’état renversé du monde à assurer le retour à l’ordre, à une certaine harmonie sociale. Les paroles « crues » et les critiques ouvertes des médiums de l’invisible désamorcent en fait les remises en question de l’ordre établi. Avec les médiateurs de la brousse, du temps cyclique et de la régénérescence, c’est une rébellion constante qui en soi évite une révolution. En effet, s’il n’y avait que l’ordre institué, la société serait – comme la Belgique – froide et éteinte.
Lors des cultes agraires, les orgies sexuelles et autres bacchanales aident à faire circuler la vie, les germes d’un niveau à l’autre, le désordre EST partie de l’énergie, une revivification par le mouvement, l’ouverture à des créations nouvelles en conservant les traditions. En complément au sérieux sacrifice de Prométhée et à sa punition perpétuelle, il y a Dionysos chez les Grecs, le renard pâle chez les Dogon et Legba (Vaudou ) en Haïti et au Bénin.
« Dès que le rapport interindividuel devient source de rivalité pathogène, la culture recommande la possession et l’appelle : c’est l’ADORCISME. L’adorcisme est thérapeutique parce que cette reconnaissance de l’aliénation désaliène, parce que cet abaissement élève, parce que cette soumission à la réalité psychologique, cette humilité guérissent : la possession est mimée comme « possession par » l’Autre, mais cet Autre, appelé, invoqué, supplié, se laisse aussi quelque peu posséder puisqu’il se laisse imiter, puisqu’il permet au possédé l’identification.(…) La culture ne reconnaît en aucune façon la nature mimétique du désir. Elle nie la réalité du rapport interindividuel. Le moi soumis au désir mimétique, pris dans le rapport interindividuel, ne peut que subir la « possession par » l’Autre. Cette possession est alors forcément pathogène. La culture fourvoyée cherche à se débarrasser de l’Autre (le diable) par un stratagème mythique, l’expulsion : c’est l’EXORCISME. Et par définition cet exorcisme est pathogène : il veut expulser l’Autre comme si l’on pouvait nier l’altérité. Il cherche – et c’est peut-être là que réside le seul satanisme de toute l’affaire – à soustraire l’home à l’influence de l’Autre, c’est-à-dire à le guérir radicalement de son…hominité même. »[8]
L’adogmatisme
Dans la perspective sociétale, épinglons les dégâts de l’acculturation. Les mythes reliants ne sont plus compris par tous, il y a désagrégation constante dans les pays à tradition orale avec une remise en cause de l’autorité, de l’expérience et de la sagesse des anciens au profit (c’est le cas de le dire) de la culture consumériste d’exportation planétaire (cf. la photo d’un papou nu avec son étui pénien dans une forêt abattue de Bornéo et tenant à la main une bouteille de Coca-Cola).
A Bandiagara, au cœur du pays DOGON (Mali), nous enregistrons les témoignages des vieux en partageant la kola (pour recouper les discours et les différences selon les sites) pendant que de jeunes ados tournent autour de nous avec des mobylettes, le regard voilé par des ray-bands ayant toujours leur étiquette de prix au centre des verres.
Notons également la redoutable offensive des évangélistes américains faisant du prosélytisme partout mais particulièrement en Afrique noire avec prédicateurs et collectes auprès des miséreux naïfs. Ce sont des tsunamis de religions d’exportations ; comme dans une langue vivante, les saints et les génies évoqués s’adaptent dans un syncrétisme assimilant des clichés de la culture des blancs. Les nouveaux génies peuvent s’appeler « l’anglais » ou encore « l’inspecteur agricole » ou « l’avion »(on pense alors au culte du cargo des mélanésiens qui avaient construit un avion en bambou pour attirer les avions cargo déversant tant de bonnes marchandises). Déjà dans les années 1950, Roger BASTIDE relate l’opposition entre le Candomblé brésilien (avec les Dieux Vaudou des Yoruba du Nigéria, anciens esclaves) et l’UMBANDA née de l’influence du spiritisme occidental ; ces courants sont aujourd’hui fusionnés. Léo FROBENIUS en 1910, dans la région de Belém (Amazone) épingle le même syncrétisme entre les esprits caboclos des indiens Guarani et les ORISHA (Dieux) des Yoruba. Au fond, cette mouvance du panthéon des esprits est assez adogmatique puisque avec le village planétaire médiatique, les esprits possesseurs changent de nom et d’attributs.
Les Dieux changent : SHANGO le guerrier viril à la hache biface est invoqué dans une région (Yoruba du Nigéria) et non dans une autre ; de même, MAMYWATA, le génie sirène du fleuve est invoquée aux abords des cours d’eau (les Mongo du Nord Congo) et pas ailleurs.
Les fonctions initiatiques, thérapeutiques et sociologiques sont imbriquées au-delà des mythes qui évoluent dans une pensée symbolique mouvante, protéiforme et adaptable à la modernité pour créer du sens là où malheurs et infortunes déstabilisent les gens.
Au niveau symbolique, l’air, le vent, le souffle forment des paroles et le possédé est animé aussi bien par l’action des génies (le feu des passions) sous forme de vent brûlant que par les appels nominaux de ceux-ci dans un cadre collectif de musique, de chants et de danses. C’est un substrat culturel à entendre et à respecter. Plus en adéquation avec nos cultures, existe une autre conception de la maîtrise du feu par le souffle ou même l’absence de vent qui au lieu de conduire à l’extase religieuse évolue vers son contraire : le calme de nos hyperactivités cérébrales.
Pour conclure avec l’hypoactivité mentale
L’équilibre entre l’esprit (la raison) et le cœur (les émotions, les passions) est nécessaire. Si nous laissons notre cerveau s’emballer en hyperactivité, nous allons avoir une surchauffe cérébrale qui peut conduire à la dépression, à la catatonie voire à la schizophrénie ou à la paranoïa, on va ressentir des hallucinations et entendre des voix ; l’aboutissement de cette auto-excitation est la rupture mystique où avec les endorphines (calmants auto-générés par le cerveau) nous allons vivre l’extase religieuse et donc le ravissement mystique.
L’autre côté du miroir est dans l’hypoactivité que l’on peut approcher par le yoga et le zen. Le voyageur par exemple, saturé de représentations au travers de son appareil photo ne voit plus rien de ce qui touche au cœur et à l’esprit. Il faut qu’il se vide de ses pensées obsédantes et du chaos des représentations pour sentir et profiter de son voyage qui n’est pas seulement dans un espace géographique mais aussi au centre de lui-même.
La méditation zen SAMATHA consiste à rester immobile en zazen (position assise du lotus, immobile aussi bien avec son corps qu’avec ses pensées en se centrant sur la régularité de sa respiration avec l’inspiration et l’expiration, en marquant un temps à la fin de cette dernière. Ce n’est pas facile car nos pensées ayant l’habitude de saturer notre esprit reviennent comme des obsessions, y compris les bêtises domestiques. Penser « je ne dois pas penser » est encore penser. Le zen conseille de conscientiser ces pensées puis de les laisser aller comme des bulles de savon qui éclatent toutes seules.
Après cette mise en condition de relaxation profonde pendant une heure environ, on peut alors se centrer sur la méditation VIPASSANA symbolisée par une tâche sur le mur ou un quelconque objet mais non un thème intellectuel qui rallumerait la machinerie de notre cerveau analytique. L’objet peut être physique ou sensitif, par exemple entendre des bruits à l’extérieur du DOJO (salle de méditation), ressentir les respirations des autres méditant et conscientiser que c’est le même air que nous partageons par la respiration et qui crée une reliance entre les humains (le souffle). Si on demande à un poisson : « qu’est-ce que l’eau ? », il en restera bouche bée car elle est partout dans son environnement et il en va de même pour nous lorsque nous ne percevons plus l’air et le cosmos mais réduisons la nature à l’un de ses aspects intellectualisés et/ou névrotiques.
Mes amis protestants et musulmans ont leurs méthodes religieuses et pour nous, athées ou agnostiques, la méthodologie du zen est une pratique pertinente, un antidote à l’excitation mentale qui nous possède souvent à notre insu. Bouddha était un philosophe, non un dieu et ses adeptes ont réinventé après sa mort une religion sans dieu appelée bouddhisme à laquelle nous ne pouvons adhérer. Le zen est un retour aux sources sans les salamalecs religieux mais permettant un accès laborieux à une spiritualité immanente, la fraternité entre tous les humains en conscientisant l’extinction inévitable de notre espèce. Une vielle chanson des années 1970 avait le refrain suivant : « Il est libre Max, il y en a même qui l’ont vu voler » non pas dans une extase béate mais dans un détachement raisonné et affectif de toutes nos illusions. C’est ce que Camus et Sartre avaient compris : on peut emprisonner nos corps et aliéner nos âmes mais pour gagner la liberté de notre esprit, il est nécessaire de se détacher de ce qui nous enferme, y compris les douleurs physiques et les souffrances psychiques. La liberté de pensée n’est pas qu’un concept, c’est aussi et surtout un état d’esprit.
Jean-Marie LANGE, 11.02.2011
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[1] JANET Pierre, De l’angoisse à l’extase. Etudes sur les croyances et les sentiments (1926) Volume I, Paris, L’Harmattan, 2010, p.77. : « Il est inutile de donner plus de détails, rappelons seulement que cette aventure du sceau sur l’urètre s’est reproduite trois fois d’une manière complète et je crois qu’elle s’est répétée plus souvent mais que Madeleine sentant que je devenais trop curieux ne m’en a plus parlé qu’à mots couverts. »
[2] JANET P., Extase…ibid., p.76.
[3] OUGHOURLIAN Jean-Michel, Hystérie, Transe, Possession. Un mime nommé désir, Paris, L’Harmattan, 2000.
[4] OUGHOURLIAN Jean-Michel, Hystérie, Transe, Possession. Un mime nommé désir, Paris, L’Harmattan, 2.000, p.104.
[5] BASTIDE Roger, Le rêve, la transe et la folie, Paris, Points, 2003, p.28.
[6] HELL Bertrand, Possession et chamanisme. Les maîtres du désordre, Paris, Flammarion, 1999, p.103.
[7] COLLEYN Jean-Paul, Les chemins du Nya, culte de possession au Mali, Paris, EHESS, 1988, p.125.
[8] OUGHOURLIAN Jean-Michel, Hystérie, Transe, Possession. Un mime nommé désir. Paris, L’Harmattan, 2000, p.103-104.

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