lundi 26 octobre 2009

Le sacré et l'éducation

"Ce qui fait notre différence c'est que nous discutons et persuadons. Nous acceptons les autres points de vue. Si nous cessions d'agir ainsi, qu'est-ce qui nous différencierait des barbares ? La démocratie existe afin d'entendre l'opinion de ceux qui ne sont pas d'accord avec nous (le contre-pouvoir). A quoi servirait de siéger si nous n'écoutions pas des avis différents ? C'est notre force, pas notre faiblesse."(Ian PEARS)[1]

Notre société est malade des accrocs des sphères de pouvoir; les hommes d'affaire néolibéraux, après le renflouement des banques par l'Etat fin 2008, distribuent les parapluies dorés alors que le pouvoir d'achat de tous les contribuables a été sacrifié par ces classes politiques délétères qui veulent le pouvoir de gestion à n'importe quel prix de bassesse : les luttes ethniques flamandes avec scission de la sécurité sociale et transfert des casernes en Flandres, les cartes d' identité délivrées avec photos masquées aux femmes voilées à Bruxelles, les cumuls des mandats et parapluies, comme dans le privé, au parti socialiste (dit des travailleurs), etc.

Et de l'autre côté de la Méditerranée, des jeunes innocents rêvent de l'El Dorado européen au point de risquer leurs vie en la confiant à des passeurs sans scrupule qui les exploitent ou les tuent et quand quelques-uns d'entre eux arrivent en Belgique ils sont enfermés dans des centres dits d'accueil et refoulés parfois cinq ans après; donc ils prennent le maquis s'ils le peuvent et vivent d'expédients.

"L'islam, dans sa version fondamentaliste, a cette vertu principale de nous contraindre à réévaluer tout ce que nous tenions pour acquis : le régime démocratique, la liberté d'expression, la tolérance. Il nous oblige, surtout en France, à reconsidérer le fait religieux. Tout ce qui semblait aller de soi doit être repensé grâce aux objections des fidèles, des théologiens, des imans, résolus à ne rien concéder à nos sociétés permissives. Ces objections faites à nos certitudes, ne les balayons pas d'un revers de la main. Même s'il ne fait aucun doute que le radicalisme islamiste sera vaincu un jour – mais au prix de quelles souffrances, de combien de centaines de milliers de morts ? – acceptons qu'un ennemi nous soit né et nous aide à rester vigilants, en état d'alerte."(Pascal BRUCKNER)[2]

Il y a vers l'Europe, des mouvements migratoires sociologiques de grande ampleur, que des murs racistes comme ceux de type israélien ne pourront jamais arrêtés. Au lieu de faire une chasse aux "sans-papiers", notre communauté devrait, sur la base de notre sacré laïque, les droits de l'homme, les accueillir dans la dignité et les intégrer par l'éducation dans la différence mais sans se soumettre aux diktats religieux moyenâgeux de certains. Les barbares sont aux portes de Rome, mais faut-il détruire Carthage ?

"Quand il eut fait raser Carthage après l'avoir défaite, le général romain Scipion Emilien imagina, dans une intuition fulgurante, un sort identique pour Rome et vit l'Empire tué par son propre triomphe? Le même mouvement qui l'avait hissé sur les cimes pouvait le précipiter dans l'abîme. C'est la marque d'un grand homme, nous dit l'historien grec Polybe, que de penser la coïncidence toujours possible de la victoire et de la ruine. Le vertige du succès facile est mauvais conseiller s'il renforce un Etat, une nation dans la certitude de son invincibilité."[3]

Qu'est-ce que l'éducation ?

L'éducation est un double concept. Cela peut être la bonne éducation transmise par les parents à être poli, à apprendre le savoir-vivre à table mais aussi à respecter les profs et les femmes, à choisir sa philosophie ou sa religion en toute liberté (malgré les déterminismes familiaux), en respectant donc tous les humains. Mais ce même concept appliqué à l'école concerne alors le savoir et savoir-faire en écoutant le maître, en mettant ses leçons en pratique, en étant présent régulièrement et ponctuel en classe, en étudiant chez soi les matières vues ("Putain ! La galère !"), soit l'acceptation de frustrations dans le court terme pour un futur choisi.

La première marche est donc le savoir-être transmis par la famille du primo-arrivant. Dans une horde primitive d'hominidés, le père-chef a la force physique et est naturellement celui qui impose les normes. Imaginons cependant une famille arrivant d'une contrée lointaine et montagneuse où le père donne des baffes pour se faire respecter et où les jeunes mâles ici à Bruxelles apprennent plus rapidement le français et acquièrent de ce fait une suprématie vis-à-vis des papiers et de la bureaucratie. Alors, le père perd parfois son pouvoir d'éducation et le fantasme de toute-puissance de la petite enfance renaît chez l'adolescent qui veut la réalisation de ses désirs, maintenant et tout de suite. Ainsi, il va dire dans la même phrase le même irrespect qu'à son père : "Tu me parles mal !(projection). Baisse les yeux !(signe d'agression chez les gorilles). Je nique ta mère ! (pulsion)."

Il a maîtrisé le père et, saoulé de son pouvoir, s'imagine maîtriser le SYSTEME de sélection cachée derrière le discours lénifiant de l'enseignement pour tous, celui qui va l'évaluer sur son insertion normative. En effet, le prof n'est qu'un pion mais si on lui a parlé ainsi, il ne va pas être enclin à la mansuétude et s'il manque, ne fut-ce qu'un demi-point à l'apprenant, celui-ci en conseil de classe sera réorienté vers une section technique puis une section professionnelle puis en CEFA (apprentissage par alternance en usine) et il va de lui-même comprendre mais trop tard qu'il est largué sur le plan des bonnes filières conduisant à des emplois intéressants.

Un autre facteur intervient également chez les enfants n'ayant pas reçu d'éducation familiale ou savoir-vivre ensemble et à la possibilité de se remettre en question (on ne peut pas avoir toujours raison ?) : tout ce qui leur arrive ne sera jamais leur faute mais celle d'un facteur externe. Ils vont trouver toute contrariété trop injuste envers eux et "avoir la rage" contre ceux qui réussissent dans cette société de consommation dont leurs parents rêvaient pour eux : ils n'ont pas trouvé les clefs implicites.

Une étude de psychologie sociale a démontré que l'enseignant "aime" mieux les étudiants capables d'autocritiques appelés les "internes" par rapport aux autres dont ce n'est jamais la faute, les "externes" et ont donc tendance à noter ces derniers de façon plus sévère (même si les enseignants ne reconnaissent pas cette discrimination de leur part).

Alors le jeune primo-arrivant devenu majeur va - si ses papiers sont en ordre – recevoir l'aide sociale et continuer à vivre chez ses parents dans une cité éloignée du centre ville. Il va s'ennuyer et se reconnaître dans le groupe des autres paumés qui glandent et cela deviendra peut-être une bande urbaine (dealers de drogue, voleurs, drogués et bagarreurs). Si un jeune d'un autre quartier débarque sur le territoire de la bande, on le tabasse ou on le saigne au couteau (sans autre raisons que d'avoir pénétrer sur le territoire de ce clan de loups). Si une frangine se promène maquillée, en jupe et sans voile on la violera dans une tournante (c'est sa faute !) et la police n'intervient plus ou mollement parce que derrière elle la justice, toujours pas informatisée, ne suit pas et libère les délinquants, démotivant ainsi les agents. Ce sera donc, comme avec le père, un renforcement tacite de ces comportements délictueux et l'avènement d'une zone de non-droit comme un chancre dans notre pays qui a des lois pour protéger théoriquement les droits naturels de ses habitants.

Chacun est libre de s'exprimer et de s'habiller comme il veut si sa tenue reste décente. Toutefois, la violence, les menaces, les car-jackings, l'imposition du hidjab, etc. toutes ces insultes et provocations imbéciles ne pourront qu'augmenter la distance que vont prendre les autochtones qui les accueillent. Dommage, le très beau film WELCOME à propos des migrants de Calais vers l'Angleterre montre bien la sympathie des gens et la volonté d'entraide envers les sans-papiers, ce qui contrarie les autorités française.

"Le ministre de 'l'émigration prétend que le "délit de solidarité" n'existe pas. Or l'article 62-1 du Code des étrangers punit de 5 ans de prison et 30.000 euros d'amende quiconque aura "aidé ou facilité" l'entrée et le séjour d'un sans-papier en France.(…) Si vous n'avez pas été effrayé par les tracts distribués par la police menaçant ceux qui s'opposeraient à une expulsion d'étrangers de 8 ans de prison (tous délits confondus) et qu'il vous vient à l'idée de voler au secours d'un sans-papier entravé au fond de l'avion, eh bien, levez-vous, faites connaître votre indignation au commandant de bord ! En général, cela suffit pour que votre protégé soit débarqué, et vous aussi d'ailleurs. Avec, en prime, garde à vue et incitation à la rébellion"(2 mois de prison, 7500 euros d'amende) et "entrave à la circulation d'un aéronef afin de soutenir des personnes faisant l'objet d'une reconduite à la frontière"(5 ans, 18.000 euros d'amende, article L282-1 du Code de l'aviation)."[4]

Mais dans un esprit de prévention du racisme, disons aussi le non-dit, calmement et sans haine, en observant les faits et en les alignant : combien de touristes occidentaux apportant des devises ont insulté des femmes arabo-musulmanes ? Combien de jeunes européens ont fait sauter des mosquées dans le Maghreb ou en Arabie pour protester contre une caricature du pape ou du Christ ? Par contre, je constate que la communauté marocaine de Bruxelles se sert de nos structures sans vergogne, insulte les cyclistes autochtones qui freinent le trafic dans SON quartier, prend l'aide sociale (sans contrepartie de travaux public) et l'envoie au pays via la Western Union mais ne donne jamais rien à son pays d'accueil, pas même le respect de son mobilier urbain (tags, pavés dans les vitrines, tailladage des sièges dans les bus, crachats partout, cannettes à côté des poubelles, etc.) On n'a pas à être plus vertueux parce que l'on est immigré mais tout de même, 30% de la population carcérale est marocaine et dans les 19 bandes urbaines de Bruxelles, 10 sont subsahariennes, 6 du Maghreb et 3 autochtones !

Sans être nullement d'accord avec le président d'extrême droite (dans les faits) Nicolas SARKOSY, il faudrait faire un tri non bureaucratique : que des familles intégrées avec les enfants dans nos écoles depuis plusieurs années ne soient plus inquiétées par l'Office des étrangers, que des demandeurs d'asile ne soient plus parqués dans des centres fermés (comme Vottem ou Steenokerzeel) mais par contre que des délinquants récidivistes soient renvoyés par charters dans leurs pays d'origine. Nous n'avons que faire des mafieux albanais ou tchéchènes qui contrôlent chez nous le trafic des êtres humains, que faire des voyous de Kinshasa et des dealers de toutes sortes devant nos écoles. Et surtout pas de fanatiques religieux qui crachent sur notre sacré : les droits de l'homme avec la complicité des politiciens sans âme et prêts à tout car en mal de voix.

Que peut-on faire ?

Notre sacré à nous, c'est la désacralisation; alors pourquoi cette lâcheté de nos élus vis-à-vis des piscines spéciales ou des cartes d'identité avec photos voilées ? Ne confondons pas ceux qui se servent du Coran à des fins politiques et non spirituelles. La modernité de l'Afrique et sa démocratisation passeront par l'islam et non contre lui car des millions de musulmans sont tolérants et peuvent vivre en paix avec nous sans pour autant nous empêcher de vivre selon nos valeurs des Lumières. Par humour, deux enfants d'école primaire sont venus en classe avec des chapeaux de Gilles de Binche et lorsqu'on les a questionnés, ils ont dit : "que c'était leur choix et leur coutume !"

Nous avons fait des lois contre le pseudo-délit de sale gueule et il est interdit de discriminer à l'embauche. Certes mais ce n'est pas suffisant et nous devons pouvoir fournir des cours de "comment réussir un entretien d'embauche tout en restant courtois !" Je suis contre tous les racismes mais je peux comprendre ce petit patron de PME qui ne veut pas dans son équipe des travailleurs tire-au-flanc ou mal embouchés. Les lois non discriminatives ne suffisent pas, il faut des mesures d'accompagnement avec des profs-experts en savoir-vivre invisible. Pourquoi dans les écoles donner à de jeunes profs inexpérimentés des cours d'accueil pour primo-arrivants ne parlant pas français ? Notre ennemi est chez nous; ce sont la corruption, le piston politique et la bureaucratie qui en arrivent à dénier les mérites des communicateurs expérimentés.

Refusons à la fois les colonisés imaginaires (c'était il y a 50 ans !) et les lobbies de la droite européenne hypocrite. Est-ce que quelqu'un a vu depuis le Plan Mansholt en 1972, un acte social de gauche dans la courte histoire de l'Europe ? Pendant que l'on fait appel à la victimisation compulsive[5] et que l'on attire notre attention sur ce pseudo-ennemi extérieur qui arrive à nos frontières, l'hypocrisie néolibérale, non ébranlée par la crise de 2008, en viendra bientôt à nous vendre la nature comme l'eau et l'air pur.

Luttons, fermement certes, contre les terroristes fondamentalistes qui cherchent par la terreur à déstabiliser l'Europe mais – pour l'humanité future de nos enfants communs - ne mélangeons pas ces quelques fanatiques avec nos frères humains de la seule race qui peuple la terre HOMO SAPIENS SAPIENS.

Jean-Marie Lange, 26.10.2009
[1] PEARS Iain, "Le songe de Scipion", Paris, Pocket, 2006, p. 60.

[2] BRUCKNER Pascal, La Tyrannie de la pénitence. Essai sur le masochisme occidental, Paris, Livre de Poche, 2008, p.155.

[3] BRUCKNER P., ibid., p.231.

[4] Les dossiers du canard enchaîné, "Je te vois !" Filés ! Fichés ! Fliqués ! Comment nous sommes tous sous surveillance", Paris, juin 2009, p.77.

[5] " Ce que la pensée victimaire ressuscite, c'est l'ancienne catégorie religieuse de la malédiction. Comment éviter alors de se transformer en lobbies de suppliciés professionnels, disputant à d'autres leurs parts de marché et la couronne du martyr ? De même qu'il y a des juifs imaginaires, il y a des esclaves et des colonies imaginaires qui veulent se draper dans une légende maudite.(…) On ne fonde pas un sentiment d'appartenance sur un malheur théâtralisé, on le fonde sur une expérience collective partagée, une responsabilité croissante dans la vie publique, médiatique, professionnelle." BRUKNER P., ibid., p. 161.

samedi 24 octobre 2009

GAP – Brève :
Les valeurs des droits de l'homme sont honnies par tous les fanatismes (fondamentalistes islamistes, néofascistes, intégristes polonais, etc.) La violence barbare s'insinue partout : du Soudan à la Guinée en passant par les bandes urbaines de GALSGOW parce qu'il n'y a plus d'éducation élémentaire au respect de l'autre et à la courtoisie.
Je ne suis pas croyant mais nous avons besoins des religions pacifistes (sans djihad et AVEC préservatifs). Il ne faut pas amalgamer les fanatiques et les caractériels sans limites ni repères avec l'islam. La démocratisation des pays musulmans se fera avec l'islam et non contre !
Jean-Marie LANGE

mardi 20 octobre 2009

Brève du GAP
"Où sont les propositions actives rendant possible et désirable de faire autrement, c'est-à-dire d'abord ensemble, les uns pour mais surtout avec les autres ? Où sont les choix concrets et négociés collectivement ? Où sont, à
l'école, les modes de travail ensemble qui créeraient le goût de coopérations exigeantes et l'expérience de la force d'un collectif qui œuvre à réussir "tous ensemble", contre l'évaluation qui sépare et juge ? Il faut se souvenir de tout cela, c'est-à-dire de la manière dont nous sommes formés, activés, capturés, vidés."Isabelle STENGERS, Au temps des catastrophes, 2009

dimanche 18 octobre 2009

Rapport du voyage Burundi septembre 2009.

Association TUGWIZIMBUTO
D’après l’agronome et président de l’association que j’ai pu rencontrer lors de mon court séjour sur la colline voici l’évolution.
La disponibilité des semences
Ils ont : des graines de salade (qu’ils appellent brocoli problème d’étiquetage sans doute).
Amaranthe, bette, soja, poivrons, épinard. Ces semences proviennent essentiellement de celles qu’on leur a ramenées de Belgique.
Le reste : oignons rouge, oignon blanc, poireaux viennent de la DPAE(FAO).
Pour les autres graines ramenées de Belgique, soit les plantes n’ont pas survécue à la saison des pluies soit elles n’ont pas convaincue parce que les gens ne connaissent pas.
Projet : Ils envisagent de cultiver du sorgho, l’arachide, l’éleusine et le blé, ingrédients nécessaire pour la fabrication de la bouillie pour les enfants.
Projet élevage porcine pour la production du fumier (alimentation des composts) et de la viande (amélioration de l’équilibre nutritionnel).
Les trois cochons ont été distribués en élevage par zones(3) déterminées lors des réunions de l’AG mensuel.
Un champ de patate douce a été cultivé pour les nourrir. Seulement ils doivent faire face aux soins vétérinaires et le gros du budget de l’association provenant des récoltes y passe. C’est ainsi qu’un des cochons n’a pas survécu. Il en reste 2 sur 3.
Projet four solaire
Le four solaire de la maternité fonctionne très bien. Ils chauffent de l’eau au moins deux fois par jour. Et tes bouillottes Birghit ont remplacé les bidons d’eau.
Le four de la colline ne fonctionne pas comme il devrait l’être, les femmes ne veulent pas quitter leurs Rugo(domicile) pour aller cuisiner chez quelqu’un d’autre.
Projets
Projet immédiat : La culture en terrasse et la lutte antiérosif.
Projet futur :
· Achat d’un moulin à grain (plus ou moins mille euros)
· Élevage de vache laitière (compter mille euros)
Projet social : avec l’argent qui provient des récoltes, pour l’instant 62 mille francs bu (36 euros), ils se sont mis d’accord, d’aider chaque membre de l’association qui aurait des difficultés de soin de santé ou de décès dans la famille.

Projet alphabétisation.
Il est possible qu’un projet alphabétisation voit le jour. Je vous l’exposerai lors de la prochaine réunion.

vendredi 2 octobre 2009

Le fonctionnement à la croyance : la nocivité de toutes les religions

"D'en haut de vos très blanches loges
Les voyez-vous qui s'interrogent
Millions de fourmis qui pataugent
La tête tournée vers les cieux ?
Sommes-nous seuls dans cette histoire
Les seuls à continuer à croire
Regardons-nous vers le bon phare
Ou le ciel est-il vide et creux ?"
(Le chêne liège - Francis CABREL - "Des roses et des orties", 2008)

"Il est difficile de croire, par exemple, que la santé soit améliorée par l'état semi-permanent de culpabilité morbide dont souffrent les catholiques dotés d'une fragilité humaine normale et d'une intelligence inférieure à la normale. Il n'est peut-être pas juste de faire une distinction pour les catholiques. Toutes les religions sont les mêmes : la religion, c'est fondamentalement la culpabilité, avec des jours de fêtes différents."(Richard DAWKINS)[1]

Introduction subjective

J'ai été élevé dans le mensonge, personne ne m'a dit la vérité révélée et comment pourrais-je faire partie d'une poignée d'élus (Les Témoins de Jéhovah, par exemple) sur des critères obscurs au détriment de l'immense majorité des non-élus. Je n'ai pas de certitude, de dogme ni de communauté qui me dirait depuis ma plus tendre enfance que je suis entouré d'ennemis (une façon de créer une personnalité paranoïde), une communauté qui me guiderait par la prière à ne pas donner mon sang, à ne pas manger l'animal totem (le cochon), qui me protégerait même si je n'ai rien demandé en choisissant pour moi mes études et mes loisirs (pas de TV, pas de sortie Rock, pas de vin, pas de sexe, pas de rire).

Je suis un mécréant, merci mon Dieu de m'avoir permis de croquer la pomme de la connaissance pour fuir les fonctionnements religieux. Je dis mon Dieu par boutade car je suis résolument athée mais lorsque j'aurai vu un quelconque signe cohérent de cette présence silencieuse, je deviendrai agnostique ou peut-être même combattant anti-Dieu car les massacres et génocides sont des déluges très rapprochés et il faudrait alors combattre ce mal enfin identifié.

Pour l'instant présent, je suis libre; mon corps pourrira et il n'y aura même pas d'âme pour lui survivre. Je vis ici et maintenant et ce que je suis est le résultat de mon histoire de vie (avec mes déterminismes socioculturels) et des relations avec les êtres que j'ai choisi de côtoyer (aimer tout le monde est une lâcheté). J'étudierai jusqu'à mon dernier souffle et je serai seul dans mon cercueil mais entretemps, la fraternité et l'amour de l'humanité sont mes choix lucides pour me perfectionner en luttant contre mes tendances animales à la domination et à l'exploitation d'autrui.

Sigmund FREUD

Dans "Totem et tabou", FREUD [2]émet une hypothèse intéressante sur la horde primitive. Le père de la tribu peut être compris non seulement dans un sens familial mais aussi dans le sens du pouvoir du Phallus, de celui qui guide et dirige, par exemple le chasseur le plus fort ou le plus habile. Au Néolithique, celui-ci étant donc le plus fort au niveau physique et/ou au niveau stratégique peut élaborer une alliance de groupe pour la chasse au mammouths, une battue pour piéger les mammouths au bord d'une falaise où le troupeau se pousse et se bouscule et où certains tombent et se tuent. Il suffit alors de récupérer la viande pour la ramener au campement.

Il est un peu normal que le chef-père-héros s'approprie les meilleurs morceaux de viande (la glande thyroïde par exemple). Puis il est logique aussi, chez ces hominidés polygames, qu'il choisisse les plus intéressantes des femelles (les vieilles qui savent coudre ?). Pourtant, ce qui était vrai au Néolithique l'est toujours aujourd'hui : l'exercice du pouvoir use et corrompt. Ainsi les autres chasseurs, frères, sont jaloux et frustrés des prérogatives du chef qui augmentent et se répètent dans le temps.

On ne peut rien y faire, il est le plus fort ! A moins de s'unir et de l'attaquer tous ensemble, ce qui fut fait. "L'union fait la force" dit la devise de la Belgique; ainsi, la société s'est construite sur le meurtre du père. Notons que FREUD reprendra ce raisonnement pour fonder sa psychanalyse sur le complexe d'Œdipe, une dérive ethnocentriste car, de par le monde, existent d'autres systèmes que la triangulation de la famille restreinte des Occidentaux.

On le mangea pour prendre sa force (communion cannibalisée), puis on le regretta; il manqua au groupe comme excellent stratège, il y eut donc la naissance de ce sentiment d'affection et d'envie, l'ambivalence amour/haine envers le chef que l'on avait tué. Dans le groupe, un chasseur "petit futé" proposa aux autres d'entrer en communication avec le MANA (la force) de l'ancêtre (animisme), à la condition que les autres chassent à sa place. Et dans la foulée il s'accapara la plus belle grotte, les plus jeunes femmes et les meilleurs morceaux de viande, pas pour lui mais pour faire des sacrifices. De cet accord est donc né la première caste, celle des prêtres qui avaient le privilège de servir d'intercesseurs entre le peuple et les mânes des ancêtres et aussi de traduire les volontés des morts.

Si l'on avait pu tuer le père de sang, avec l'organisation ecclésiastique parasite naissante, cela devient impossible puisqu'il est dans "l'au-delà". Cette caste qui deviendra les Brâhmanes en Inde s'allia les meilleurs guerriers pour servir de police et ce fut la deuxième caste, soit l'alliance de l'épée et du goupillon que nous connaissons depuis des millénaires de civilisation et qu'Etienne de la Boétie, l'ami de Montaigne, a dénoncé comme un système aux nombreux pieds d'argile que seront les travailleurs aliénés croyants.

Notons que pour FREUD : "la religion est une névrose obsessionnelle collective" et effectivement, si nous n'acceptons pas nos pulsions (le ça) comme une composante de notre nature sans pour autant les assouvir, celles-ci refoulées dans l'inconscient ressortiront en névroses et en psychoses. Cela dit, une vie sexuelle épanouie ne suffit pas, il faut encore gérer le surplus de cette énergie psychique par la sublimation créative, soit la pratique quotidienne des étudiants et des artistes.

Henri BERGSON

Nous ne sommes pas nés sur une page blanche mais dans une communauté qui a des règles considérées comme obligations. L'obligation principale était de se soucier du bien commun : au moi individuel devait se surajouter le "moi social". Devoir individuel et morale sociale pour la solidarité sont des lois nécessaires pour la vie en civilisation. Après l'actuelle crise de repères, on pourrait espérer (parmi d'autres possibles) que le sujet se soucie de son moi psychique pour le dépassement de sa pulsion de domination et de l'humanité avec les valeurs d'égalité, de liberté et de fraternité. A titre d'illustration, on peut dire que le néolibéralisme, la richesse ostentatoire du Vatican et les parachutes dorés des chefs d'entreprise ou des élus du parti socialiste belge remerciés sont des actions contraires à toutes morales.

Notre culture n'est pas autour de nous à nous surveiller; elle est en nous, intégrée à notre personnalité. BERGSON cite KIPLING et ce garde-forestier dans la jungle indienne qui tous les soirs s'habille avec smoking pour le dîner pour conserver ses traditions britanniques et son sens de la dignité. Le moi social évolue en ce que nous appellerions aujourd'hui notre conscience civique. C'est par la fréquentation des autres, de notre famille, de notre métier que nous inscrivons en nous de façon indélébile des prescriptions et des obligations pour l'insertion sociale.

Transgresser les règles nous perturbe; aussi les prêtres vont-ils se servir de ce levier inconscient pour manipuler nos consciences sur le substrat de nos déterminismes sociaux, pour que nous nous sentions le plus souvent possible en faute. C'est la conscience malheureuse du péché originel (dont n'a jamais parlé Jésus).

Une bonne intégration, selon BERGSON[3], consiste à domestiquer l'indiscipline naturelle de l'enfant pour l'intégrer à nos normes civilisationnelles. Aujourd'hui, l'Occident est en crise car les vagues de migrants musulmans intégristes veulent notre aide financière mais ne veulent pas respecter nos normes (sujettes à caution comme toutes les normes, y compris celles de nos invités envers leurs femmes) mais surtout veulent nous imposer les leurs sur notre sol (le foulard) en se servant de nos droits de l'homme que, pour la plupart, ils méprisent. En cette fin septembre 2009 dans la commune de Molenbeek, la forte communauté marocaine en terrain conquis crée des émeutes avec la police et nos lois. S'insérer demande à tous des efforts et constitue la clé invisible pour la réussite des études supérieures, pour trouver un appartement hors des ghettos ethniques, pour trouver un emploi où l'employeur considère son employé parce que celui-ci le considère également (la bonne éducation disait-on auparavant).

Les temps sont troublés et en France comme en Belgique, nous voyons le parcage en ghettos des immigrés qui veulent rester entre eux dans des cités de non-droit où, plutôt que de descendre les poubelles, on jette les ordures par les fenêtres, on tague les murs d'escalier, on détruit les ascenseurs, on propose de la drogue aux très jeunes et on terrorise les jeunes filles du même groupe ethnique lorsqu'elles portent des jupes et que leurs vélos ne sont pas voilés.

Respecter les autres même lorsque le gendarme n'est pas là est un acte de résistance à nous-mêmes, à notre égoïsme et à notre paresse pour l'intérêt de tous. Je vis dans un petit appart où il fait bon vivre car les voisins n'ont pas les pratiques barbares que je viens d'énoncer et je milite depuis toujours contre le racisme (en particulier celui envers les femmes maghrébines à qui on refuse la dignité des hommes).

Les êtres intelligents agissent sur eux-mêmes pour limiter leurs désirs par la raison, l'intelligence.

Quelles sont les diverses attitudes des citoyens devant l'obéissance ?
1. L'immense majorité des hommes dans les sociétés instituées par les Eglises et le pouvoir obéissent aux lois (pas toujours équitables) par la menace de la répression d'un bras armé. Transgresser la loi aura des conséquences judiciaires et policières. Michel FOUCAULT[4] l'a bien montré dans "Surveiller et punir" : la torture sur la place publique, l'emprisonnement et la peine capitale ne sont pas pour les déviants mais pour servir d'exemple au peuple qui voudrait penser par lui-même. Nous sommes élevés dans la soumission aux normes "il faut parce qu'il faut", c'est devenu une habitude sociale.
2. La société s'organise par l'élaboration toujours provisoire de ses institutions formant les lois. La cité humaine n'est ni une ruche ni une fourmilière, elle est de forme variable et ouverte au changement. Un contre-pouvoir peut négocier car nous savons par le langage échanger et choisir avec la valeur de la liberté. Le conditionnement social automatique, dans les sociétés à tradition orale, va être dépassé, dans nos sociétés mondiales de consommation par les acquis de l'expérience et la transparence d'un "village planétaire" (Mc LUHAN) Les habitudes séculaires pieuses persistent mais ne sont plus des tabous indépassables, l'obligation des traditions côtoie l'organisation moderne du monde. La morale se métamorphose en une éthique a minima : respecter la vie et la propriété de l'autre. Notons toutefois que cette ébauche d'éthique n'inclut pas la fraternité et vole en éclat dès qu'une tension guerrière se manifeste où l'autre redevient alors l'ennemi (pillage, viol et meurtre).
3. Nous avons commencé par aimer notre famille, notre clan puis notre nation, nous pouvons rêver qu'un jour, nous aimerons aussi le genre humain dans son ensemble, où un homme ne tirera plus pour tuer un autre homme, où nos groupes fermés avec la peur de l'inconnu à l'extérieur (les sans-papiers par exemple) deviendront des groupes ouverts sur la diversité, la courtoisie et le respect des cultures de chacun. Un gros effort reste à faire pour respecter les cultures occidentales. Cela impliquerait un brusque changement de dépassement des chapelles en les limitant à des maisons closes (églises, temples et mosquées par exemple). La morale d'eau bénite (charité, dévouement, sacrifice,…) devrait se transformer en de sereins droits de l'homme pour tous, le droit à la dignité et à la raison de penser ce que l'on désire sans peur de quelques fous tueurs. L'utopie n'est pas une aberration, mais une possibilité de créativité, un simple projet pariant sur le bon côté des hommes pour une gestion plus saine de nos sociétés.

Frédéric LENOIR

LENOIR [5], par ailleurs grand connaisseur des textes bouddhistes, explique l'anticléricalisme du Christ à partir des contradictions des Evangiles. Le regard qu'il pose sur Jésus est celui de l'authenticité de l'homme. Que l'on soit croyant ou non, au sens réel ou au sens symbolique, ce ne sont pas nos déclarations et/ou nos réalisations qui sont à retenir mais les moments où l'on a su rester vrai et dire le non-dit, la parrêsia.

L'expérience de notre vie nous conduit à des choix qui modèleront nos attitudes et nos comportements : "être pour soi sa propre lumière"(Bouddha) ou devenir bien conforme pour jouir des miettes des puissants, par exemple réussir une carrière universitaire dans le cercle fermé des professeurs de facultés ou avec de bons pistons politiques ou encore plus grave il y a une soixantaine d'années ne pas résister à l'oppression nazie et choisir la collaboration. L'église de Pie XII, malgré son service de renseignements sur les camps d'extermination avait choisi de se taire d'ignorer la SHOAH et ses 6 millions de morts, des humains exterminés sans la moindre réaction de la hiérarchie ecclésiastique du Vatican.

En 325, au Concile œcuménique de Nicée, l'Empereur romain CONSTANTIN choisit le christianisme comme religion d'Etat contre sa doctrine rivale de l'époque, l'arianisme, il se fera même baptiser sur son lit de mort. Les catholiques de l'époque, de persécutés deviennent persécuteurs au nom de leur foi, un remake que joueront les successeurs de Mahomet environ 650 après JC avec la DJIHAD [6] (guerre sainte qui consiste à convertir par la force l'infidèle). En Inde aussi, on verra des villages qui se massacrent entre eux parce que l'un est sectateur de Shiva et l'autre de Vishnou alors que, pour les Brahmanes, avec Brahma, c'est la même trinité. Les catholiques eux aussi ont pris goût à torturer et tuer les parfaits non-conformes. (L'Inquisition ne sera supprimée qu'au XVII°). En 391, THEODOSE 1er établit officiellement le christianisme comme religion d'Etat et interdit les cultes païens. En 1453, ce sera la chute de Constantinople et de l'Empire romain d'Orient et la naissance du droit d'ingérence des papes dans les affaires temporelles.

Pour ne pas faire de jaloux, notons qu'outre la DJIHAD islamique et l'INQUISITION [7] chrétienne, la religion juive de la TORAH n'était pas en reste non plus au niveau rigidité et terreur. Pour ses adeptes, il n'y a pas de Christ philosophe, juste un révolutionnaire qui veut devenir roi des juifs et sur lequel l'acharnement des prêtres [8]n'aura nulle limite.

Jésus, fils de Marie [9], fréquentera diverses femmes mais restera célibataire. Il s'oppose à la lapidation de la femme adultère (peu de progrès depuis chez les pieux musulmans) et refuse les lois religieuses et politiques, ce qui fera du clergé (lié au pouvoir romain) son ennemi. Contrairement aux lois de la TORAH ("œil pour œil"), Jésus refuse les provocations et les incitations à la violence, les méchants sont ceux qui ont mal à leur vie. Il sera le modèle de la non-violence de Gandhi.

Le Christ a initié la démarche psychologique de rechercher une spiritualité dans la personne du sujet lui-même. Il n'y a de philosophie chrétienne que du non-sens puisque c'est une foi basée sur des dogmes (une théologie). Aujourd'hui, chez les penseurs humanistes successeurs de Jésus, il reste une éthique désacralisée et sans Dieu (Spinoza). Le message du sage Jésus est dans le social : développer la liberté individuelle et dans l'interne : se découvrir une vie spirituelle non croyante.

Outre ces résistants à qui nous voulons rester fidèles en mémoire - avec "Les Territoires de la mémoire", depuis ce demi-siècle de civilisation - de nombreuses familles ont été massacrées (croyants et athées) et torturées pour rester fidèles à la dignité des hommes. Ce ne sera qu'en 1948 que l'ONU donnera une loi de principe : la Déclaration des droits de l'homme.

Friedrich NIETZSCHE

NIETZSCHE évoque JAHVE le Dieu d'Israël comme l'expression par le peuple juif de sa propre puissance et de la joie d'être un peuple fort, confiant en la nature. Ils priaient leur Dieu de la justice pour avoir de la pluie et comme auto-approbation de bonne conscience d'eux-mêmes. Mais là aussi, les prêtres changèrent ce symbole d'amour-propre collectif pour le dénaturer à leur profit en son contraire. L'idée de Dieu s'instrumentalisa par la soumission au clergé qui fit de JAVHE un Dieu jaloux et vindicatif qui ne supportait pas la désobéissance que l'on appela "péché" et les autres peuples non circoncis dont il fallait abattre les ashrams (autels).

Il y eut donc une inversion de cause et d'effet et le Dieu qui aide et qui inspire la confiance en soi devint le Dieu qui exige avec une causalité antinaturelle, c'est-à-dire contre nature avec par exemple une morale sexuelle très fermée entre élus, un changement entre une morale normative concrète qui régule la cité en une morale abstraite opposée à la pulsion de vie avec promesse d'une rédemption post mortem pour les plus conformes et l'enfer châtiment pour les résistants : la carotte et le bâton. Ainsi s'installa, nous dit NIETZSCHE, ce type humain parasite, le prêtre, qui ne prospère par la mauvaise conscience qu'au détriment des autres humains et de la vie naturelle, ce que l'on perçoit mieux au Tibet avec le lamaïsme, les lamas mendiants et oisifs apprenant par cœur les prières pour chasser les démons, caste supérieure et nourrie par la classe paysanne en échange de ces prières.

Lorsque Jésus prêcha son chemin avec notamment les Béatitudes ("Heureux les pauvres,…"), il courrouça la caste dominante des prêtres d'Israël en voulant créer un autre Royaume.[10] Pour NIETZSCHE, après l'assassinat de ce surhomme, les théologiens transformèrent les sermons de ce BOUDDHA du Proche-Orient pour aviver la propagande chrétienne, avec la notion de mal et de péché, autrement dit inverser un message oral d'amour en la vie et la lumière en un catéchisme de croyances culpabilisatrices et de dogmes fanatiques. "Une religion, c'est une secte qui a réussi", dit la sociologue Anne Morelli. Notons en passant que le concept de "surhomme" a été dévoyé bien après les écrits du philosophe par le "petit homme" Hitler et ses hordes de nazis se servant de la pureté de la race aryenne pour légitimiser l'assassinat en série du peuple ayant crucifié le Christ. Et la bête immonde qui veut dominer le monde n'est pas morte en nous; pensons aux génocides dans l'ex-Yougoslavie ainsi qu'au Rwanda et au Burundi. Le christianisme a lancé lui aussi une lutte à mort contre les penseurs de l'humanité qualifiés d'hérétiques. Dès qu'il y a un fonctionnement à la croyance rigidifiée en un système religieux ou laïque (le National-socialisme, le stalinisme, les Khmers rouges,…), il y a le règne de la pulsion de mort et des millions d'hommes en mourront de mort violente.

Les religions en général ont jeté l'anathème sur les forces de vie de la nature et, à partir des instincts belliqueux, ont propagé le concept du mal et le statut de méchants ne faisant qu'obéir aux ordres (Eichmann à son procès de Jérusalem). Même chez certains intellectuels, ce mal sournois, qui combat la liberté de la vie, a perverti les raisonnements en leur enseignant à ressentir les valeurs des esprits libres comme des péchés. Il est antinomique de se déclarer scientifique croyant car un scientifique ne peut que cultiver le doute systématique même en ses plus intimes certitudes.

Notons que pour ce philosophe pessimiste, une seule religion est positiviste à son époque : c'est le bouddhisme[11]. Nous ne pouvons être en accord avec son optimisme et confondre l'enseignement oral du BOUDDHA avec la doctrine de récupération religieuse. Le bouddhisme de virtuoses et d'érudits exporté en Occident est une regrettable erreur. Au Tibet, cela reste un ramassis de cultes superstitieux et d'obscurantisme. Pour illustrer cette opinion, dans un monastère (mais ce fut la même disposition partout), j'ai demandé à un lama: "pourquoi les bibliothèques sont-elles situées à 1m20 du sol?" et celui-ci me répondit qu'en se courbant, les paysans ignares peuvent passer en-dessous et ainsi recevoir par osmose les enseignements apocryphes. En effet, comme Jésus, le BOUDDHA n'a jamais écrit une seule ligne.

Michel HULIN

Si je veux diriger une nation sans prendre en compte les diverses tendances traversant la société (ce qui serait alors une véritable démocratie), je vais susciter des contradictions puis une grogne contre moi. La seule solution classique nous dit la psychologie des foules de Serge MOSCOVICI, c'est d'attirer l'attention du peuple, d'orienter le regard de la foule vers l'ennemi qui est à notre frontière et/ou à l'intérieur (maccarthisme).
L'ennemi ? C'est le juif ! disaient les nazis. L'ennemi ? C'est le HUTU, non le TUTSI se répondent les deux ethnies dominantes du Rwanda et du Burundi. L'ennemi ? C'est l'ex-colonisateur dit le despote du tiers-monde qui détourne la richesse nationale de son pays à son seul profit. L'ennemi ? C'est l'Etat d'Israël et l'Impérialisme américain dit le dictateur iranien qui a truqué ses élections.
L'ennemi, c'est l'OTAN disent les terroristes fondamentalistes afghans. Etc. etc. En réalité, l'ennemi est en nous, ce sont nos préjugés et notre désir de nous privilégier nous et notre petite vie égoïste au détriment des autres, de tous les autres.

Lorsque l'église catholique de Constantin s'accapare un message philosophique d'amour pour en faire un message de haine, d'intolérance et d'autoflagellation, elle invente SATAN, l'axe du mal. La dichotomie du diable et du bon Dieu permettra, comme nous l'avons dit, la torture et les meurtres de l'Inquisition ainsi que les guerres de religion. "Dieu est avec nous" était gravé sur les boucles des ceintures des envahisseurs allemands en 1940. "GOTT MITUNS!" et les autres sont le mal, le mauvais.
Au niveau symbolique, il est nécessaire de prendre en compte avec la Trinité, la force de SATAN comme composante intrinsèque. Le bien et le mal ne peuvent s'annihiler, ce sont les deux pôles composant une contradiction et ils ne peuvent que s'englober et se dépasser. Le bien ne pourra triompher du mal qu'en l'acceptant avec un regard moins dichotomique dans un autre regard conceptuel. Le "vouloir vivre" et la conscience morale doivent coexister et se recadrer pour sortir de l'obscurantisme (des illusions et de l'ignorance). Le code moral d'une époque est toujours relatif, pensons à la masturbation du temps de l'ère victorienne. Le BOUDDHA conseille d'éviter les extrêmes (le sacrifice et l'égoïsme) pour trouver la voie du milieu.

Pour revenir à la dialectique "par delà bien et mal", JUNG dira de même : nous devons accepter notre part d'ombre et de désirs cachés pour devenir lumineux; une lumière, un éclairage sur l'essentiel aurait dit également Friedrich. Nous sommes tous potentiellement violents et tueurs selon le contexte (plus de 170 tués par l'armée en Guinée, ce jour lors d'une manifestation pacifiste). L'entraînement des militaires consiste en un lavage de cerveau pour substituer l'acte de tuer comme un soldat mécanique à la vertu du penser. L'ennemi est en nous, il suffit de faire appel à la bête intérieure et à la colère enfouie pour faire de chacun un tueur. Le psychologue social Stanley MILGRAM l'a prouvé dans sa recherche "Soumission à l'autorité". Bien sûr, il n'est pas facile de faire égorger au couteau un bébé par un soldat car il va y avoir blocage de ses représentations mentales par la non-violence souriante du bébé qui lui rappelle le sien. Par contre, on peut le driller et le placer dans un bombardier en lui disant d'appuyer sur le bouton de largage lorsqu'on lui en intimera l'ordre et ce sera alors des milliers de bébés qu'il tuera, sans les voir, grâce à la distance d'un bouton poussoir et de son conditionnement infantile : "nous sommes les bons et eux les méchants!".

Selon HULIN [12], le vivant est en soi la réalité perçue et la réalité percevant. Etre soi est le bien de la vie, la paix avec soi, la réconciliation de notre Moi clivé. Il y a au départ le narcissisme puis la conquête du l'hors-Moi. Vivre se transforme d'être en faire pour annexer le non-moi du monde extérieur, tâche bien sûr vouée à l'échec. Faut-il vraiment réussir dans la vie ou réussir sa vie, ce n'est pas la même chose. Changer le monde est une tâche qui nous dépasse et augmente aussi l'angoisse de notre impuissance en nous faisant perdre de vue le plaisir simple d'exister et de nous engager contre les injustices…AVEC LES AUTRES : la pensée ET l'action sociale.

En conclusion

Il faut se battre hors de nos replis frileux contre l'obscurantisme, contre la misère et les excès avides des hommes même s'ils se disent nos frères, ce qui est une contradiction essentielle entre la pensée exprimée et l'action concrète. Je n'ai pas de gourou ni de ligne directrice rassurante, je cherche la vérité avec des méthodes scientifiques et donc je remets tout en question chaque fois que je comprends mieux la nature de la vie dans le cosmos. Je suis un libre penseur pratiquant le libre arbitre de mes seuls choix. Mon symbole de vie est "apprendre". Depuis SOCRATE "Connais-toi toi-même !" et BOUDDHA "Sois à toi-même ta propre lumière!" jusqu'à John DEWEY "apprendre à apprendre", un moyen mais pour quelle finalité ? Sinon celle d'ériger la cathédrale de l'humanité ?

Jeune, j'ai eu comme idole un agriculteur de la liste "retour à Liège" dont le symbole personnel était "l'argent". Il a été récupéré par le parti dominant de Wallonie (un parti qui dérape en récupérant tous les contre-pouvoirs y compris syndicaux). Il a fait une brillante carrière politique comme David s'opposant au Goliath flamand tout en faisant fortune avec un salaire plantureux et surtout des cumuls de mandats en pagaille. Lors de sa "retraite" (son éviction ?), il a exigé - légalement - de notre petite région en crise depuis 2008 un parachute doré de plus de 500.000 euros (20 millions de francs belges comme prime principale plus d'autres avantages); après le soutien surréaliste du fédéral aux banques, cela fait coûteux pour les contribuables et les pensionnés. Cette soif de l'or, c'est pour quelle finalité au fond ? Lui mettra-t-on ses billets avec lui dans son cercueil avec un petit mot du genre "Après la Californie, l'extrème-droite a progressé et plus de travailleurs encore ont été désabusés"

Lorsque les philosophes nous invitent à nous perfectionner, c'est pour moi de la compréhension des ressorts de notre propre entité qu'il s'agit, à savoir réconcilier la raison et les émotions, lutter contre les religions aliénantes (les autres sont encore à inventer) tout en développant notre spiritualité immanente et, à partir de cette paix intérieure, se soucier des enfants et des pauvres, bref de l'humanité en souffrance tout particulièrement au tiers-monde pour un devoir éducationnel vis-à-vis des enfants qui survivront aux famines. Voilà ce qui nous rassemble : la liberté de pensée dans la dignité de tous, l'égalité de l'interdépendance (ce que l'un gagne en excès, l'autre le perd en mourant de faim) et la fraternité/solidarité d'une seule et unique humanité. Mes frères, vivons debout selon notre axe en disant le non-dit.



Tout est souffrance, dit le BOUDDHA, l'impermanence (savoir que nous allons mourir), le caractère complexe et antagoniste intra-sujet entre le plaisir et la responsabilité, la vacuité (de notre personnalité inventée, nous ne sommes que des agrégats) et enfin avec le vide de l'impuissance à être soi puisque nous évoluons constamment par delà bien et mal. Vouloir vivre n'est pas la même chose que le fonctionnement à la croyance de vouloir être soi.

Le renoncement à nous affirmer à tout prix contre l'ordre du monde et aux dépens d'autrui serait un énorme soulagement. "Lorsque tu as traversé la rivière, pourquoi porter ta barque sur ton dos ?" Le BOUDDHA nous invite ainsi à lâcher-prise et à ne plus nous tracasser de l'efficacité ou non de nos actions. Vivons l'instant en pleine conscience dans l'ici et maintenant.


Jean-Marie LANGE, 29.09.2009

[1] "DAWKINS Richard, Pour en finir avec Dieu, Paris, Tempus, 2009, p. 214.

[2] FREUD S., L'homme Moïse et la religion monothéiste, trois essais, Paris, Gallimard, 1989.
FREUD S., Totem et tabou, Paris, pbp, 1989.
FREUD S., Malaise dans la civilisation, Paris, PUF, 1989.
FREUD S., L'avenir d'une illusion, Paris, PUF, 1991.

[3] BERGSON Henri, Les deux sources de la morale et de la religion, Paris, PUF, 1932, 2008 : " L'ensemble des citoyens, c'est-à-dire le peuple, est souverain. Telle est la démocratie théorique. Elle proclame la liberté, réclame l'égalité et réconcilie ces deux sœurs ennemies en leur rappelant qu'elles sont sœurs, en mettant au-dessus de tout la fraternité.(…) Comment demander une définition de la liberté et de l'égalité, alors que l'avenir doit rester ouvert à tous les progrès, notamment à la création de conditions nouvelles où deviendront possibles des formes de liberté et d'égalité aujourd'hui irréalisables, peut-être inconcevables ? On ne peut que tracer des cadres, ils se rempliront de mieux en mieux si la fraternité y pourvoit.(…) Chacune des phrases de la Déclaration des droits de l'homme est un défi jeté à un abus. Il s'agissait d'en finir avec des souffrances intolérables."(p. 300-301).

[4] FOUCAULT M. Surveiller et punir, Naissance de la prison, Paris, Gallimard, 1976.

[5] LENOIR Fréderic, Le Christ philosophe, Paris, Plon, 2007.

[6] Au VII° siècle, les conquêtes musulmanes, réduisent l'empire byzantin, dont Rome dépend depuis un siècle. Jérusalem et Antioche tombent en 638, puis Alexandrie (642), Carthage (698), les "Arabes" avancent en Espagne jusqu'à Tolède (711) et seront arrêtés à Poitiers en 732 par Charles MARTEL, son fils PEPIN le bref viendra défendre Rome et le fils de PEPIN, CHARLEMAGNE sera intronisé en 800 à Rome. En 853, c'est la contre-offensive avec le Pape Léon IV qui lance la première croisade contre l'envahisseur musulman et les croisés massacreront au passage les communautés juives. Jérusalem est repris le 15 juillet 1099. Huit croisades seront organisées entre 1095 et 1270, une avant-première des colonisations.

[7] Le 08.02.1232, le Pape Grégoire IX crée l'Inquisition puis son successeur en 1244, le Pape Innocent IV crée la torture légale de l'Inquisition pour extirper l'aveu envers les déviants : cathares, vaudois, franciscains, béguines et enfin aux sorcières. De 1483 à 1498, le dominicain espagnol Tomas de TORQUEMADA instruira plus de 100.000 meurtres prémédités et légalisés par procès. La fureur sauvage du christianisme, après l'Inquisition, sévira en génocides contres les indiens d'Amérique (1492) puis par l'instauration à l'échelon mondial de l'esclavage du peuple noir (la controverse de VALLADOLID en 1550)

[8] A l'époque de Jésus de Nazareth, les juifs adorateurs de JAHVE et suiveurs de la TORAH sont divisés en quatre castes : les SADDUCEENS notables et prêtres érudits qui professent qu'il n'y a ni ange, ni esprit, ni résurrection. Les PHARISIENS majoritaires qui professent l'exact contraire et sont obsédés par la pureté (pas de contact avec les païens). Les ESSENIENS sont des ascètes contemplatifs vivant en communauté dans le désert et qui rejettent l'autorité du Temple de DAVID et les diverses fêtes. Et les ZELOTES, des révoltés qui prônent au nom de Dieu la violence armée (l'équivalent des fanatiques islamistes aujourd'hui).

[9] Marie eut Jésus comme premier-né par l'intercession du Saint Esprit, puis de père inconnu 4 autres fils et 2 filles. Comme dans les généalogies de l'Ancien Testament, les noms des sœurs de Jésus restent inconnus (êtres inférieurs par les menstrues) et ses frères seront nommés Jacques, Joseph/Jodet, Jude et Simon.

[10] NIETZSCHE Friedrich., L'Antéchrist suivi de Ecce Homo, Paris, Folio, 2008 : " Je ne vois pas contre quoi pouvait être dirigé le soulèvement dont Jésus est tenu, à raison ou à tort, pour l'instigateur, si ce n'était un
soulèvement contre l'Eglise juive, Eglise étant pris dans le sens où nous comprenons aujourd'hui ce mot. C'était un soulèvement contre la hiérarchie de la société – non contre sa corruption, mais contre la caste, le privilège, l'ordre, la formule, c'était l'incroyance en ces "hommes supérieurs", le "non" proclamé contre tout ce qui est prêtre et théologien."(p.40).

[11] NIETZSCHE F., ibid., "Le bouddhisme est la seule religion positiviste que nous montre l'Histoire et même dans sa théorie de la connaissance, le bouddhisme ne dit plus - "guerre au péché", mais, rendant à la réalité ce qui lui est dû :" guerre à la souffrance". Il a déjà laissé derrière lui – et c'est ce qui le différencie radicalement du christianisme – l'automystification des conceptions morales; il se trouve, pour employer mon langage, outre bien et mal. Les deux faits physiologiques sur lesquels il repose et qu'il ne perd jamais de vue sont : premièrement une hyperexcitabilité de la sensibilité, qui se traduit par une aptitude raffinée à la souffrance, puis un caractère hypercérébral, une trop longue existence parmi les abstractions et les opérations logiques, au cours de laquelle l'instinct personnel a été désavantagé au profit de l'"impersonnel". En raison de ces conditions physiologiques, une dépression s'est créée : c'est contre elle que le BOUDDHA prend des mesures d'hygiène."(p.30-31)

[12] HULIN Michel, La mystique sauvage, Paris, PUF, 1993 : "La conscience morale n'a pas de devoir sur la dimension de la souffrance qui est coextensive aux rapports humains : en transcendant l'opposition Moi-autrui et dans l'exacte mesure où elle y parvient, elle supprime ou du moins allège les diverses souffrances psychiques liées à l'égoïsme, à la volonté de puissance, à l'incompréhension mutuelle des hommes. Elle est, en revanche, sans effet sur ce noyau dur de la souffrance qui tient à l'incarnation et à la temporalité. Tendue comme elle est vers l'idéal d'une vie heureuse pour tous, la conscience morale reste désarmée face aux accidents, à la perte d'un être cher, à toutes ces formes d'un processus de radicale dépossession de soi qui culmine dans la mort. Elle est donc acculée à reconnaître qu'en un sens c'est toujours le mal qui a le dernier mot. C'est pourquoi l'existence même du mal constitue pour elle un problème insoluble, ou plutôt un mystère devant lequel elle est tentée de "se réfugier dans la volonté de Dieu, cet asile de l'ignorance"(Spinoza)."(p.234).

Etats Modifiés de Conscience (EMC) et constructions mentales – 2009

En sciences humaines, pourquoi voulons-nous toujours expliquer ce que nous ne comprenons
pas? La peur et l'angoisse du vide ? La science est toujours en action, donc en mouvement et l'obscurantisme et les superstitions en constituent le pôle dialectique opposé. Mais entre ces extrêmes, pourquoi ne pas accepter un no man's land de phénomènes inexpliqués dans l'état actuel de notre civilisation ? Notre problème est d'arrêter d'observer, d'étudier lorsque cela nous paraît être mystérieux, voire mystique, ce qui sous-entend que des phénomènes comme l'extase, la possession et les apparitions ne pourraient pas être en lien avec notre esprit?

Introduction : beatniks et power flower hippies

"Ce que j'avais tenté dans mon désir de m'arracher à mes racines occidentales pour mieux me fondre dans un univers exotique spirituel équivalait au fond à renoncer avant terme à ma créativité. Pour créer, il faut demeurer dans le monde auquel on appartient."
(Mircea ELIADE[i] )

Vers 1965-1966, dans les pas de Jacques de Kerouac, nous étions des jeunes voyageant partout en stop à la recherché d'un ailleurs qui était au fond de nous mais peut-on le savoir lorsque l'on a 16-17 ans. Très près de cette route beatnik, une nouvelle vague fleurie débarqua de Californie avec une recherche plus axée sur une spiritualité asiatique.

Les motifs étaient similaires : fuir cette société rigide et autoritaire de la consommation naissante et du profit économique généralisé (Jean BAUDRILLARD [ii]) mais les finalités étaient je pense, différentes, nous avions les voyages de par le monde et la communication avec d'autres cultures tandis que les "Hippies", malgré un discours social de changement "Peace and love", étaient le plus souvent des accrocs de la fumette (marihuana) puis de drogues plus hallucinogènes ensuite. Nous étions certes des non-violents utopistes et manifestants contre les oligarchies mais non baba cool comme le hippy à la conscience fumeuse, en quête de rédemption religieuse individualiste, par l'exil sur les routes de Katmandou.

Il n'y a jamais de dichotomie bon/méchant simplificatrice dans la nature humaine, par exemple les méchants colonialistes et les "bons sauvages" à la Jean-Jacques ROUSSEAU. Les yogis, shadous vishnouïstes, gourous, lamas et moines d'Orient ont donc vu débarqué dans leurs ashrams ou monastères ce nouveau type de routards des années 1968 avec un déni inconscient de leur propre imprégnation culturelle (et la fragilité de leur flore intestinale) et un ravissement préformaté pour les cultes et sectes d'Orient. Hare Krisna !

Si nous arrivions à prendre de la distance avec l'ethnocentrisme occidental, nous pourrions alors essayer de concevoir ce que les autochtones pouvaient percevoir de ces nouveaux sahibs. Maintenant encore un "long nez", un blanc qui voyage hors des sentiers battus au tiers-monde ne suscite pas nécessairement de la sympathie car les locaux voient d'abord du fric sur pattes. Trop souvent, le sourire est forcé car l'homme blanc, toubabou ou mondelé est perçu avec les caractéristiques de ce que lui-même veut fuir, le confort éhonté non écologique des sociétés occidentales. Il faut 20 Kg de soja pour fabriquer un kilo de bœuf, nos céréales nourrissent nos troupeaux alors qu'il y a insuffisance alimentaire au tiers-monde.

Pour conserver notre fil rouge des représentations mentales et des états modifiés de conscience, cet engouement oriental était en partie absurde; par exemple, suivre l'enseignement d'un seul gourou, dans une obéissance sans question, c'est favoriser le phénomène sectaire et c'est aussi renier notre culture hellénistique ainsi que l'éclairage des Lumières avec le "savoir dire non !" validé par les droits de l'homme.

Pour comprendre au-delà de nos dogmes libertaires, nous avons suivi plusieurs retraites auprès du moine vietnamien THICH NHAT HANH [iii] (à Dieulivol, dans le Lot en France) pour apprendre la méditation zen. Mais nous y avons vu aussi la kermesse au château de Moulinsart (Tintin) et des activités récréatives de camp de vacances ainsi qu'une pensée parfois désuète et jugeante indigne de nos niveaux en philosophie et en psychologie. Les moines veulent nous apprendre la psychologie mais sans écouter ce que nous psychologues occidentaux avons à dire, une pédagogie de l'inculcation et non de l'échange autoformatif. Toutefois, si nous ne "voulons pas tout, tout de suite" à l'américaine la méthodologie de la méditation zen épurée donc des falbalas religieux bouddhistes est un outil mental non opposé à notre pensée critique. Il est évident que la méditation est une discipline longue et ardue pour domestiquer progressivement notre cerveau à s'arrêter de penser à toutes sortes de futilités. Les Néandertaliens ont cohabité avec les Homo Sapiens, il en a été de même pour la fleur au fusil entre les beatniks et les hippies jusqu'au virage des sectes et des drogues.
Dès les années 1966-68 à New-York, Timothy LEARY annonce sa nouvelle religion : "League for Spiritual Discovery" mieux connue par les initiales d'un acide de synthèse, le LSD. Celui-ci se consomme en léchant un timbre poste, comme une ostie psychédélique, un autre chemin que l'apprentissage lent de la méditation pour atteindre des EMC. Les lécheurs d'acide y arrivent dans l'immédiat et ils en ressortent avec une frustration de dépendance pire que nos assuétudes aux grands vins de France ou d'Italie.

Notons en passant que les EMC n'ont rien de mystérieux, nous faisons naturellement des transes légères de détachement lorsque nous conduisons machinalement notre voiture ou lorsque nous nous détendons dans un bain chaud.

Nous distinguons donc l'hypoactivité mentale du zen des transcendances religieuses qui sont toutes des hyperactivités mentales extatiques avec ou sans drogue ainsi que des religions sans dieu comme le bouddhisme avec une quête d'un Nirvana aussi noir que l'absolu de la mort pour certains alors que pour les bouddhistes virtuoses, le nirvana côtoie le samsara de la vie quotidienne. On ne peut se défaire de sa culture d'origine mais on peut l'enrichir sans pour autant faire des profits économiques ou de l'ethnocentrisme occidental comme oriental. "Le barbare, c'est d'abord l'homme qui croit à la barbarie", nous dit l'anthropologue Claude Lévi-Strauss dans Tristes tropiques.

La mystique sauvage[iv]

FREUD était un juif athée et cela transparaît dans ses textes où la raison logique domine. Son homologue Jung va plus loin dans ses hypothèses mais apparaît aussi dès lors dans son époque comme moins scientifique. Pour FREUD [v] , le mysticisme est lié avec le narcissisme du sujet et aussi dans le stade qui précède, celui du Moi-Idéal de fusion anténatale avec la mère, avec le sentiment océanique. Dans nos archétypes culturels occidentaux, il y a trois puissances, nous dit JUNG[vi] : la force du Phallus (Dieu le père), la Sagesse du St Esprit et la Beauté de la fille (ou du fils) mais cela ne colle pas avec les autres représentations archétypales de l'humanité. Par exemple, le mandala tibétain est toujours un carré (un palais avec 4 portes), la quatrième porte étant notre réconciliation avec l'ombre, l'obscur, la volonté de vivre. On pourrait ainsi imaginer qu'accepter nos peurs, nos terreurs en enlevant les masques pour regarder non seulement la beauté mais la laideur (des points de vue subjectifs) de l'humanité, c'est en quelque sorte l'accepter avec la cruauté de la nature (le petit de la gazelle à moitié sorti de la matrice et qui est déjà déchiré par les dents et les griffes du guépard). Notre quatrième pilier sans masque est le SELF, l'authenticité sans état d'âme, au-delà de la joie et de la tristesse de SPINOZA avec l'énergie MANA.

Dépressions

Pour le psychanalyste MASSON[vii], les textes indiens des Védas baigneraient la vie mystique dans un climat émotionnel dépressif (souffrance, douleur, impermanence, dépersonnalisation, déréalisation, aspiration à ne plus être,…)Ce n'est pas moi qui suis déprimé, aurait pu dire le BOUDDHA, c'est la réalité qui est déprimante. Nous retrouvons cette ambiance morose dans la clinique, notamment la psychose maniaco-dépressive, symptôme de mécanisme de défense vis-à-vis de traumatismes affectifs de la petite enfance.

Les mystiques en tant qu'individus seraient des névrosés qui se servent de l'imaginaire religieux ambiant (c'est-à-dire de la culture locale de l'époque) pour une reliance au monde malgré la misère de leur petite enfance et pour conserver une participation minimale à la vie sociale. En Inde, il y a aussi les éléments consolateurs des vies antérieures et la métempsycose de la réincarnation inlassable et si, l'on a un très bon karma de son vivant (une vie de saint), peut-être le nirvana ou extinction totale selon le principe du même nom de Freud.

MASSON évoque un quatrième critère des "formations réactionnelles" celui de la joie brève mais éclatante de l'extase. Cette joie excessive peut être la dénégation de l'angoisse mais cette émotion peut aussi être celle du chercheur qui trouve (Euréka !).

Notons qu'une personnalité borderline dépressive n'est pas pour autant en dépression (selon Janet) mais, devant une lucidité dépassant celle des personnes ordinaires conformistes, peut évoluer vers le mysticisme ou son opposé la philosophie pessimiste. Nuançons la béatitude : lors d'une troisième retraite de méditation zen d'une semaine, j'ai rencontré un jeune homme qui était émerveillé de toutes les coïncidences et coincé des zygomatiques dans l'archétype des béats souriants. Je sais bien que je ne suis qu'une vague éphémère d'une vie qui retournera un jour à l'océan mais cela ne me réjouit nullement, je n'ai pas de sentiment océanique, je veux vivre l'instant ici et maintenant.
Douleurs et souffrance

Par commodité, nous n'abordons ici que des douleurs physiques en laissant entre parenthèses les souffrances psychiques et mentales car trop en dépendance avec nos représentations.

La douleur est monotone dans sa structure et se donne à voir dans son intensité variable et ses rythmes de croissance ou de plateau (vive ou sourde, intermittente, fulgurante, continue,…). Elle est liée par une stimulation localisée au début à son endroit de perception (pressions, piqûres, tensions, frottements,…) puis cette localisation précise a tendance à s'estomper lorsqu'elle croit en intensité. La douleur commence donc par une sensation mais elle se heurte à l'opposition de l'entité qui se raidit contre elle, la refuse en vain. La douleur est donc une lutte entre le corps et un envahisseur hostile avant de s'y résigner. Notons, quel que soit le mal, qu'il y aura une composante psychique engrammée dans le cerveau. Par exemple, un bon vivant souffrant de la goutte (cristaux d'azote) au gros orteil et amputé de la jambe à la suite d'un accident continuera à souffrir de la goutte même s'il accepte le fait qu'il est unijambiste. Le terme souffrance en français est plus limpide étymologiquement : "subir passivement", "endurer", "supporter".

Le douloureux donne lieu à un refus de l'entité car il indique à moyen terme la mort. Pour Epicure, il faut distinguer les désirs-envies (façon Freud, c'est-à-dire qui sont des désirs toujours insatisfaits car une fois que l'on possède l'objet de son envie, il n'a plus de charme et on aspire à un autre désir) et les besoins qui eux participent à notre survie (respirer, boire, manger,…); autrement dit, tout ce qui va vers la destruction de notre être, de notre volonté de vivre est "mauvais".. La douleur est un avertissement halluciné de la propre mort de la monade intérieure et dramatisé par notre conception linéaire du temps. On a deux fois plus mal lorsque l'on se tracasse à propos de notre douleur, dit un dicton.

Mais qu'est-ce que l'entité personnelle, la personnalité en regard de la vie en général. Nous sommes cristallisés dans notre esprit en une monade alors que nous évoluons dans les bourrasques des forces naturelles et cosmiques. Qu'est-ce qu'une douleur du corps propre de la fourmi lorsqu'un ras de marée ou un glissement de terrain en fait disparaître des milliers ? Nous évaluons notre douleur dans notre moi incarné dans notre forme et notre conscience. Si nous distinguons avec SHIVA, la forme Moi et le vivant, on peut alors dire que ce dernier demeure un et indivisible lorsqu'il affirme la vie contre l'entropie environnementale.

Notre conscience de soi est un amour narcissique irréfléchi et sans limites. Le sujet se préfère au reste de l'univers et les autres peuvent ainsi être considérés comme des matériaux à exploiter par le sujet pour lui éviter de périr avant l'heure.

Etats modifiés de conscience

Une bouffée d'angoisse peut saisir le mystique, le plonger dans la stupeur et l'effroi du réveil de sa somnolence quotidienne puis le relais antidouleur va être pris par le ravissement extatique (apparitions, voix, changement de l'environnement, etc.). Après l'extase, le sujet retombe dans un détachement mélancolique, un désenchantement du monde et un attrait pour l'ascétisme religieux couplé à un désinvestissement libidinal.

L'ivresse psychédélique du LSD peut provoquer un EMC tout comme des facteurs naturels : privation sensorielle, isolement d'une retraite, ennui, hypnose de l'autoroute, lavage de cerveau, hystérie de groupe, orgie, panique, prière assidue, concentration sur une tâche, méditation sur un mantra, jeune, insomnie, danse, apparition. On pourrait classer ce listing non exhaustif entre les phénomènes de vidange de la conscience (monotonie de la tâche) et son contrôle, la mobilisation totale de la conscience sous l'emprise d'une situation de danger.

Les EMC peuvent s'accompagner de caractères parapsychologiques comme l'état de transe, la "sortie du corps", l'impression de dédoublement, les hallucinations, le copain invisible soit les personnalités multiples.

Les personnes qui tombent inopinément dans un EMC ne cherchent qu'à regagner la berge la plus proche; alors que ceux qui ont provoqué en eux l'EMC restent dans cet élément pour l'explorer et mobiliser les énergies vitales. Avec l'éclairage de la psychopathologie, on peut constater des symptômes hystériques chez de nombreux mystiques doués pour l'extase avec des douleurs fantômes OU au contraire des endroits du corps insensibles à la douleur (hyperesthésie des possédés), des contractures et des paralysies sélectives (repris didactiquement dans la forme des masques de certaines ethnies africaines).
La parole et la marche sont altérées, on peut trouver une anorexie prolongée, des hallucinations ou des paroles dans la tête (parfois des chants d'oiseaux).Certains hyper cérébraux et donc grands mystiques vont jusqu'à développer les stigmates du Christ en croix.

Madeleine est une malade traitée pendant cinq ans (1896-1901) par Pierre JANET [viii] à La Pitié-La Salpêtrière de Paris, d'une grande dévotion avec des moments extatiques et souffrant de contractures (elle marche sur la pointe des pieds).

JANET s'intéresse à son discours (écrit, oral et corporel) constitué par un mélange d'effusions lyriques et d'aspects délirants puérils. JANET parle d'énergétisme psychique (comme JUNG) et notamment de déficit énergétique à la synthèse mentale. Il élabore le concept de "tension psychologique" dont l'absence inhibe la réalisation correcte d'une conduite.

Madeleine passe de façon cyclique par cinq stades : un état
- d'équilibre (la normalité)
- de consolation (catatonie, joie puis extase),
- de torture, souffrance morale (Satan cherche à la violer),
- de sécheresse, d'ascétisme (peur du plaisir),
- de tentation (marcher sur la pointe des pieds pour arriver à la lévitation).

Pour Janet, la psychasthénie est une atrophie du sens social. Madeleine s'interdit toute satisfaction sexuelle mais le refoulé fait retour dans son discours avec, pour décrire ses extases, un langage au contenu sexuel latent. Madeleine est inhibée par l'action, alors elle s'enferme dans ses pensées. Son ravissement est une manipulation de sa propre pensée plutôt que d'agir. Elle renonce à intervenir dans le monde extérieur, l'affectivité immobile au lieu de l'action. Pour elle, l'extase est une "économie libidinale" plus facile. JANET ne considère pas le plaisir ou la douleur à l'état pur mais l'affectivité en mouvement, celle qui lance l'action et constamment de nouveaux objectifs. Pour lui, les sentiments (non les émotions) sont des régulateurs d'action.

Le classement de FISCHER

Edgar MORIN [ix] rejoint le psychologue Pierre JANET en citant dans son ouvrage "La connaissance de la connaissance" la cartographie des états méditatifs et extatiques de FISCHER. A l'état de veille normale, notre cerveau peut être en routine journalière (légèrement excité) ou en relaxation. Si on poursuit la voie de l'excitation cérébrale, nous aurons alors une sensibilité plus fine pouvant conduire à la créativité artistique (le masque) mais parfois, si l'on n'y prend garde, à l'anxiété (angoisse). L'état de surexcitation suivant peut donner des hallucinations voire des états schizophréniques, autistiques allant jusqu'à la catatonie comme le montre l'hébétude de certains masques LEGA, puis au "rapt mystique" de l'extase religieuse dont Sainte Thérèse d'Avila est le modèle type dans notre culture.

Sur le chemin inverse, si nous cultivons le calme profond par la méditation zazen, nous pouvons aller vers une hypoactivité cérébrale comme les fakirs yogi. La méditation zen est une autre démarche pour atteindre une fondation psychologique mais elle peut aussi être dangereuse pour les dépressifs. La première phase est Samatha, la détente, le relâchement, le lâcher-prise : essayer de ne plus penser mais sentir. La seconde phase est Vipassana, il s'agit de se concentrer sur un point précis, une sorte de contemplation non hystéroïde, une fusion avec ce qui nous entoure sans le sentiment océanique. Si nous sommes en développement personnel, deux chemins sont alors possibles : lever la tête et contempler le vide du cosmos avec la sérénité de faire partie de l'ensemble ou baisser la tête, voir un trou profond (le vide) et y tomber si nous sommes dans un état dépressif ! Le SAMADHI du Yoga est le summum de cette hypoactivité. Notons à partir de FISCHER que les extrêmes se rejoignent par un anneau de Moëbius où l'on peut enlever ses masques pour être soi-même dans l'authenticité de l'instant.

Nous pouvons percevoir fugitivement, par la voie spirituelle ou son contraire, la volonté de vivre sans masque c'est-à-dire sans sens, sans raison d'être que la vie en elle-même mais bien vite pour notre survie mentale représentative, le couvercle retombe et nous saurons dans notre mémoire que nous avons perçu les quatre piliers mais très vite nous aurons remis le masque.

En résumé avec Georges LAPASSADE [x] , les EMC comme phénomènes ont six critères communs : rupture du cours ordinaire des pensées, flou avec l'environnement quotidien, angoisse, sentiment d'un autre espace-temps et émerveillement, retour impromptu dans la "réalité", réadaptation difficile aux conditions ordinaires.
Les EMC recoupent trois idées forces interdépendantes :
· La perception d'une autre réalité moins terne que l'existence sociale et le monde sensible,
· Les contingences de nos vies répétitives et sans repère dans une finalité qui nous échappe (au-delà du "bon et mauvais"),
· La conscience fraternelle d'un seul et même élan vital, avec des émotions partagées dans l'humanitude mais aussi par extension à tout le monde vivant.

Les conditions nécessaires mais non suffisantes sont :
- une fragilisation de l'être lié à une maladie, une opération, une épreuve de vie, une crise,
- une résilience face à cette défaillance des mécanismes de défense permettant une diffraction de la conscience,
- une préparation par un soutien de groupe (transe) ou de la prise de plantes psychotropes ou encore par une méditation longue,
- la liquéfaction de la pensée conceptuelle,
- l'interprétation post-expérience dans l'ordre du psychoculturel et des déterminismes sociaux de la personne.

Le lâcher prise et la joie du sage

Notre conscience d'être un élément microscopique de l'univers participe de notre intellect raisonnant en lien avec les affects et le corps : nous avons toujours une représentation intellectuelle ET émotionnelle de notre univers (non limité à un Dieu anthropomorphe qui n'aurait d'autre activité que celle d'écouter inlassablement nos prières mesquines). Nous étions ce cosmos lorsque nous ignorions le monde extérieur à notre moi-peau (ANZIEU[xi] ) au stade intra-utérin, auquel les suicidaires aspirent de façon inconsciente. Il reste des traces de ce passage évolutif dans notre inconscient, je fais l'hypothèse que les grands mystiques doivent mieux conserver en mémoire une ouverture de leur histoire prénatale. Un Moi moins délimité que celui de notre confrontation aux autres et aux déterminismes sociaux mais, au contraire, sans nécessairement de déité ajoutée, une sensation océanique qui les relie au grand Tout.

Les sentiments (joie, tristesse,…) sont des moteurs qui tendent à réguler les efforts par homéostasie (équilibre), un feed-back d'autorégulation qui est déréglé chez le malade mental; les ravissements énormes sont incongrus, nous dit JANET[xii].
La joie est fonctionnelle, elle procure à l'énergie psychique mobilisée et non entièrement dépensée une sorte d'exutoire. Chez les perturbés de l'humeur, cette joie vient à vide, pour elle-même comme si elle constituait une fin en soi, donc une joie déplacée annonciatrice de défaites ou de désillusions car il n'y a aucune victoire dans cette réjouissance (pas même un magnifique coucher de soleil) mais un gaspillage des forces.

La joie du zen est différente de celle du mystique. Lorsqu'une personne est en état d'extase, de pure félicité, elle est transportée dans son "bonheur" et les souffrances passées ou à venir, pour elle comme pour les autres, ne sont plus domaine de la conscience : "tout est bien !". La personne en transe extatique s'arrache au monde, au temps et à son individualité ainsi qu'au social et à ses atrocités (génocides par exemple).

Par contre, dans les états non paroxystiques, paradoxe de la vie affective, la joie ne se laisse pas réduire à un état d'âme flash dans un être lui-même éphémère. La joie du sage se passe aussi de mots (le doigt du Bouddha montrant la lune), elle résonne avec la compassion et le bien des autres humains, donc est engagée contre son pôle antagoniste du mal, de la souffrance et de la négation des autres. La joie est sans discours mais non pas sans la conscience du malheur des êtres, la vie affective concrète se déploie sur l'interaction entre la joie et son fantôme.

Lorsque nos sociologues et philosophes occidentaux comme LAPASSADE, SCHOPENHAUER[xiii] ou NIETZSCHE[xiv] se sont intéressés à la pensée orientale du bouddhisme pour virtuoses, ils n'ont pas perçu que les deux pôles (l'extase et le samadhi) coexistaient aux extrémités de cette bande de Moëbius du schéma de Fischer comme dans l'espace courbe de l'oméga. En effet, certains croyants bouddhistes par exemple peuvent répéter des milliers de fois le mantra "Om Mané Padmé Oum" et entrer en transe puis en extase mystique et découvrir la joie excitée et éphémère de la sortie du monde alors qu'à l'opposé, des moines se taisent, lâchent prise, observent et découvrent parfois la joie simple et permanente de l'entrée dans le monde, ils sont alors le monde.

Jean-Marie LANGE,
09.09.2009.
(1ère partie EMC et hypnose, 02.01.2002)
[i] ELIADE M., Mémoires I. Les promesses de l'équinoxe, Paris, Gallimard, 1980, p. 281.

[ii] BAUDRILLARD J., La société de consommation, Paris, Gallimard, 1979.

[iii] THICH NHAT HANH, Transformation et guérison, Paris, A. Michel, 1997.

[iv] HULIN Michel, La mystique sauvage, Paris, PUF, 1993.

[v] FREUD Sigmund, L'homme Moïse et la religion monothéiste, trois essais, Paris, Gallimard, 1989.
FREUD S., Malaise dans la civilisation, Paris, PUF, 1989.
FREUD S., L'avenir d'une illusion, Paris, PUF, 1991.

[vi] JUNG C.C., L'homme à la découverte de son âme, Genève, du Mont Blanc, 1970.
JUNG C.G., Métamorphoses de l'âme et ses symboles, Paris; Livre de Poche/Références, 1996.
JUNG C.G., Dialectique du Moi et de l'Inconscient, Paris, Gallimard, 1981
JUNG C.G., L'Energétique psychique, Paris, Le Livre de Poche, 2003.
JUNG C.G., Commentaire sur le Mystère de la fleur d'or, Paris, Albin Michel, 2003.
JUNG C.G., Psychologie du yoga de la Kundalinî, Paris, Albin Michel, 2005.
JUNG C.G. & KERENYI C., Introduction à l'essence de la mythologie, Paris, PBP, 2005.
MOACANIN R., C.G. JUNG et la sagesse tibétaine, Paris, Le Relié, 2001.

[vii] MASSON J. M., The oceanic Feeling, The origins of Religious Sentiment in Ancient India, Dordrecht (Holland), D. Reidel, 1980.

[viii] JANET Pierre, De l'angoisse à l'extase, Paris, Alcan, 1926.

[ix] MORIN E. Le vif du sujet, Paris, Seuil, 1969.
MORIN E., Science avec conscience, Paris, Points Sciences, 1990.
MORIN E., La méthode, tome 1, La nature de la nature, Paris, Points, 1981.
MORIN E., La méthode, tome 2, La vie de la vie, Paris, Points, 1985.
MORIN E., La méthode, tome 3, La connaissance de la connaissance, Paris, Points, 1992.
MORIN E., La méthode, tome 4, Les idées des idées, Paris, Points, 1994.
MORIN E., La méthode, tome 5, L'humanité de l'humanité, Paris, Seuil, 2001.
MORIN E., La méthode, tome 6, Ethique, Paris, Seuil, 2004.
MORIN E., La tête bien faite, Paris, Seuil, 1999.
MORIN E., Les 7 savoirs nécessaires à l'éducation du futur, Paris, Seuil, 2000.

[x] LAPASSADE G., Les Etats Modifiés de Conscience, Paris, PUF, 1987.

[xi] ANZIEU D., Le Penser, Du Moi-peau au Moi-pensant, Paris, Dunod, 1994.

[xii] JANET Pierre, De l'angoisse à l'extase, Paris, Alcan, 1926 : " C'est ainsi qu'unipolaire en droit, la joie devient bipolaire en fait. En un sens, cette discrépance du fait et du droit – qui constitue toute la substance du mal – ne peut être qu'apparence. Mais la ténacité de cette apparence équivaut dans les faits à une réalité à part entière car, une fois constituée, elle structure toute sensibilité humaine, lui conférant un caractère irrécusablement dichotomique. Elle n'a donc de chance d'être surmontée, en tout état de cause, que démontée dans son mécanisme et éclairée dans sa genèse.(…) On pose la question du mal à l'intérieur du champ mental déjà structuré par les fausses évidences de la dichotomie bon/mauvais. Nous nous efforçons ici, au contraire, de ressaisir le sens du mot à l'état naissant."(p.207)

[xiii] SCHOPENHAUER A., Le monde comme volonté et comme représentation, Paris, PUF, 2003.

[xiv] NIETZSCHE Friedrich, L'Antéchrist suivi de Ecce Homo, Paris, Folio, 2008 :" Le bouddhisme est la seule religion positiviste qui nous montre l'Histoire, et même dans sa théorie de la connaissance (un strict phénoménisme) – il ne dit plus : "guerre au péché", mais, rendant à la réalité ce qui lui est dû : "guerre à la souffrance". Il a déjà laissé derrière lui – et c'est ce qui le différencie radicalement du christianisme – l'automystification des conceptions morales; il se trouve, pour employer mon langage, outre bien et mal.
Les deux faits physiologiques sur lesquels il repose et qu'il ne perd jamais de vue sont : premièrement une hyperexcitabilité de la sensibilité; qui se traduit par une aptitude raffinée à la souffrance, puis un caractère hyper cérébral, une trop longue existence parmi les abstractions et les opérations logiques, au cours de laquelle l'instinct personnel a été désavantagé au profit de l'"impersonnel". En raison de ces conditions physiologiques, une dépression s'est créée : c'est contre elle que le Bouddha prend des mesures d'hygiène."(p.30-31)
MASQUES PERSONA

Cet été-automne 2009 (24.04.09>03.01.10), une intéressante exposition portant sur les masques africains est organisée au Musée des arts de l'Afrique centrale à Tervuren : PERSONA. Masques rituels et œuvres contemporaines". Pour une fois, cette exposition a été "pensée" sous un autre regard que l'ancienne découpe géographique coloniale, celui de l'expression des masques et les variations et similitudes selon les multiples ethnies. Tout comme l'Europe est un concept, l'Afrique également. Il y a autant de variations entre un bantou du Congo et un sahélien du Mali, qu'entre un suédois et un calabrais. Merci donc aux concepteurs d'avoir pensé cette éducation visuelle en tant que membre d'une seule humanité et non comme flamands.

Introduction

Un de mes amis me parlait dernièrement d'un phénomène psychique rare : "la contemplation". Je n'au sur que dire parce que cela ne fait pas partie de mes expériences; en effet, méditer, c'est se calmer puis se concentrer sur un tuyau d'arrosage jusqu'à en être arrosé tandis que la contemplation est plus de l'excitation mentale et du ravissement avec les exemples types de Thérèse d'Avila (dite la Sainte) et les expériences de Gilles de La Tourette sur les possessions hystériques. Mais je n'ai pas de tabou lorsqu'il est question d'apprentissage, sauf les dogmes rétrogrades pour l'humanité (la foi du charbonnier); alors, j'ai cherché dans mes mémoires à long terme si le concept de contemplation devait être automatiquement à connotation mystique et j'ai trouvé je pense une piste.

Au musée national de Belgique, je me suis trouvé face à une toile de Jérôme BOSCH et je suis tombé dedans, mélange de sensation de joie, de beauté et de découverte, impossible de m'en décoller et impossible d'expliquer le pourquoi du comment avec mon cerveau gauche atrophié, j'étais dans un enfer comique en résonnance avec mon être. Par après, devenu grand (hélas), je m'intéresserai à l'art moderne non figuratif. Dans des vernissages d'exposition, on entend des rats venus pour les petits fours et le vin rouge faire des commentaires minaudasses des plus oiseux de ce qu'ils voient dans une huile sur toile. Moi je n'y vois rien, je ressens les couleurs et les forces au point de dormir avec une œuvre de Jacques Zimmermann dans ma chambre, toujours subjugué après plus de 15 ans qu'elle y est accrochée. Mes autres amis peintres apprécient modérément mais ils savent aussi que "les goûts et les couleurs ne se discutent pas" et peuvent changer et nous constatons que souvent chez eux, comme chez les premiers peintres du XX° influencés par les arts premiers, il y a l'une ou l'autre création anonyme africaine.

Avec le GAP (Groupe d'Autoformation Psychosociale, asbl), nous essayons modestement à notre petite échelle de construire des projets d'autonomie et de socialisation dans l'Afrique que nous aimons. Nous savons bien sûr que le racisme est une valeur en hausse parce que chez nous, une partie de la population carcérale est originaire d'Afrique du Nord et qu'il y a aussi l'islamisme radical qui veut nous imposer, sous la menace de la violence, les caricatures que nous pouvons faire ou non et les lois que nous devons changer chez nous pour permettre le maintien des barbaries envers ses femmes. La conséquence est naturelle, 30% de l'électorat d'Anvers votent Vlaams Belang (extrême droite flamingante) et ce sont toujours "les petits qu'on écrase" comme par exemple les pauvres et les sans papiers.

Nous n'avons aucun goût ici pour débuter une polémique avec ces gens au crâne rasé et au cerveau allégé; selon les études en anthropologie, ce sont souvent les plus paumés d'une ethnie qui sont les plus hostiles à une population migrante en croyant que celle-ci va prendre un travail qu'eux n'ont jamais voulu. Non, ce que je voudrais avoir comme thème pour cette petite réflexion est mon admiration "contemplative" pour l'art africain, source d'inspiration de nos propres artistes dès la première guerre mondiale.

Le problème récurrent avec l'européocentrisme, c'est de se croire encore et toujours supérieur parce que maître des traditions écrites avec un parfait déni pour les peuples à tradition orale. Pas de trace de culture en Afrique ? Quelle bêtise que seuls des ethnologues paresseux et peu entreprenants peuvent propager en fustigeant les gens très riches qui achètent des œuvres d'art africain, plutôt des voleurs d'antiquité que des admirateurs éclairés (par exemple Malraux, Giscard d'Estaing et Chirac, pour ne citer que trois voleurs français du patrimoine africain). Non, c'est tout le contraire; heureusement qu'il y a eu des amoureux de l'art africain pour sauver des sièges et/ou des bols "réparés" et des masques pourrissant sous les pluies tropicales pour témoigner de ces émotions. J'ai vu un jour dans une galerie un ami refusant d'acheter un masque qui lui plaisait parce que les émotions qu'il dégageait chez lui était trop fortes.

De quoi s'agit-il ?

Le masque de la tragédie grecque PERSONA cache l'acteur derrière un personnage, nous dit JUNG, ce qui deviendra notre représentation permanente que nous nommons notre personnalité et qui fera l'objet de nos conclusions.

Le masque du carnaval vénitien est séduction et discrétion de façon à ce que les désirs sexuels se rencontrent lors d'un bal sans compromettre les existences usuelles et banales. Il est transgression et imagination poétique d'utopie relationnelle, celle des corps sans personnification, de la jouissance sans identification, le sublime dans le stupre et la fornication comme fonctionnement de la croyance au désir.

Dans les pays du sud, ce n'est plus "Allaf" que l'on crie pour contrer nos frustrations sexuelles instaurées par l'église (comme au carnaval d'Eupen) mais l'appel à la puissance pour devenir le jaguar plutôt que le paysan sans terre corvéable à merci. Au Mexique, par exemple deux types de masques de pouvoir dominent : la tête de mort partout lors de la fête des morts dans un carnaval riche en pétards qui font fuir nos terreurs et les forces animales, notamment la plus forte celle qui dans la forêt efface la vie : le jaguar.

Le masque de deuil du Dama de la société secrète AWA du peuple DOGON (Mali) est d'une grande signification parmi les forces. Il s'agit pour des danseurs masqués de danser sur le toit d'un défunt un an après son décès pour effrayer son âme et la décoller de sa maison pour que celle-ci ne s'y attache pas à hanter les vivants.

En même temps, les masques cachent quelque chose et font peur; ils sont nos propres reflets mis en scène socialement pour une protection animiste de groupe contre les mauvais esprits. Tels ces masques kifwébé des SONGYE (RDC) qui sont des gendarmes chargés de faire fuir les forces de la nuit qui s'approcheraient du village, parfois sans électricité.

Les masques sont nos rêves et nos désirs avec par exemple le masque de la belle jeune fille "Mwana Po" des TCHOKWE (RDC et Angola) ou encore les masque de cours des DAN de Côte d'Ivoire à l'élégante patine vernissée en noir brillant. La beauté et la mort sont réunies dans les masques blancs PUNU (Gabon et Congo Brazza) évoquant pour nous le plus souvent une belle japonaise aux yeux bridés et aux lèvres peintes qu'une sculpturale beauté africaine. Mais derrière l'esthétisme et le symbolisme et le message de la couleur blanche (de l'argile blanc kaolin) qui est celle de la mort et du deuil partout en Afrique noire.

Il y a les masque de réjouissance chargés de faire rire le public, parfois grotesques et déformés ou très réalistes comme les masques Gelédé des YORUBA (Nigéria), les masques Mapico des MAKONDE (Tanzanie) ou encore les masque paillés des YAKA (RDC) avec parfois une superstructure d'organes génitaux mâles sur la coiffe de paille revenant en rappel avec les nez retroussés, érectifs. Il y a encore ceux des LWENA (Zambie) avec leurs oreilles décollées, le long nez droit et les cheveux plats évoquant les blancs.

Il y a les masques magiques (que les femmes ne peuvent voir) peu sortis de leur cachette et faisant l'objet de sacrifices et de libations comme les grands masques "maison à étage" évoquant le serpent sacré des DOGON du rite Sigui-So (tous les 60 ans, à l'apparition de l'étoile Sirius dans notre constellation). Un peu partout, les femmes ne peuvent pas savoir/voir où sont les masques, ils sont gardés sous peine de mort car la rumeur dit que les femmes ne savent pas garder les secrets. En pays DOGON (Mali), on raconte la légende d'une femme qui, ayant rencontré le grand serpent, lui raconta le secret des fibres rouges venant de lui-même et depuis, dit la légende, les hommes et les femmes sont devenus mortels.

Il y a aussi les masques d'initiés, de pouvoir souvent en sept grades dans le rituel du poro des SENOFOU (Mali, Côte d'Ivoire), du Koré des BAMBARA (Mali), du bwami des LEGA (RDC). Ils sont ésotériques et ne parlent qu'à ceux qui ont reçu les clés pour les lire. Par exemple dans le bwami du peuple LEGA, des masques de bras et/ou de case du première degré n'ont ni yeux, ni narines, ni bouche ouverts; puis, les yeux vont s'ouvrir, les narines se perforer et enfin lorsque l'initié est assez mur dans son chemin, la bouche s'ouvrira et la barbe poussera. Il n'y a que peu d'études de ces symbolismes car les bons pères blancs avec leur anthropocentrisme n'avaient que mépris pour ces peuples à tradition orale. Deux catégories restent à citer également brièvement, souvent en fin de cortège car les plus sérieux : ceux des esprits dont le danseur est investi, parfois capables d'énoncer des oracles et ceux des ancêtres qui peuvent se montrer dangereux si l'on n'a pas respecté les rites vis-à-vis de leur dépouille mortelle. Ils sont d'ordinaire gris, effrayants avec des dents humaines (les N'BAKA (Equateur, RDC) et les pygmées BAKA (ITURI, RDC)).

Les danseurs sont presque toujours des hommes (sauf chez les MENDE de Sierra Léone) mais les masques sont sexués : chez les TCHOKWE, le Cihongo mâle a une barbe perpendiculaire alors que le Mwana Po femelle a des scarifications en larmes qui coulent en-dessous des yeux. Chez les SONGYE, les masques Kifwébé mâles ont une grande crête sur le crâne alors que les masques femelles non (plus nombreux et proches des LUBA(RDC)). Chez les YAKA, le nez retroussé est le symbole du pénis; chez les DAN, les yeux ronds sont symboles du mâle (et on y ajoute une barbe pour éviter toute confusion) alors que les DAN femelles ont des yeux en fentes, etc…

Il existe aussi des masques de malade pour conjurer la maladie comme chez les PENDE, le vérolé aux traits déformés et à la face coupée en blanc(mort) et noir (vie), des masques policiers pour chasser les esprits, des masques chasseurs pour que le gibier se laisse prendre et des masques de guerre souvent blancs avec des dents enchâssées comme chez les BOA (Equateur, RDC). Les masques dits à peigne des BAMBARA sont femelles s'ils ont en cimier 4 ou 8 prolongements et mâles s'ils ont de 5 à 7 dents (rappelons que les danseurs sont toujours des hommes). Il existe des masques de blancs parfois réalistes pour se moquer d'eux comme chez les BAKONGO (RDC). Il existe de petits masques passeports tenant dans le creux de la main pour se reconnaître à l'étranger entre gens de la même ethnie. Les petits masques du bwami des LEGA (RDC) aux derniers grades ont des scarifications et de la barbe ou des expressions psychoïdes assez caractéristiques. Les névroses de stress et de surcharge de travail (selon Pierre JANET) sont peu fréquentes mais les psychoses sont une incompréhension respectée. Lorsque l'on croise, dans une ville, un monsieur qui se promène tout nu, nul ne l'inquiétera, c'est un locos, il parle avec les esprits en permanence. Et donc les masques évoquant ceux qui sont proches des esprits sont parmi les plus secrets et les plus respectés.

Masques et danses sont associés, le danseur ayant placé sur sa tête le masque a aussi masqué le reste de son corps (qui peut dévoiler son côté humain) et peut entrer en transe car l'esprit du masque vient le posséder. Il n'est plus Léon l'africain mais le Dieu Untel au pouvoir terrible. Notons que, comme dans nos carnavals, il y a aussi des mascarades de simple réjouissance et/ou des masques bouffons pour se moquer des gens de pouvoir,…mais en Afrique, les esprits ne sont jamais très loin !

Essai d'herméneutique

Les masques, œuvres humaines en bois périssable sous les pluies équatoriales, sont autant outil qui dévoile qu'outil qui cache. L'ensemble du danseur est camouflé sous des tissus, des feuilles ou du raphia et seuls les membres de sa société secrète connaissent son identité. Mais l'essentiel n'est pas là : lorsque le masque danse/s'exprime dans un environnement théâtralisé avec ambiance musicale et police de fête, c'est d'abord une invitation à nous regarder nous-mêmes et à accepter derrière ce faciès hostile ou grimaçant notre propre reflet éphémère. Tous les masques sont terribles et beaux car ils parlent de notre mort assurée.

Masque du bwami LEGA (RDC)

"Dans le culte bwami des LEGA, il y a à la base une réaction de transe. Si en plus, on administre de l'autosuggestion, on obtient une liberté cérébrale, une lucidité qui peut même être dirigée.(…)
Dans l'iconographie des masques, malgré la stylisation parfois importante, les narines perforées sont rarement absentes. Ces perforations ainsi que la bouche protubérante sont la représentation de la technique de l'hypnose. "[1]

Selon le psychologue suisse Carl Gustav JUNG [2], avec la symbolique de la "persona" (masque) depuis les tragédies grecques, nous construisons une personnalité qui est en fait l'ensemble de nos représentations du monde adaptées aux divers problèmes que nous avons rencontrés dans notre enfance ou adolescence. Dans notre vie quotidienne, nous finissons par prendre nos masques sociaux pour la réalité.

Si nous sommes en recherche d'un plus d'authenticité, nous parviendrons après un travail sur nous-mêmes à enlever une enveloppe de ce que nous appelons "notre personnalité". Mais en-dessous de celle-ci se trouve un autre masque et, comme dans les poupées russes, encore un autre, etc.

Dans nos archétypes culturels occidentaux, il y a trois puissances, nous dit JUNG : la force du Phallus (Dieu le père), la Sagesse du St Esprit et la Beauté de la fille (ou du fils) mais cela ne colle pas avec les autres représentations archétypales de l'humanité. Par exemple, le mandala tibétain est toujours un carré (un palais avec 4 portes), la quatrième porte étant notre réconciliation avec l'ombre, l'obscur, la volonté de vivre. On pourrait ainsi imaginer qu'accepter nos peurs, nos terreurs en enlevant les masques pour regarder non seulement la beauté mais la laideur (des points de vue subjectifs) de l'humanité, c'est en quelque sorte l'accepter avec la cruauté de la nature (le petit de la gazelle à moitié sorti de la matrice et qui est déjà déchiré par les dents et les griffes du guépard). Notre quatrième pilier sans masque est le SELF, l'authenticité sans état d'âme, au-delà de la joie et de la tristesse de SPINOZA avec l'énergie MANA.

Edgar MORIN rejoint le psychologue Pierre JANET en citant dans son ouvrage "La connaissance de la connaissance" la cartographie des états méditatifs et extatiques de R. FISCHER.

A l'état de veille normale, notre cerveau peut être en routine journalière (légèrement excité) ou en relaxation. Si on poursuit la voie de l'excitation cérébrale, nous aurons alors une sensibilité plus fine pouvant conduire à la créativité artistique (le masque) mais parfois, si l'on n'y prend garde, à l'anxiété (angoisse). L'état de surexcitation suivant peut donner des hallucinations voire des états schizophréniques, autistiques allant jusqu'à la catatonie comme le montre l'hébétude de certains masques LEGA, puis au "rapt mystique" de l'extase religieuse dont Sainte Thérèse d'Avila est le modèle type dans notre culture.

Sur le chemin inverse, si nous cultivons le calme profond par la méditation zazen, nous pouvons aller vers une hypoactivité cérébrale comme les fakirs yogi. La méditation zen est une autre démarche pour atteindre une fondation psychologique mais elle peut aussi être dangereuse pour les dépressifs. La première phase est Samatha, la détente, le relâchement, le lâcher-prise : essayer de ne plus penser mais sentir. La seconde phase est Vipassana, il s'agit de se concentrer sur un point précis, une sorte de contemplation non hystéroïde, une fusion avec ce qui nous entoure sans le sentiment océanique. Si nous sommes en développement personnel, deux chemins sont alors possibles : lever la tête et contempler le vide du cosmos avec la sérénité de faire partie de l'ensemble ou baisser la tête, voir un trou profond (le vide) et y tomber si nous sommes dans un état dépressif ! Le SAMADHI du Yoga est le summum de cette hypoactivité. Notons à partir de FISCHER que les extrêmes se rejoignent par un anneau de Moëbius où l'on peut enlever ses masques pour être soi-même dans l'authenticité de l'instant.

Nous pouvons percevoir fugitivement, par la voie spirituelle ou son contraire, la volonté de vivre sans masque c'est-à-dire sans sens, sans raison d'être que la vie en elle-même mais bien vite pour notre survie mentale représentative, le couvercle retombe et nous saurons dans notre mémoire que nous avons perçu les quatre piliers mais très vite nous aurons remis le masque.

La symbolique globale pour toutes les ethnies de l'humanité est de vivre au plus près possible de l'authenticité, même s'il n'y a rien en-dessous du masque ("Heureux les pauvres"). Si nous n'avions pas détruit avec nos bottes de colonialistes les diversités culturelles (comme par exemple les cultures à tradition orale), nous aurions peut-être pu avoir la chance d'apprendre une autre "réalité" que la pensée unique économique ?

Jean-Marie Lange, 27.08.2009
[1] GIELEN Théo, "Ceci n'est pas un masque…", Bruxelles, Tribal Arts, 2005, p.138-139.

[2] JUNG C.G., L'Energétique psychique, Paris, Le Livre de Poche, 2003 : "Du point de vue psychologique, les esprits sont des complexes autonomes inconscients qui apparaissent projetés puisqu'ils ne sont, par ailleurs, pas directement associés au moi. Que l'on ne commette pas l'erreur de prendre ceci pour une constatation métaphysique. La psychologie na pas à s'occuper de l'en-soi" des esprits, mais de leur représentation."(p.235).