TION PSYCHOSOCIAL
Association pour le développement de l’autonomie et de la participation sociale
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ECHECS SCOLAIRES… pour les moins nantis culturellement ?
Hommage au devoir de résistance du formateur Marcel DEPREZ
"Les débats sur l'école sont construits par la tension entre une école de l'intégration et de la socialisation, et une école de la diversification et de la compétition transparente (…)
(Dans l'expérience scolaire même) des élèves déclarent leurs intérêts, leurs passions, leurs enthousiasmes, ou au contraire leur ennui ou leur dégoût pour telle ou telle discipline, affirmant par là une double distance au conformisme de l'intégration et à la seule utilité scolaire. Et l'on sait que, pour bien des élèves, la séparation de la "vocation" et de l'utilité, c'est-à-dire de l'intérêt pour soi et de l'intérêt social, est au cœur de leurs relations au savoir. C'est d'ailleurs dans ce hiatus que se forment à la fois la subjectivation et l'aliénation scolaire, la révélation d'une vocation ou, au contraire, le sentiment de vide et d'absence de sens des études."(DUBET et MARTUCCELLI)[1]
Pour un monde plus humain dans l'utopie, développant la fraternité entre les classes sociales et la solidarité envers le Tiers-monde et la liberté de pratiquer la désobéissance civile envers le monde politique, qui nous dirige mais ne nous représente plus (et le monde policier qui nous sanctionne de PV pour aggraver encore la perte du pouvoir d'achat). Pour un monde de justice et d'égalité où nous laisserions une terre saine pour les générations à venir ainsi que des valeurs et une éducation sérieuse et non sélective à nos enfants.
Survol pour une analyse de l'institution école
Mon collègue sociologue fait passer les examens de repêchage en première année baccalauréat "Assistant en psychologie", ils devraient être trente, il n'y a aucun à se présenter ? Pourquoi cet abandon massif à l'issue d'une première année de l'enseignement supérieur ? Serait-ce dû au fait que le minerval est trop démocratique ? ou que des gens viennent "en touristes" pour voir? Serait-ce parce que le prof est trop sévère et décourage ? Parce que le sens de l'effort n'est plus à l'ordre du jour ? Je ne pense pas qu'une seule de ces hypothèses explicatives soit valide séparément mais elles influencent peut-être toutes la prise de décision individuelle des jeunes de décrochage. Le paysage des mal-à-être change et les névroses font place aux grosses fatigues à être Soi (l'apathie) ou le "pétage des plombs (l'impulsivité). Le diplôme ne miroite plus comme avant même si les études sont soi-disant démocratisées, car il n'y a pas nécessairement d'emploi à la clef et le CAPES (Certificat d'Aptitudes Pédagogique pour l'Enseignement Supérieur) que nous aurions rêvé en compagnonnage se résume à des devoirs didactiques dans une relation d'autorité, soit un modèle pervers.
Que pourrions-nous faire, nous enseignants, à notre niveau pour arrêter ce gaspillage des ressources humaines futures ?
L'école est une institution, elle ne peut être que ce que les hommes en font; c'est pourquoi, elle est à la fois sublime quand par l'éducation basique, elle permet à des enfants du Tiers-monde ou du Quart-monde de s'en sortir et hypocrite dans sa sélectivité de plus en plus sévère (mais il faut reconnaître que chez nous en Europe, beaucoup plus de jeunes se risquent dans les études supérieures). Depuis des décennies, les chercheurs se penchent sur les moyens de réduire le désintérêt, les échecs et le décrochage et ce sera en vain car le problème est d'abord politique.
Tant que l'action politique se limitera à faire des ghettos de discrimination positive pour que les bourgeois ne mettent surtout pas leurs enfants dans ces écoles, instillant que le sauvetage de cette gabegie aura lieu en général par le financement indirect de Microsoft et par les TIC en particulier, cela incite "la volonté du chef de famille" à choisir pour sa progéniture le meilleur, donc l'élitisme. Même s'il est absurde de penser que les bons profs sont tous dans les écoles sélectives et les mauvais dans les autres, c'est plus que des rumeurs sans fondement, c'est de la propagande jésuitique sous la bénédiction de l'Etat laïque.
L'affirmation de Soi est d'abord une question subjective de représentation mentale. Le diplôme est un symbole initiatique qui, comme tous les objets du désir, perd de sa valeur lorsqu'on le possède, mais fait fantasmer les autres.
L'école ne transmet pas que des connaissances mais aussi les normes de la culture scolaire bourgeoise. Un enfant qui n'a jamais vu de livres chez lui a un handicap. S'il voit que l'on ne s'intéresse pas à ses devoirs et qu'il doit les faire tout seul devant la TV allumée en permanence, il a alors un fardeau de handicap. Nous avons rencontré des parents analphabètes qui faisaient lire ou "réciter" leur enfant, c'est possible mais rare car ce n'est pas le modèle parental et de toute façon, les exceptions serviront à nier les travaux des sociologues de l'éducation comme Pierre BOURDIEU qui croit à la reproduction des inégalités sociales.
A Montréal, dès les années 1990, dans les écoles primaires avec des classes de 15 apprenants, j'ai observé que l'instituteur était secondé de deux orthopédagogues qui prenaient à part les enfants en difficultés pour une pédagogie différenciée. Chez nous, bon dernier dans le rapport PISA sur l'efficacité des systèmes scolaires à cause de nos trop nombreux échecs, la seule réponse sans rire sous la pression fanatique d'une ethnie flamande, ce sont les écoles d'immersion en néerlandais, là où il faudrait des écoles Freinet.
Depuis toujours j'ai pratiqué des méthodes de pédagogie active, ce qui demande dix fois plus de préparation qu'un cours ex-cathedra. Mais cela vaut le coup car mes apprenants apprenaient avec plaisir et enthousiasme. Mis à part mon dernier directeur de catégorie sociale, j'affirme sur l'honneur n'avoir jamais reçu de félicitations de la part de ma hiérarchie directe ou de mon e PO (l'enseignement de la province de Liège), en 36 ans d'enseignement, rien que des lettres de blâme que je conserve soigneusement. Si j'ai continué, c'est parce que je suis un passionné par ce travail d'accoucheur de jeunes à la vie professionnelle. Je fais toutefois l'hypothèse d'un management élémentaire que, si nos plus jeunes collègues font au début de leur carrière un effort de ce type et ne reçoivent que du déni de leur Direction Générale, ils reviendront bien vite au moindre coût des cours magistraux ennuyeux mais plus confortables pour eux, ce qui est légitime.
Moffleurs en série par défaut ?
Il n'y a pas de longues recherches à faire, les causes sont institutionnelles : d'une part, pour des caprices Erasmus profitant à une élite, les profs doivent concentrer leurs cours pour l'essentiel sur les trois mois d'automne, ce qui signifie donner cours 6 à 8 heures/jour, ce qui d'un part constitue me fatigue à l'excès et d'autre part démotive les jeunes enseignants. Notons toutefois que la non ponctualité de certains étudiants trop cools empêche les méthodes actives en groupe (les profs n'ayant plus de pouvoir disciplinaire pour des interactions fructueuses et non tueuses d'ambiance ne peuvent empêcher les "touristes" d'entrer dans une classe en travail régulièrement avec vingt minutes de retard).
Les jeunes ne sont plus concentrés, ni respectueux des profs certes mais le principal responsable de cette dégradation est notre système d'enseignement en général (CFB) mangé par la pseudo-rentabilité néolibérale. Nous ne sommes pas une entreprise privée mais un service public mal géré par des politiques irresponsables et la pression pour les économies est actuellement trop forte, ce qui se marque par une perte de qualité. Plus personne d'ailleurs ne parle d'excellence, de zéro défaut ou de qualité totale, cette idéologie est déjà dépassée. Les profs n'ont pas tous besoin d'être noyés sous les ordinateurs pour le profit de Microsoft, ils veulent par contre TOUS des groupes à visage humain (25 élèves par cour par exemple ce qui n'est pas possible avec des collègues placés par népotisme et qu'il faut favoriser) et des locaux décents (propres et chauffés, ce qui n'est pas non plus possible lorsque les techniciennes de surface font la loi via le syndicat).
Cela étant dit, il n'est pas rare dans l'institution scolaire locale de rencontrer des profs qui fassent échouer 50% d'une classe et cela depuis trente ans. Pourquoi les syndicats les protègent-ils ? Un travailleur qui raterait sa production à concurrence de 50%, ne fut-ce que quinze jours, serait licencié sur le champ ? Attention bien sûr à la pseudo-solution démagogique de faire réussir tout le monde y compris les touristes et ainsi dévaloriser le niveau d'exigence du projet pédagogique négocié par l'ensemble des enseignants d'un site. "Moffler" ne veut pas nécessairement dire non plus que les rescapés soient mieux formés grâce au nombre indécent d'échoués. Dans mon ouvrage "Pédagogies émancipatrices et revalorisation de l'enseignement technique"[2], je fais l'hypothèse que chacun économise ses efforts et calcule parfois trop juste son investissement. On confond les échecs de sélection avec les rigueurs d'exigence possible si l'appareil soutien et félicite les enseignants ( car ce n'est pas leur salaire qui pourrait les remotiver en cas de "grosse fatigue". Qui contrôle réellement l'efficience des directeurs généraux ? Et leur réclamer des comptes sur leurs missions à l'étranger, genre CHIRAC. J'affirme qu'avec des classes de 25 personnes, je pouvais faire réussir la majorité par la pédagogie différenciée et la pédagogie du projet, si le management d'une DG faisait son boulot correctement. Notons bien que je forme des directeurs d'école depuis dix ans et ce n'est pas de cet échelon hiérarchique que je parle mais des mafias politiques que j'ai côtoyé pendant trois décennies sans jamais avoir vu sanctionner leur incompétence par le pouvoir dit "citoyen bien encadré".
La pédagogie du projet
Les enseignants du terrain pratiquent pour la plupart un "apostolat", le prof qui prépare avec passion ses séances d'animation consomme le décuple de temps et de stress de celui ou celle qui est planqué(e) là par ses petits amis politiques. Qui peut dire sans rire que le piston n'existe pas dans l'enseignement ? Un changement radical serait de nettoyer l'enseignement de cette main mise politique (et parfois syndicale) selon deux axes : plus aucun clientélisme et une seule école pluraliste pour tous.
Pendant deux décennies, j'ai enseigné dans l'enseignement technique agricole avec la pédagogie du projet; à la même époque d'un enseignement rénové en voie de dégénérescence, mes collègues chargés des "activités d'éveil" faisaient construire par tous les élèves une balance pèse-lettre car cela plaisait bien à l'inspecteur (les fonctions). Les enfants mourraient d'ennui en pensant au "Temps Modernes" de Charlie Chaplin et au mieux le produit réalisé servait de décoration sur le poste de TV de la grand-mère (comme ces infâmes gribouillis des petits-enfants) et au pire finissaient à la poubelle. Qu'est-ce que les jeunes avaient appris de passionnant pour éviter le dégoût de l'école ? Pourquoi ne pas évaluer vraiment en demandant leur degré de satisfaction aux intéressés ?
Avec la pédagogie du projet, le groupe-classe devait à la majorité décider d'un projet commun rassembleur et réalisable. Ensuite, sans passer par la bureaucratie de l'école, on constituait prof et élèves la base financière de la coopérative pour acheter nos matières premières. Nous avons fait de l'élevage de lapins, de canards, de canaris, de poulets, de la culture de légumes, de la culture de champignons, etc. Chaque fois, il fallait tout penser (réfléchir): la construction des clapiers (les volumes et la prévision de la quantité de matériaux), la comptabilité, une comparaison scientifique élémentaire des rations alimentaires et enfin que faire de nos produits finis ? Le fil rouge des décisions, des travaux et des résultats fut tout le temps le plaisir et non l'apprentissage de l'obéissance. Le plaisir d'apprendre certes mais aussi de vivre et de rire sans être dégoûté par l'apprentissage.
Notons que la pédagogie du projet ne peut se passer de déboucher sur la pédagogie institutionnelle et bon nombre d'étudiants ont eu des retenues ou de mauvais points de conduite pour les projets. Par exemple, si on nourrit des lapins dans un hangar de l'école, vacances de Noël ou pas, il faut toujours les nourrir; ainsi, mes étudiants avaient mes clés du hangar (à tour de rôle) et une autorisation écrite de ma part avec mon téléphone et expliquant les tenants et aboutissants. Je pense que ces générations d'élèves ont fait beaucoup de bien pour l'école mais aussi pour eux, pour leur affirmation de Soi.
La pédagogie institutionnelle fait que les apprenants sont confrontés en direct avec l'arbitraire du pouvoir et avec l'hypocrisie des bureaucraties. Des jeunes qui s'amusent en apprenant non seulement travaillent avec plaisir mais apprennent très tôt les incohérences du système. Par exemple pourquoi tant d'heures de cours de X alors que le prof "ne sait plus quoi nous dire, arrive en retard et fait des pauses interminables" disent les apprenants, sur quoi l'évalue-t-on, sur l'intérêt des jeunes qu'il suscite pour sa matière ? Bien sûr que non, surtout pas s'il est pistonné. Développement : pour avoir un bon prof de menuiserie avec expérience, il ne faut pas attendre qu'il vienne mendier une place au pouvoir mais il faut au contraire aller le chercher par une démarche active, soit le débaucher pour l'embaucher. Mais c'est plus facile d'avoir 13 électriciens à la douzaine alors le cours de menuiserie sera donné par un électricien. Mon exemple est seulement didactique et ne vise pas les électriciens qui manquent (comme tous les profs de technique) dans l'enseignement secondaire.
En conclusion pour un niveau méta-organisationnel,
1. Avoir une formation des maîtres pas seulement disciplinaire et didactique mais également méthodologique,
2. Sélectionner ceux-ci à la fois sur leur motivation et si requis, sur leur expérience utile de plus de dix ans (selon la loi, trois ans d'expérience utile sont nécessaires pour le secondaire et une année pour l'enseignement supérieur).
Ces deux objectifs organisationnels impliquent donc sur le plan pratique :
1. Une formation technique aux méthodes pédagogiques participatives faisant de l'apprenant un acteur et non plus un récepteur passif.
2. Un examen d'entrée par un conseil de sages apolitiques qui refuserait le critère clanique d'un groupe politique d'appartenance (ou une religion) et gérerait une vérification des réelles motivations et compétences des futurs maîtres.
Ces deux objectifs opérationnels impliqueraient alors des moyens différents sur le plan tactique :
1. Une revalorisation totale de la fonction avec des locaux modernes et propres et des classes non surpeuplées.
2. Moins d'heures de cours marathon uniquement devant une classe mais des heures valorisées pour la recherche et l'actualisation des matières, soit un bureau avec ordinateur par enseignant à l'école ou si c'est chez lui, un défraiement.
(J'ai toujours financé mes déplacements sur mon salaire, mes photocopies dans l'enseignement technique pour éviter les démarches administratives et dans l'enseignement supérieur, mes ordinateurs, cartouches d'encre, papiers, etc. ont toujours été de ma poche, et cela n'est pas normal, chaque enseignant devrait recevoir un budget de fonctionnement).
3. Etre autorisé à cumuler une activité externe pour se tenir au courant de sa technique quand le cumul rémunéré de mandats reste autorisé aux politiciens de façon effarante.
Enfin sur un plan institutionnel (méta-organisationnel), un troisième objectif dont nous pourrions rêver serait celui de l'évaluation des profs par les étudiants.
Pour reprendre l'exemple du début avec la deuxième session en sociologie, donner selon la charte des droits de l'homme à chacun des devoirs et des droits comme la possibilité d'évaluer les maîtres? Pas sur une unique année bien entendu car il peut y avoir une année où le courant ne passe pas avec une classe donnée mais sur dix ans lissés pour comparer d'une part le manque d'intérêt récurrent des étudiants et d'autre part le manque de compassion du prof dans sa fonction sanction. Bien sûr, mes suggestions ne plairont pas à la bureaucratie syndicale mais fait-elle toujours son job de contre-pouvoir lorsque des délégués permanents sont liés avec le pouvoir ?
La base de tout projet est d'une part une organisation franche et fiable (sans tabou à ne pas questionner) et d'autre part une volonté d'expérimenter et de trouver ensemble entre intéressés (profs et élèves mais, par expérience, sans les politiciens) des preuves d'efficacité. Rêvons donc d'une école où toutes les énergies seraient centrées sur l'intérêt des enfants pour un apprentissage de haut niveau et non nécessairement sélectif.
Jean-Marie LANGE, 09.09.2008 et 18.01.2010.
[1] DUBET François, MARTUCCELLI Danilo, A L'ECOLE. Sociologie de l'expérience scolaire, Parsi, Seuil, 1996, p. 64 et 65.
[2] L'Harmattan, Paris, 2002.
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