mardi 1 septembre 2009

Masques

MASQUES PERSONA

Cet été-automne 2009 (24.04.09>03.01.10), une intéressante exposition portant sur les masques africains est organisée au Musée des arts de l'Afrique centrale à Tervuren : PERSONA. Masques rituels et œuvres contemporaines". Pour une fois, cette exposition a été "pensée" sous un autre regard que l'ancienne découpe géographique coloniale, celui de l'expression des masques et les variations et similitudes selon les multiples ethnies. Tout comme l'Europe est un concept, l'Afrique également. Il y a autant de variations entre un bantou du Congo et un sahélien du Mali, qu'entre un suédois et un calabrais. Merci donc aux concepteurs d'avoir pensé cette éducation visuelle en tant que membre d'une seule humanité et non comme flamands.

Introduction

Un de mes amis me parlait dernièrement d'un phénomène psychique rare : "la contemplation". Je n'au sur que dire parce que cela ne fait pas partie de mes expériences; en effet, méditer, c'est se calmer puis se concentrer sur un tuyau d'arrosage jusqu'à en être arrosé tandis que la contemplation est plus de l'excitation mentale et du ravissement avec les exemples types de Thérèse d'Avila (dite la Sainte) et les expériences de Gilles de La Tourette sur les possessions hystériques. Mais je n'ai pas de tabou lorsqu'il est question d'apprentissage, sauf les dogmes rétrogrades pour l'humanité (la foi du charbonnier); alors, j'ai cherché dans mes mémoires à long terme si le concept de contemplation devait être automatiquement à connotation mystique et j'ai trouvé je pense une piste.

Au musée national de Belgique, je me suis trouvé face à une toile de Jérôme BOSCH et je suis tombé dedans, mélange de sensation de joie, de beauté et de découverte, impossible de m'en décoller et impossible d'expliquer le pourquoi du comment avec mon cerveau gauche atrophié, j'étais dans un enfer comique en résonnance avec mon être. Par après, devenu grand (hélas), je m'intéresserai à l'art moderne non figuratif. Dans des vernissages d'exposition, on entend des rats venus pour les petits fours et le vin rouge faire des commentaires minaudasses des plus oiseux de ce qu'ils voient dans une huile sur toile. Moi je n'y vois rien, je ressens les couleurs et les forces au point de dormir avec une œuvre de Jacques Zimmermann dans ma chambre, toujours subjugué après plus de 15 ans qu'elle y est accrochée. Mes autres amis peintres apprécient modérément mais ils savent aussi que "les goûts et les couleurs ne se discutent pas" et peuvent changer et nous constatons que souvent chez eux, comme chez les premiers peintres du XX° influencés par les arts premiers, il y a l'une ou l'autre création anonyme africaine.

Avec le GAP (Groupe d'Autoformation Psychosociale, asbl), nous essayons modestement à notre petite échelle de construire des projets d'autonomie et de socialisation dans l'Afrique que nous aimons. Nous savons bien sûr que le racisme est une valeur en hausse parce que chez nous, une partie de la population carcérale est originaire d'Afrique du Nord et qu'il y a aussi l'islamisme radical qui veut nous imposer, sous la menace de la violence, les caricatures que nous pouvons faire ou non et les lois que nous devons changer chez nous pour permettre le maintien des barbaries envers ses femmes. La conséquence est naturelle, 30% de l'électorat d'Anvers votent Vlaams Belang (extrême droite flamingante) et ce sont toujours "les petits qu'on écrase" comme par exemple les pauvres et les sans papiers.

Nous n'avons aucun goût ici pour débuter une polémique avec ces gens au crâne rasé et au cerveau allégé; selon les études en anthropologie, ce sont souvent les plus paumés d'une ethnie qui sont les plus hostiles à une population migrante en croyant que celle-ci va prendre un travail qu'eux n'ont jamais voulu. Non, ce que je voudrais avoir comme thème pour cette petite réflexion est mon admiration "contemplative" pour l'art africain, source d'inspiration de nos propres artistes dès la première guerre mondiale.

Le problème récurrent avec l'européocentrisme, c'est de se croire encore et toujours supérieur parce que maître des traditions écrites avec un parfait déni pour les peuples à tradition orale. Pas de trace de culture en Afrique ? Quelle bêtise que seuls des ethnologues paresseux et peu entreprenants peuvent propager en fustigeant les gens très riches qui achètent des œuvres d'art africain, plutôt des voleurs d'antiquité que des admirateurs éclairés (par exemple Malraux, Giscard d'Estaing et Chirac, pour ne citer que trois voleurs français du patrimoine africain). Non, c'est tout le contraire; heureusement qu'il y a eu des amoureux de l'art africain pour sauver des sièges et/ou des bols "réparés" et des masques pourrissant sous les pluies tropicales pour témoigner de ces émotions. J'ai vu un jour dans une galerie un ami refusant d'acheter un masque qui lui plaisait parce que les émotions qu'il dégageait chez lui était trop fortes.

De quoi s'agit-il ?

Le masque de la tragédie grecque PERSONA cache l'acteur derrière un personnage, nous dit JUNG, ce qui deviendra notre représentation permanente que nous nommons notre personnalité et qui fera l'objet de nos conclusions.

Le masque du carnaval vénitien est séduction et discrétion de façon à ce que les désirs sexuels se rencontrent lors d'un bal sans compromettre les existences usuelles et banales. Il est transgression et imagination poétique d'utopie relationnelle, celle des corps sans personnification, de la jouissance sans identification, le sublime dans le stupre et la fornication comme fonctionnement de la croyance au désir.

Dans les pays du sud, ce n'est plus "Allaf" que l'on crie pour contrer nos frustrations sexuelles instaurées par l'église (comme au carnaval d'Eupen) mais l'appel à la puissance pour devenir le jaguar plutôt que le paysan sans terre corvéable à merci. Au Mexique, par exemple deux types de masques de pouvoir dominent : la tête de mort partout lors de la fête des morts dans un carnaval riche en pétards qui font fuir nos terreurs et les forces animales, notamment la plus forte celle qui dans la forêt efface la vie : le jaguar.

Le masque de deuil du Dama de la société secrète AWA du peuple DOGON (Mali) est d'une grande signification parmi les forces. Il s'agit pour des danseurs masqués de danser sur le toit d'un défunt un an après son décès pour effrayer son âme et la décoller de sa maison pour que celle-ci ne s'y attache pas à hanter les vivants.

En même temps, les masques cachent quelque chose et font peur; ils sont nos propres reflets mis en scène socialement pour une protection animiste de groupe contre les mauvais esprits. Tels ces masques kifwébé des SONGYE (RDC) qui sont des gendarmes chargés de faire fuir les forces de la nuit qui s'approcheraient du village, parfois sans électricité.

Les masques sont nos rêves et nos désirs avec par exemple le masque de la belle jeune fille "Mwana Po" des TCHOKWE (RDC et Angola) ou encore les masque de cours des DAN de Côte d'Ivoire à l'élégante patine vernissée en noir brillant. La beauté et la mort sont réunies dans les masques blancs PUNU (Gabon et Congo Brazza) évoquant pour nous le plus souvent une belle japonaise aux yeux bridés et aux lèvres peintes qu'une sculpturale beauté africaine. Mais derrière l'esthétisme et le symbolisme et le message de la couleur blanche (de l'argile blanc kaolin) qui est celle de la mort et du deuil partout en Afrique noire.

Il y a les masque de réjouissance chargés de faire rire le public, parfois grotesques et déformés ou très réalistes comme les masques Gelédé des YORUBA (Nigéria), les masques Mapico des MAKONDE (Tanzanie) ou encore les masque paillés des YAKA (RDC) avec parfois une superstructure d'organes génitaux mâles sur la coiffe de paille revenant en rappel avec les nez retroussés, érectifs. Il y a encore ceux des LWENA (Zambie) avec leurs oreilles décollées, le long nez droit et les cheveux plats évoquant les blancs.

Il y a les masques magiques (que les femmes ne peuvent voir) peu sortis de leur cachette et faisant l'objet de sacrifices et de libations comme les grands masques "maison à étage" évoquant le serpent sacré des DOGON du rite Sigui-So (tous les 60 ans, à l'apparition de l'étoile Sirius dans notre constellation). Un peu partout, les femmes ne peuvent pas savoir/voir où sont les masques, ils sont gardés sous peine de mort car la rumeur dit que les femmes ne savent pas garder les secrets. En pays DOGON (Mali), on raconte la légende d'une femme qui, ayant rencontré le grand serpent, lui raconta le secret des fibres rouges venant de lui-même et depuis, dit la légende, les hommes et les femmes sont devenus mortels.

Il y a aussi les masques d'initiés, de pouvoir souvent en sept grades dans le rituel du poro des SENOFOU (Mali, Côte d'Ivoire), du Koré des BAMBARA (Mali), du bwami des LEGA (RDC). Ils sont ésotériques et ne parlent qu'à ceux qui ont reçu les clés pour les lire. Par exemple dans le bwami du peuple LEGA, des masques de bras et/ou de case du première degré n'ont ni yeux, ni narines, ni bouche ouverts; puis, les yeux vont s'ouvrir, les narines se perforer et enfin lorsque l'initié est assez mur dans son chemin, la bouche s'ouvrira et la barbe poussera. Il n'y a que peu d'études de ces symbolismes car les bons pères blancs avec leur anthropocentrisme n'avaient que mépris pour ces peuples à tradition orale. Deux catégories restent à citer également brièvement, souvent en fin de cortège car les plus sérieux : ceux des esprits dont le danseur est investi, parfois capables d'énoncer des oracles et ceux des ancêtres qui peuvent se montrer dangereux si l'on n'a pas respecté les rites vis-à-vis de leur dépouille mortelle. Ils sont d'ordinaire gris, effrayants avec des dents humaines (les N'BAKA (Equateur, RDC) et les pygmées BAKA (ITURI, RDC)).

Les danseurs sont presque toujours des hommes (sauf chez les MENDE de Sierra Léone) mais les masques sont sexués : chez les TCHOKWE, le Cihongo mâle a une barbe perpendiculaire alors que le Mwana Po femelle a des scarifications en larmes qui coulent en-dessous des yeux. Chez les SONGYE, les masques Kifwébé mâles ont une grande crête sur le crâne alors que les masques femelles non (plus nombreux et proches des LUBA(RDC)). Chez les YAKA, le nez retroussé est le symbole du pénis; chez les DAN, les yeux ronds sont symboles du mâle (et on y ajoute une barbe pour éviter toute confusion) alors que les DAN femelles ont des yeux en fentes, etc…

Il existe aussi des masques de malade pour conjurer la maladie comme chez les PENDE, le vérolé aux traits déformés et à la face coupée en blanc(mort) et noir (vie), des masques policiers pour chasser les esprits, des masques chasseurs pour que le gibier se laisse prendre et des masques de guerre souvent blancs avec des dents enchâssées comme chez les BOA (Equateur, RDC). Les masques dits à peigne des BAMBARA sont femelles s'ils ont en cimier 4 ou 8 prolongements et mâles s'ils ont de 5 à 7 dents (rappelons que les danseurs sont toujours des hommes). Il existe des masques de blancs parfois réalistes pour se moquer d'eux comme chez les BAKONGO (RDC). Il existe de petits masques passeports tenant dans le creux de la main pour se reconnaître à l'étranger entre gens de la même ethnie. Les petits masques du bwami des LEGA (RDC) aux derniers grades ont des scarifications et de la barbe ou des expressions psychoïdes assez caractéristiques. Les névroses de stress et de surcharge de travail (selon Pierre JANET) sont peu fréquentes mais les psychoses sont une incompréhension respectée. Lorsque l'on croise, dans une ville, un monsieur qui se promène tout nu, nul ne l'inquiétera, c'est un locos, il parle avec les esprits en permanence. Et donc les masques évoquant ceux qui sont proches des esprits sont parmi les plus secrets et les plus respectés.

Masques et danses sont associés, le danseur ayant placé sur sa tête le masque a aussi masqué le reste de son corps (qui peut dévoiler son côté humain) et peut entrer en transe car l'esprit du masque vient le posséder. Il n'est plus Léon l'africain mais le Dieu Untel au pouvoir terrible. Notons que, comme dans nos carnavals, il y a aussi des mascarades de simple réjouissance et/ou des masques bouffons pour se moquer des gens de pouvoir,…mais en Afrique, les esprits ne sont jamais très loin !

Essai d'herméneutique

Les masques, œuvres humaines en bois périssable sous les pluies équatoriales, sont autant outil qui dévoile qu'outil qui cache. L'ensemble du danseur est camouflé sous des tissus, des feuilles ou du raphia et seuls les membres de sa société secrète connaissent son identité. Mais l'essentiel n'est pas là : lorsque le masque danse/s'exprime dans un environnement théâtralisé avec ambiance musicale et police de fête, c'est d'abord une invitation à nous regarder nous-mêmes et à accepter derrière ce faciès hostile ou grimaçant notre propre reflet éphémère. Tous les masques sont terribles et beaux car ils parlent de notre mort assurée.

"Dans le culte bwami des LEGA, il y a à la base une réaction de transe. Si en plus, on administre de l'autosuggestion, on obtient une liberté cérébrale, une lucidité qui peut même être dirigée.(…)
Dans l'iconographie des masques, malgré la stylisation parfois importante, les narines perforées sont rarement absentes. Ces perforations ainsi que la bouche protubérante sont la représentation de la technique de l'hypnose. "

Selon le psychologue suisse Carl Gustav JUNG , avec la symbolique de la "persona" (masque) depuis les tragédies grecques, nous construisons une personnalité qui est en fait l'ensemble de nos représentations du monde adaptées aux divers problèmes que nous avons rencontrés dans notre enfance ou adolescence. Dans notre vie quotidienne, nous finissons par prendre nos masques sociaux pour la réalité.

Si nous sommes en recherche d'un plus d'authenticité, nous parviendrons après un travail sur nous-mêmes à enlever une enveloppe de ce que nous appelons "notre personnalité". Mais en-dessous de celle-ci se trouve un autre masque et, comme dans les poupées russes, encore un autre, etc.

Dans nos archétypes culturels occidentaux, il y a trois puissances, nous dit JUNG : la force du Phallus (Dieu le père), la Sagesse du St Esprit et la Beauté de la fille (ou du fils) mais cela ne colle pas avec les autres représentations archétypales de l'humanité. Par exemple, le mandala tibétain est toujours un carré (un palais avec 4 portes), la quatrième porte étant notre réconciliation avec l'ombre, l'obscur, la volonté de vivre. On pourrait ainsi imaginer qu'accepter nos peurs, nos terreurs en enlevant les masques pour regarder non seulement la beauté mais la laideur (des points de vue subjectifs) de l'humanité, c'est en quelque sorte l'accepter avec la cruauté de la nature (le petit de la gazelle à moitié sorti de la matrice et qui est déjà déchiré par les dents et les griffes du guépard). Notre quatrième pilier sans masque est le SELF, l'authenticité sans état d'âme, au-delà de la joie et de la tristesse de SPINOZA avec l'énergie MANA.

Edgar MORIN rejoint le psychologue Pierre JANET en citant dans son ouvrage "La connaissance de la connaissance" la cartographie des états méditatifs et extatiques de R. FISCHER.

A l'état de veille normale, notre cerveau peut être en routine journalière (légèrement excité) ou en relaxation. Si on poursuit la voie de l'excitation cérébrale, nous aurons alors une sensibilité plus fine pouvant conduire à la créativité artistique (le masque) mais parfois, si l'on n'y prend garde, à l'anxiété (angoisse). L'état de surexcitation suivant peut donner des hallucinations voire des états schizophréniques, autistiques allant jusqu'à la catatonie comme le montre l'hébétude de certains masques LEGA, puis au "rapt mystique" de l'extase religieuse dont Sainte Thérèse d'Avila est le modèle type dans notre culture.

Sur le chemin inverse, si nous cultivons le calme profond par la méditation zazen, nous pouvons aller vers une hypoactivité cérébrale comme les fakirs yogi. La méditation zen est une autre démarche pour atteindre une fondation psychologique mais elle peut aussi être dangereuse pour les dépressifs. La première phase est Samatha, la détente, le relâchement, le lâcher-prise : essayer de ne plus penser mais sentir. La seconde phase est Vipassana, il s'agit de se concentrer sur un point précis, une sorte de contemplation non hystéroïde, une fusion avec ce qui nous entoure sans le sentiment océanique. Si nous sommes en développement personnel, deux chemins sont alors possibles : lever la tête et contempler le vide du cosmos avec la sérénité de faire partie de l'ensemble ou baisser la tête, voir un trou profond (le vide) et y tomber si nous sommes dans un état dépressif ! Le SAMADHI du Yoga est le summum de cette hypoactivité. Notons à partir de FISCHER que les extrêmes se rejoignent par un anneau de Moëbius où l'on peut enlever ses masques pour être soi-même dans l'authenticité de l'instant.

Nous pouvons percevoir fugitivement, par la voie spirituelle ou son contraire, la volonté de vivre sans masque c'est-à-dire sans sens, sans raison d'être que la vie en elle-même mais bien vite pour notre survie mentale représentative, le couvercle retombe et nous saurons dans notre mémoire que nous avons perçu les quatre piliers mais très vite nous aurons remis le masque.

La symbolique globale pour toutes les ethnies de l'humanité est de vivre au plus près possible de l'authenticité, même s'il n'y a rien en-dessous du masque ("Heureux les pauvres"). Si nous n'avions pas détruit avec nos bottes de colonialistes les diversités culturelles (comme par exemple les cultures à tradition orale), nous aurions peut-être pu avoir la chance d'apprendre une autre "réalité" que la pensée unique économique ?

Jean-Marie Lange, 27.08.2009

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