IRINA 01.01.2008
Novembre 2007. Mon époux et moi même regardions un reportage sur la culture des cacahuètes dans un village africain. Des enfants à peine âgés de 7 ans passaient leurs journées, sous un soleil de plomb, à ramasser la maigre culture du champ asséché. Le village tout entier comptait sur le fruit de cette récolte afin d’obtenir l’équivalent d’une dizaine d’euros, et ainsi pouvoir s’alimenter de riz et de légumes. Besoin primaire de base dans la pyramide des besoins. Mon époux et moi même étions en train de prendre l’apéro, constitué de vin, de chips et fromage avant d‘entamer un somptueux repas sur protéinés. Nous nous sommes regardés. J’avais les yeux remplis de larmes : dans quel monde injuste vivons-nous. Voir ces enfants vêtus de t-shirt en lambeau et peinant en sueur à aider la collectivité à se nourrir ! Quel avenir pour eux ? Un enfant de cet âge doit pouvoir aller à l’école, jouer, s’amuser, rire à pleines dents. La télévision nous envoyait une réalité bien loin de cet idéal.
Loin de moi d’estimer que le modèle de vie occidentale prévaut sur les autres, et qu’il offre une vie meilleure. Au contraire, prenons l’exemple se situant aux antipodes de notre concept de vie : les tribus indigènes. Un peuple vivant entièrement nu (quelle liberté de ne pas supporter des chaussures à talons, des strings inconfortables, des cravates serrantes !), dont la journée se résume à la chasse/pêche pour les hommes, et la cuisine et l’éducation des enfants pour les femmes, ainsi que la sieste pour tous. Quel autre reflet du bonheur que les sourires affichés sur la bouille des enfants s’essayant à la pêche, jouant dans la rivière… Pas d’école, pas de technologie, pas de luxe, sauf celui de vivre sans montre. Le savoir est dispensé par les anciens, l’éducation se limite à savoir se nourrir, combattre les animaux dangereux, l’honneur se concrétise par les rituels et passage de vie. Dans ce cas de figure, extrême je le concède, ce serait un crime d’imposer notre mode de vie.
Mais je m’écarte du sujet de départ, et du fameux reportage sur ce village en Afrique. Lorsque j’ai dit à mon époux, la gorge serrée : « ce n’est pas juste, un enfant ne devrait pas vivre ça », celui-ci m’a répondu : « tu as raison, veux-tu qu’on adopte un enfant ? »… Notre projet était lancé.
Très vite nous avons pris contact avec les organismes officiels et seuls légaux en Belgique pour entamer la procédure d’adoption internationale, très vite nous avons informé notre entourage de notre intention.
En ce qui concerne l’entourage, nous avons fort heureusement reçu beaucoup de soutien, ce qui nous a permis de partager au fur et mesure les bonheurs et les peurs de cette longue démarche.
Soutien qui manqua cruellement (et l’adverbe est bien choisi) aux divers professionnels en la matière que nous avons rencontrés.
Tout d’abord une formation longue de 2 séances d’information, 3 séances de sensibilisation et 5 séances chez un psychologue « homologué ». La première réunion débute par le discours « si vous souhaitez adopter pour sauver un enfant, vous vous trompez ». Ah ?!
Près d’un an s’écoulera entre l’inscription et l’attribution du document « M et Mme ont participé à la formation » nous permettant de continuer les démarches en demandant au juge du Tribunal de la Jeunesse l’autorisation d’adopter. Le politique ne nous demande alors qu’une seule chose : participer à chaque séance. Il n’y a pas de gagnant ou de perdant à cette étape. Pas encore.
Le Juge, afin de juger de notre aptitude ou non d’accueillir un enfant qui se trouve alors sans père ni mère, dans un orphelinat ou pouponnière à charmer une nounou ou se battre pour recevoir une cuillère de nourriture, ou un lange propre, se doit de demander un enquête sociale. La pire expérience qu’il m’ait été donné de vivre.
Moi même assistante sociale, je ne doutais pas un seul instant que l’on puisse douter de notre aptitude, en comparaison à ce qu’il m’est imposé de voir dans mon quotidien professionnel. Et pourtant… Une psychologue, les bras en croix, on ne peut plus fermée à tout dialogue, et une assistante sociale donnant l’air de se sentir inférieure à sa collègue diplômée d’une université se permettent en 2 entretiens d’un demi heure, d’établir un rapport, qui nous marquera d’une empreinte indélébile jusqu’à la fin de notre parcours.
Un rapport long de 20 pages nous targuant d’être des personnes bienveillantes, équilibrées, conscientisées sur la problématique de l’adoption, d’être un couple heureux et serein, capable d’offrir une éducation à 1 voire 2 enfants et j’en passe, se solde pourtant sur une réserve à notre aptitude à adopter car 3 questions les taraudent.
Primo nous ne prenons pas de moyens de contraception et pour elles, il est scientifiquement ? impossible de mener les 2 projets de l’enfant biologique et adopté de front. Sur ce point, nous ferons profil bas, afin de pouvoir nous donner en priorité sur notre projet en cours.
Deusio, il leur semble que le deuil de l’enfant biologique n’est pas établi car nous refusons d’entamer des tests fastidieux concernant le « coupable » de notre stérilité. Comme je l’expliquerai au Juge dans une lettre annexe au rapport sans intermédiaire déformant nos propos, propre à toute communication verbale où nous passons du « le patron s’est cassé le pied » au « le patron est mort », il n’y a pas de priorité. Pour ma part, l’adoption est un projet de vie. Mon enfant ne sera pas une roue de secours, utilisé en solution d’un utérus inutilisable ou de spermatozoïdes paralysés. Dans cette démarche, mon enfant sera un enfant adopté, simplement parce que ses parents ont ce désir. Si la psy estime que notre projet est peu conventionnel comparé à l’habituel adoption si stérilité ou après l’enfant fait maison, il n’en est pas pour autant légitime et réfléchi. Il y a un jour J où l’on arrête la prise de pilule contraceptive, et un jour J où l’on entame les démarches fastidieuses de l’adoption. Le reste ne nous appartient pas. Si je croyais en Dieu, je dirai que le sort de notre couple est entre ses mains. Malheureusement pour l’instant il est entre les mains de ces technocrates.
Tertio, le point le plus aberrant de leurs réflexions : nous idéalisons notre enfant adopté ! Vu la réserve émise, il semble que ce soit un tort de penser que notre enfant deviendra quelqu’un de bien et que tout se passera bien. Les femmes se caressent-elles le ventre arrondi par le bébé qui grandit en elle en se disant « je vais accoucher d’un débile profond qui finira sa vie en prison pour avoir violé un cadavre d’une vache sacrée en Inde » ?
Je me permets cet intermède afin de montrer par quelles étapes longues, jonchées de doutes, mais aussi « gestaponiennes » nous sommes passés avant la rencontre déterminante avec Madame le Juge de la Jeunesse.
Heureusement (pour nous), cette dernière devant faire face aux mêmes réalités de terrain qui me sont imposées professionnellement s’est elle aussi retrouvée dubitative face aux conclusions d’un rapport pourtant élogieux. Nous ressortons de l’audience fiers de notre prix concourt : l’autorisation d’adopter un ou deux enfants, peu importe le sexe et le pays d’origine et âgés de 0 à 5 ans, comme nous l’avions demandé, depuis près de 2 ans.
Nous n’avions pas de préférence quant au pays d’origine, pour le Maroc pour lequel nous devions nous convertir à la religion musulmane alors que nous sommes agnostiques. Quant au sexe, il eut été indécent d’énoncer notre préférence. Quant à l’âge il correspondait simplement à l’avant obligation scolaire
Après avoir contacté les 7 organismes francophones dont un ne se consacre qu’aux enfants dits belges consacrés aux stériles avérés et un autre aux enfants dits à particularité terme moins effrayant qu’handicapés, il nous restait le choix dans le quotta d’enfants disponibles entre le Mali, le Nigéria et l’Afrique du Sud. Je ne veux choquer personne dans les mots utilisés dans cet écrit, mais il s’agit bel et bien du jargon qu’il nous ait été offert d’entendre.
Le délai d’attente pour l’Afrique du sud est de 2 ans et l’organisme se trouve à Bruxelles. Pour le Nigéria, il n’y a pas de délai d’attente, mais en reviendrons-nous vivants ou ensemble ? Reste le Mali… et pourquoi pas. Tant d’éloges sur ce beau pays et la gentillesse des maliens. Tant d’amour dans les yeux de nos amis lorsqu’ils en parlent ou tentent de nous instruire sur l’art qui en est issu. Et puis l’Afrique m’est chère pour y avoir vécu près d’un tiers de ma vie actuelle.
Notre enfant sera Malien, nous sommes décidés.
Après une nouvelle enquête psychosociale, des examens médicaux, des séances d’information, la constitution d’un dossier lourd comme un encyclopédie, notre demande est envoyée au Mali. Il ne nous reste plus qu’à attendre. A partir de ce moment, les minutes ressemblent à des heures, les semaines à des mois.
Et puis, 6 mois plus tard, alors que je prenais ma pause déjeuner avec une amie, mon téléphone sonne, affichant un numéro inconnu. « Bonjour, je suis Mme G, j’ai reçu des nouvelles du Mali. Il y a une petite fille de 2 ans et demi » Comme mes pleurs de joie m’empêchaient de prononcer un mot, la directrice finit par me demander « Vous la prenez ? »… Quelle question ! Evidemment que je la « prends » Je pleure de joie, pas de « merde c’est une fille, ou de merde elle a déjà 2 ans… ». Je suis maman. A cet instant je suis devenue concrètement une maman d’une petite fille présumée née à Bamako le 01/01/2008 au doux prénom de Sendé.
Il m’est impossible d’exprimer ce que je ressentais à cet instant. Je ne peux trouver les mots qui traduiraient le plus justement ce que je vivais. D’écrire ces 2 derniers paragraphes me retourne encore le ventre.
Le 29 avril 2010, nous voilà dans l’avion pour le Mali. Nous partons à 2 et reviendrons une semaine plus tard à 3.
Le 30 avril 2010, nous voilà dans un jeep à Bamako. Nous partons vers la pouponnière d‘Etat. Une dame bienveillante nous proposera de nous asseoir dans son bureau de 6 m2. Une autre nous demandera le nom de l’enfant que nous sommes venus chercher. Nous lui donnons le nom du Mali et celui qu’elle portera dorénavant. Pourvu qu’elle ne se trompe pas d’enfant.
Ils l’apprêtent… Ah ?!
10 minutes plus tard, une petite fille vêtue d’une robe rose, au crâne rasé, au visage surhuilé et talqué, apeurée mais docile se présente à nous.
J’avais tant envie de pleurer et de serrer ce petit corps contre moi pour l’étouffer de baisers. Je suis fière d’avoir eu la force et la décence de juste m’accroupir à sa hauteur, de lui caresser tendrement ses petites jambes en lui embrassant ses petites mains.
Le bonheur à l’état pur m’envahissait, mais aussi les doutes. Les yeux d’un enfant ne trompent pas. Et les yeux de notre petite étaient imprégnés de peur, de colère, d’incompréhension.
Quelques heures plus tard, en silence, des larmes perlaient sur son visage. A deux ans, un enfant pleure de faim, de mal, de peur ou de caprice. Mais pas de tristesse. Mais notre ange pleurait d’une tristesse accablante. Et puis les cris d’angoisse retentirent. Avons-nous bien fait ? Notre projet était-il juste égoïste pour combler le vide d’enfant dans notre quotidien?
Les premiers jours avec notre Sendé (prénom malien) – Irina (prénom que nous lui avons choisi) se sont résumés en de longues et délicieuses heures de bercement, baisers, tendresses.
Peu à peu, de petits riens qui représentent pourtant des étapes importantes dans nos relations respectives ont fait notre bonheur. Irina a d’abord accepté de nous regarder, puis elle demandait le contact physique, puis un premier intérêt au jeu, un premier sourire, un premier « maman », puis « papa », et les premiers éclats de rire qui continuent à résonner dans notre maison 3 semaines plus tard. Irina nous a rapidement à son tour adoptés.
Nous sommes fin mai. Cela fait moins d’un mois que nous nous sommes rencontrées. Et si j’étais maman avant de la voir, Irina fait de moi une maman comblée. Elle me surprend de jour en jour par sa gaieté, sa curiosité, son étonnement face aux choses que nous ne voyons même plus. Avec quelques cailloux dans une boite, nous apprenons à compter, à dire merci, à lancer, … bref à parler et rire juste avec quelques cailloux. Bill Gates ne parviendra pas à inventer un objet aussi simple et communiquant que cela.
Bien sûr que tout n’est pas aussi rose. Mon histoire n’est pas l’œuvre de Barbara Cartland.
Irina est adoptée, ne l’oublions pas. Elle a un passé et un vécu que je ne connais pas, elle a des peurs et des angoisses que je ne sais pas comment calmer. Et puis l’éducation de n’importe quel enfant requiert du temps, de la patience, et de l’énergie, surtout si l’on s’interdit l’aide de la nounou télévision.
Les muscles de mes bras sont endoloris à force de porter Irina qui préfère la douceur de nos bras aux trottoirs asphaltés. Si parfois je prends le temps de me maquiller pour rester une maman coquette, je n’arrive pas à camoufler les cernes qui se dessinent sous les yeux.
Et puis Irina reste une enfant ayant atteint l’âge des caprices et du non. Même s’il n’est pas toujours facile de supporter les crises, je la félicite de nous faire assez confiance pour se permettre de nous défier. Elle sait déjà que nous ne l’abandonnerons pas. Alors je suis fière de ce que nous sommes parvenus à lui apporter et je prends tellement de plaisir à voir ma fille sourire, jouer, danser et chanter.
Voilà l’histoire d’une maman d’une petite princesse de 2 ans qui ne devra jamais ramasser des cacahuètes pour survivre.
L’adoption est-elle une solution ? elle l’est peut-être pour répondre à une problématique de femmes s’essayant à des avortements clandestins à l’issue parfois mortelle pour elles, ou handicapante pour l’enfant survivant malgré tout. Pour éviter que des enfants nés hors désirs ne soient battus à mort à coups de pierres sur la tête ou abandonnés dans un lieu si peu fréquenté qu’ils finissent par mourir de faim, de déshydratation, de froid ou dans la gueule d’un quelconque animal.
Mais l’idéal ne serait-il pas qu’il n’y ait plus d’enfant à adopter ? Que le Politique puisse faire face aux difficultés financières des pays pauvres évitant ainsi aux veuves d’abandonner leur enfant, aux jeunes de se livrer à la prostitution pour recevoir un repas par jour? Que le Pape vante enfin les mérites de la pilule contraceptive et du préservatif afin que les couples puissent enfanter le nombre d’enfants qu’ils sont capables d’assumer ?
Je suis heureuse d’avoir adopté Irina parce qu’elle n’avait pas de parents pour la choyer et la protéger. J’espère que les rires d’un 2ème enfant, bio ou adopté viendront un jour résonner en chœur avec ceux d’Irina. Mais je rêve surtout qu’un jour, il n’y ait plus aucun enfant malheureux sur cette Terre. Un enfant n’a pas le devoir de supporter la faim, la soif et la misère, mais a le droit de vivre une vie d’enfant…
ESSER Sandrine
Bonjour, Sandrine !
RépondreSupprimerMerci pour ce beau témoignage plein de générosité. C’est une belle aventure que vous avez entreprise, ton mari et toi.
Ce matin, j’ai animé une séance « zen » au cours de laquelle j’ai parlé de notre « personnalité », cet amas informe d’héritage génétique et d’acquis protecteurs, fruits de nos épreuves d’enfants. Détruire l’ego, c’est aussi casser la carapace qui nous protège. Quand tu vois dans les yeux de la petite Irina l’éclat de la colère, de la tristesse…, tu vois le fruit de la construction inconsciente de ce mécanisme protecteur. Il sera bien temps plus tard pour elle d’essayer d’explorer la source de ce mécanisme, si elle y arrive. L’important maintenant, ce sont les nouveaux acquis que tu lui fourniras par l’amour et la tendresse.
Mais j’ai aussi relu ton témoignage… ! Ne sois pas donc pas si sévère envers les fonctionnaires de l’aide à la Jeunesse, j’en ai été un moi-même (pas dans le même domaine toutefois) .
Au fond, c’est normal que l’autorité publique s’entoure de précautions dans l’intérêt de l’enfant et cherche à s’assurer que l’engouement pour l’adoption n’est pas un feu de paille. Certes, ses représentants pourraient manifester plus d’empathie ; mais d’un autre côté, une empathie trop forte pourrait altérer l’objectivité du rapport.
Le psychologue a-t-il tort de débuter son discours par la phrase : « Si vous souhaitez adopter pour sauver un enfant, vous vous trompez » ? Peut-être pas. La culpabilité diffuse que certains ressentent vis-à-vis des enfants délaissés n’est peut-être pas le meilleur gage de l’amour dont on entourera l’enfant adopté. La réalité est souvent plus complexe qu’on ne veut bien le dire. Les femmes ressentent souvent un puissant désir de maternité ; s’il ne trouve pas à se réaliser, l’adoption est une voie généreuse qui concilie à la fois le bien de l’enfant et le désir de maternité. Mais pourquoi devrait-on être gênée de dire qu’il y a aussi un besoin rencontré ? Personnellement, cela me rassurerait plutôt… et cela n’enlève rien au caractère légitime et réfléchi de la décision que tu revendiques avec beaucoup de justesse.
Pourquoi dis-tu qu’il eût été indécent d’exprimer une préférence pour le sexe de l’enfant ? Le hasard dans ton cas a plutôt bien fait les choses car le sort qui attend les petites filles coupées de leurs parents est peut-être encore moins enviable que celui des petits garçons.
Je vous souhaite à tous trois une vie heureuse …et chaotique.
Michel