mardi 6 mars 2012

GAPI n°37 Emancipation des femmes au Mali

CAPI – Cahiers d'Autoformation Psychosociale en Pédagogie institutionnelle N°37
GROUPE D’AUTOFORMATION PSYCHOSOCIALE
Association pour le développement de l’autonomie et de la participation sociale
Siège social : 40, rue Saint-Lô, BE 5060 FALISOLLE,
Président Patrick LECEUX 0496/627678 patrick.leceux@mac.com
Coordination pédagogique Jean-Marie LANGE: gap.belgique@skynet.be ;
Groupe d'Autoformation Psychosociale : Formations des adultes et actions humanitaires.
L'association de formation des cadres GAP est une asbl spécialisée en management associatif et en prévention des conflits de groupe. Elle se veut résolument sans but lucratif; aussi, lorsqu'elle dégage un quelconque bénéfice, elle conçoit le projet d'une aide humanitaire technique et ciblée au Tiers Monde. Hier, il s'agissait de formations d'animateurs ruraux et d'animateurs de gestion au Mali. Aujourd'hui, c'est l'aide à des associations locales à MAKAMBA au sud Burundi. Demain ce sera le soutien à des écoles fondamentales au pays DOGON (Mali). Notre association n'est pas subsidiée par la coopération au développement de Belgique. Le GAP est un opérateur de terrain qui se réclame de l'application des droits de l'homme et ne se réfère à aucune confession et à aucun parti politique.
Site http://soutien.et.autonomie.free.fr Blog : http://gap-belgique.blogspot.com;

CAPI – Cahiers d'Autoformation Psychosociale en Pédagogie institutionnelle -
SOMMAIRE des précédents articles de cette revue bimensuelle de réflexions pédagogiques du GAP
N°1 – Janv-Fév. 2006 : Qu'est ce que le GAP ?
N°2 – Mars-Avril 06: Le cahier des offres de formation du GAP.
N°3 - Mai-Juin 06 : La colère des enseignants (gestion des conflits – opus 1)
N°4 – Juill.-août 06 : La pensée rationnelle (gestion des conflits – opus 2)
N°5 – Sept.-Oct.06 : Totem et tabou
N°6 – Nov. Déc. 06 : Jalousie et fonctionnement à la croyance (Médiation couple – opus 1)
N°7 – Janv.Fév. 07 : L'Avant-projet pédagogique BURUNDI
N°8 – Mars-Avril 07 : La Dynamique des Groupes, l'organisation sociale et l'homme de la singularité.
N°9 – Mai-Juin 07 : Histoire de vie en groupe et aide sociale (Proposition au Congrès international des professionnels francophones de l'intervention). Pédagogie du projet.
N°10 – Juillet-Août 07 : Rapport d'activité "Enfants de Kayoba" première phase "Voyage d'études et de faisabilité 2007"
N°11 – Sept.Oct.07 : Le chaman et le formateur
N°12 – Nov.Dec. 07 – L'identité personnelle, une insertion sociale ?
N°13 – Janv.Fév.08 – La genèse des alchimistes pour l'éducation à une spiritualité laïque
N°14 – Mars-avril 08 - Le travail des intervenants sociaux (1) : Pour une insertion sociale et multiculturelle citoyenne.
N°15 – Mai-Juin 08 – Le travail des intervenants sociaux (2) : Emploi, travail et méthodes d'intervention.
N°16 – Juillet-Août 08 – Le travail des intervenants sociaux (3) : Fantasme de toute puissance, démocratie ou génocide.
N°17 – Sept. Oct. 08 : La souffrance du désir et le détachement
N°18 – Nov. Déc.08 : Le stress et les consciences
N°19 – Janv-Fev 09 : Le triangle rouge de la lutte contre tous les racismes
N°20 – Mars-Avril 09 : La psychologie des émotions.
N°21- Mai-juin 09 : La raison sensible (combattre les fidèles au nom des infidèles).
N°22 – Juill-Août 09 : Le néant et l'être affamé
N°23 – Sept-Oct 09 : Multiculturalisme et autoformation
N°24 – Nov.-Dec.09 : Les Etats Modifiés de Conscience (extase, possession, hypnose et zen)
N°25 –Janv-Fev 2010 La matière, le vide, la nature, l'éducation
N°26 – Mars-Avril 2010 L'intelligence des femmes
N°27 - Mai-Juin 2010 L’imaginaire, le symbolique et la réalité sociale
N°28 – Juil-août10 : Pour une introduction à l’anthropologie culturelle et sociale
N°29 – Sept-oct10 : Le combat perpétuel de la démocratie participative
N°30 – Nov-dec10 : Les sans-papiers
N°31 – Janv-Fév 11 : le couple et l’institution du mariage (Médiation couple - opus 2)
N°32 – Mars –avril 11 : La psychologie systémique et le chamanisme
N°33 – Mai-juin 11 : Vers une éthique sociale contre les barbaries
N°34 – Juil-Août11 : Nous sommes tous contre le fascisme.
N°35 Sept-Octobre 11 : le méta point de vue et le non-agir.
N°36 Nov. Dec. 11 : Fidélité et soumission.
N°37 Janv-Fev. 2012 : L’autonomie et l’émancipation des femmes au tiers-monde (1ère partie)
CAPI – Cahiers d'Autoformation Psychosociale en Pédagogie institutionnelle N°37 Janv. Fev. 2012

L’autonomie et l’émancipation des femmes aux tiers-monde : 2012 a été déclarée par l’ONU l’année de la coopération et des coopératives, vœu pieux ?
Etude microsociale de l’impact des changements économiques sur les rapports homme/femme dans un pays en développement – Mémoire pour le concours 2013 de l’Académie Royale des Sciences d’Outre-mer, Classe des sciences humaine.
FINALITE
Aborder l’aspect économico-relationnel des rapports hommes/femmes selon la situation concrète insatisfaisante des uns et des autres, en particulier dans un pays de développement comme le Mali, et les répercussions de crises de 2008 et de 2011 avec tous les épiphénomènes que cela implique. La méthodologie psychosociale
Cette approche sociologique et pédagogique est dite qualitative. Pour les techniques, nous nous appuierons sur la dynamique des groupes (Kurth LEWIN), la socioanalyse (analyse institutionnelle) et sur les histoires de vie (Jurgën Habermas, Cornélius Castoriadis,…). L’analyse institutionnelle axée sur la pensée de Cornélius CASTORIADIS considère en bref que les institutions sont le jeu dialectique de trois instances en mouvement :
- L’INSTITUE où le pouvoir en place (qui correspond en dynamique des groupes à l’universalité = déni des conflits) serait en quelque sorte l’histoire du pouvoir officiel (comme Napoléon avait un historien un peu « hagiographe »).
- L’INSTITUANT est le contre-pouvoir des citoyens associés (syndicats par exemple) ou isolés et qui se donne à voir dans les histoires de vie. Celles-ci recoupées permettent de mieux lire dans une époque ce qu’elle a effacé par le pouvoir de contrôle des médias. L’instituant dans les groupes correspond à la phase de particularité des sujets ainsi que de l’affirmation des différences et conflits dans les couples comme dans les groupes.
- L’INSTITUTIONNALISATION est en fait la négociation entre les deux forces pour déboucher sur une évolution des institutions (le compromis) ou un traitement des conflits pour éviter les divorces. Dans les groupes, c’est le moment de la singularité où tout le monde s’efforce de comprendre l’autre au lieu de le juger et condamner.
Les « histoires de vie », outre l’aspect sociologique mis en place par l’Ecole de Chicago lors des vagues de migrants polonais aux USA (1918-1922), sont utilisées aussi par la pédagogie (Gaston PINEAU de l’Université de Montréal et Matthias FINGERS de l’Université de Genève), par la psychosociologie (Vincent de GAULEJAC de ParisVII) ainsi que par des psychanalystes ayant dépassé le Freud du XIX° (François ROUSTANG, Nicolas ABRAHAM et Maria TÖROK,…). Cette psychanalyse psychogénéalogie a une vision différente de l’inconscient, il ne s’agit plus du refoulé de la petite enfance mais du non su, du non conscientisé, des secrets de famille qui englobent le sujet au-delà de sa propre génération par le caché des ancêtres par exemple. Pour revenir au plan sociologique, SARTRE et BOURDIEU disaient que, dans une histoire de vie, il y avait, sans fard, l’histoire d’une époque « non retouchée ».
Le lieu d’où je parle et mon utopie
J’aurais voulu être anthropologue (plutôt que ces sciences humaines éclatées) ; je m’essaierais alors à être passeur d’âme auprès de gens de cultures différentes (orale et écrite par exemple) ou de coutumes différentes en abordant les conflits individuels et collectifs mais toujours sans haine ni violence. J’aurais voulu être un médiateur entre ceux qui vivent de colère et/ou de frustration et de déprime et les passionnés qui aiment ce qu’ils font parce qu’ils sont sensibles à la beauté, sûrs de leur force et de leur sagesse conduisant à l’harmonie.
J’aurais voulu être un passeur d’expérience qui transmet ce qu’on lui a appris en savoir-faire et en savoir-être donc en savoir-aimé tout en s’aimant soi-même. Je voudrais qu’il n’y ait plus de guerre entre les spéculateurs riches que l’on dit combattre, tout comme dans les couples où l’on doit trouver un arrangement WIN-WIN pour chacune des parties voulant imposer sa personnalité à l’autre au détriment des enfants déchirés par l’éclatement de leur milieu sécure. Je voudrais enfin en soi-même la paix entre la raison et le désir. On ne saurait se passer ni de l’un ni de l’autre mais, si en on privilégie un, ce ne sera que ruine de l’âme ou à l’inverse de la robotique instrumentalisée. Celui qui n’écoute plus que son désir cède la place à notre animalité et au plaisir brut, un désir sans cesse à recommencer. Le juste milieu est de désirer en création avec les émotions et les constructions analytiques.
Je m’appelle Jean-Marie LANGE, j’ai 65 ans, marié et père de trois filles (et grand-père de 5 petits- enfants). Je suis issu d’un milieu modeste (père ouvrier et mère vendeuse en grande surface), j’ai fait des études de technicien en agriculture tropicale (bac+1) avant de travailler pendant 4 ans au Congo(RDC) dans des plantations privées (palmiers à huile, caféiers, hévéas). Chassé comme tous les expatriés en 1972 du Congo devenu Zaïre par le dictateur MOBUTU (collaborateur de la CIA) lançant la zaïrianisation des cadres (sans formation adéquate pour les remplaçants), j’ai retrouvé une place de surveillant externe d’école et dans la foulée j’ai repris un graduat éducateur (bac+2). En 1974, je suis devenu, sans clientélisme, par mon expérience utile du métier, professeur d’agriculture, ce qui me permettra aussi de m’inscrire à l’université de Liège pour une licence en pédagogie (bac+5) option éducation permanente. Je continuerai ensuite un DES (Diplôme d’Enseignement Spécialisé) en intervention psychosociale et en même temps l’agrégation (en deux ans) et ensuite, je préparerai le DEA (Diplôme d’Enseignement Académique) en 4 ans. J’ai obtenu mon doctorat d’Etat le 1° février 1991 et j’enseignerai alors en Haute Ecole sociale (assistants sociaux, assistants en psychologie et communicateurs) et comme moniteur et collaborateur de l’université pour les formations pratiques de psychologues sociaux.
La soutenance de ma thèse portait sur l’étude de la méthodologie des histoires de vie appuyée sur la dialectique de l’Ecole de Francfort (Jürgen HABERMAS). Notons que depuis 1974, j’ai toujours travaillé également comme formateur de terrain en milieu associatif (Peuple et Culture, Ligue de l’Enseignement et de l’Education Permanente, formation des objecteurs de conscience, militant pacifiste de l’Internationale des Résistants à la Guerre (IRG), militant d’Amnesty International, formateur au Centre d’Alternative Non-violente (CAN),etc.) La synthèse de ma thèse sera publiée en 1993 « Autoformation et développement personnel » par les Editions Chronique Sociale (Lyon).
Le Mali
Le Mali économique
A MOPTI (région du Macina), on sert rarement des brochettes de Capitaine (carpe du Nil) dans les restaurants, pourquoi ? Parce que pour des brochettes, il faudrait des morceaux conséquents ; or, les poissons péchés sont trop petits. Il y a surpêche et de plus, les eaux du fleuve Niger baissent constamment car il y a de plus en plus de périmètres irrigués, ce qui n’est pas en soi une mauvaise chose puisque cela permet l’autosuffisance alimentaire en riz du Mali (au moment où le Sénégal connaît les émeutes de la faim). Le problème est en fait une guerre larvée dans le Macina entre les agriculteurs bambara (pour la plupart) et les éleveurs peulh et tamasheq qui eux voudraient une extension des bourgoutières pour leurs cheptels. Il y a dans ce centre urbain du delta intérieur une bataille en puissance pour l’espace vital : le planning familial avec la régularisation des naissances serait une solution mais cela est considéré comme TABOU par les Imams musulmans s’appuyant sur les Kaddishs du Coran.
Bien sûr, le FED (Fonds Européen de Développement) n’investit pas assez auprès des gens de la base (il paye une fortune aux prétendus experts expatriés peu expérimentés car souvent très jeunes et de plus crée une disparité raciste dans ses cadres : un ingénieur autochtone compétent et expérimenté gagne le quart d’un jeune européen !).
Il y a aussi bien entendu la problématique interne : corruption, népotisme, clientélisme, élites surpayées, détournement des ressources par la capitale au détriment de l’intérieur du pays, racket constant par les policiers des carrefours au détriment des taximen et transports locaux, croissance industrielle sabotée (sauf pour les chinois ?), pots de vin hallucinants (comme au Sénégal) pour les décideurs du FMI, partage du gâteau sans miette entre les membres des ministères, guerre interne entre l’ensemble des populations noires et les Tamasheq/Touareg(anciens propriétaires des esclaves noirs ou Bella).
Pour éviter des émeutes, on saupoudre le peuple avec du pain (excellent par ailleurs) et des jeux (matchs de foot en l’occurrence), ce qui permet aux gens frustrés de se décharger en brûlant des voitures, même si le Mali est vainqueur (cela jugule une éventuelle révolution). De plus, il y a une collusion évidente entre le gouvernement et le secteur privé français qui arrose (Bolloré, Bouygues, Total, France Télécom, BNP Paribas, Air France,…).
Pourtant l’alternative démocratique et écologique est possible avec le soleil permanent comme source d’énergie pour créer des infrastructures convenables, avec une industrie agroalimentaire bien gérée, une relance du tourisme apportant des devises, une exploitation planifiée des sous-sols (phosphates), une gestion intelligente de la pèche, etc. Par exemple, le projet allemand DESERTE d’un coût estimé à 310 milliards d’euros consiste à couvrir 0,5% des déserts chauds du nord par des panneaux solaires pour assurer les besoins de l’Occident en énergie (sans compter les bénéfices secondaires de ne plus utiliser de carburant fossile).
Le Mali culturel
Fréquentant ce pays depuis 25 ans et appréciant tout particulièrement la brousse des alentours de Mopti et du pays DOGON, nous sommes frappés par un paradoxe récurrent de ce pays musulman à 100% : d’une part l’ouverture d’esprit à nos cycles de conférences de lutte contre les Mutilations Génitales Fémines (MGF) comme l’excision et l’évolution rapide et positive des mères très concernées par l’avenir de leurs fillettes et d’autre part, l’individualisme dangereux (partagé hélas dans les autres pays africains que nous connaissons) qui fait que là où les structures claniques sont détruites, il y a le « chacun pour soi » et l’absence de fraternité-solidarité (même si un des 5 piliers du Coran parle de charité). Un de mes amis érudits de Bamako me le disait sans détour : son pays évolue vers le sous-développement et le primitivisme (une circulation anarchique, un non respect des files, des arnaques sans vergogne, peu de commisération pour les moins nantis, etc.). Par exemple, de petites bonnes (de 8 à 15 ans)venues de la campagne (la brousse du pays DOGON par exemple) sont payées 12 €/mois (FCFA 7.500) à MOPTI pour un travail de lessive et de nettoyage de 6h du matin à 22h le soir en portant en plus sur le dos les bébés de leur maîtresse et régulièrement, les patrons ne les payent pas prétextant qu’ils n’ont pas d’argent. Une asbl suisse MALI-AVEC protège par un service juridique ces enfants exploités financièrement et sexuellement par les leurs. Je n’ai pas l’ambition ici de tirer une loi du genre mais d’illustrer par quelques exemples comparatifs.
Un dépanneur TOURING, en ce dur hiver 2012, me confiait que systématiquement, lorsqu’un africain l’appelait pour un service, il disait d’abord qu’il n’avait pas d’argent et quand le dépanneur répondait « alors pas de service » il en retrouvait (je pense qu’il doit y avoir des exceptions mais c’est bien là un agacement culturel). Je pense que le comportement asocial est fréquent dans les transports en commun chez nous où la majorité des africains prennent un billet seulement si le contrôleur passe (sinon c’est gratuit !). N’ayons pas peur de dire le non-dit, cela ne nous découragera pas d’aider sans calcul les enfants africains dans la misère. Dernière anecdote, je suis assis (problème de dos) à l’aéroport de Bamako et lorsque je me lève pour jeter à la poubelle un mètre devant moi un papier (à quoi bon), une dame se précipite et à mon ami lui disant que cette place est occupée, elle répond ulcérée « Je suis ici chez moi ! ». La même phrase dans la bouche d’un toubabou à Bruxelles serait considérée comme un acte raciste.
A Paris comme à Bruxelles, il est navrant de constater en parallèle la montée de l’intégrisme islamiste et la montée de la délinquance.
Selon un travail récent de sociologie très scientifique de Hugues LAGRANGE[1], à Paris et en proche banlieues 80% des délits seraient attribués à des sahéliens.
Je me répète mais cela n’entame pas notre antiracisme de combat, confirmons toutefois qu’au Mali la campagne progresse et les femmes n’y ont plus leur langue dans leur poche tandis que Bamako, la capitale de polyculturelle régresse.
Notons que la cote d’un otage blanc est de 5 millions de FCFA (1 € = 650 FCFA), la guerre entre le nord Touareg bien équipé par les stocks d’armes de la Lybie de l’ex-Kadhafi progresse car les rebelles sont payés alors que les soldats de l’armée régulière ne le sont pas régulièrement (sauf les 80 généraux grassement payés par eux-mêmes). La tension supplémentaire d’un climat insurrectionnel (ce 5/6 février 2012) est liée au Président allié de Kadhafi contre l’OTAN et à la fin de son second mandat et qui ne veut pas partir (la crise va peut-être éclater bientôt, c’es la même problématique de l’attachement au pouvoir comme au Sénégal, en Côte d’Ivoire,…). Un autre fléau est dans la violence de l’individualisme, nous avons traversé Bamako pour prendre l’avion dans la nuit du 5 au 6 février et notre ami conducteur avait prédit que quels que soient les résultats du match de foot du Mali, il y aurait du grabuge et des voitures brûlées, nous avons traversé des foules en liesse qui tapaient « chahutaient » sur notre véhicule et le secouaient comme dans une émeute d’indépendance « tchatcha ».
Il n’y a plus de blancs : ni coopérant, ni enseignant, ni touriste et sans regretter notre action pour les écoliers nous déconseillerions à tous de passer par Bamako. Pour nous, c’était peut-être la dernière fois car nous ne croyons pas au miracle et nous avons constaté cette corruption grandissante du régime. La démocratie a échoué. Seules les écoles auraient pu enseigner l’adage universel de la culture « Liberté-Egalité-Fraternité » et des droits de l’homme. La richissime Arabie Saoudite construit partout des mosquées (y compris en Europe) mais jamais une seule école sur le sol africain ; faut-il rester ignorant pour être bon croyant ? Mes amis africains privilégiés de Bamako ne font plus confiance en l’enseignement officiel et ont recours à l’enseignement catholique idéologique d’importation et à des enseignants privés. Nous ne pouvons pas rester neutres même si nos valeurs des droits de l’homme comprennent la tolérance car ce sont les plus défavorisés qui sont analphabètes et qui vont mourir du choléra et/ou de la faim, du sida et/ou du paludisme.
Le cadre situationnel des femmes
Les situations des femmes d’aujourd’hui au Mali (pour 100% de musulmans avec 85% d’excision) est préoccupante. Les maliens ont une ensemble d’ethnies (Peulh, Bambara, Senoufo, Minyanka, Dogon, Bozo, Sonrhaï, Tamasheq, Touareg, Bella,…) vivant en paix (sauf avec les anciens esclavagistes Touaregs qui conservent leurs esclaves) dans un islam tolérant et formant un peuple fier et accueillant, que je fréquente depuis 25 ans avec notre association asbl GAP (Groupe d’Autoformation Psychosociale) pour de l’aide humanitaire concrète aux écoliers, écolières et mères seules. Notre groupe initie des projets de villages pilotes (pédagogie du projet) pour le reboisement de l’école et du village si les plants sont arrosés et protégés des chèvres, des bibliothèques pour faire connaître des auteurs africains, des ouvrages techniques (pédagogie ou agroforesterie) pour les enseignants.
Et surtout, l’action qui a fait un « tabac » malgré nos craintes des « réactionnaires » : un cycle de conférences (relayé par la radio locale et des affiches placardées) pour la lutte contre les mutilations sexuelles féminines (l’excision dont le 6 février sera la journée mondiale de lutte) et autres violations des droits de l’homme (comme par exemple les mariages arrangés par les parents, le non droit à la terre pour les femmes en cas d’héritage, etc.). Notons que l’excision est une coutume antérieure au Coran et non prescrite par le livre saint ; toutefois, lorsque des couples se marient à la commune, le mari (seul) doit choisir son régime matrimonial (monogame ou polygame) ; les hommes choisissent par tradition la polygamie même s’ils restent de fait monogame par défaut de moyens financiers ou par choix.
Les filles peuvent accéder à l’école mais poursuivent peu souvent des études supérieures (un peu comme chez nous dans l’après guerre avec les écoles ménagères pour former de bonnes épouses). Les jeunes filles sont trop souvent captées pour aider aux tâches ménagères par les femmes plus âgées alors que les garçons indolents regardent la télévision. Elles ne sont pas poussées à atteindre un équilibre avec le genre masculin. Notons que cette situation était aussi la nôtre en Belgique de l’après-guerre pas seulement pour les études verrouillées pour les hommes (médecins par exemple) mais surtout par des barèmes inférieurs (la revendication des féministes de l’époque était « Travail égal = salaire égal).
Les violences faites aux femmes entre sorcellerie et rationalisation
Qu’est-ce que la violence ?
Indubitablement, les mutilations génitales et les mariages forcés sont des passages à l’acte. La colère peut susciter des conflits normaux (« Le conflit est le père de toute chose » HERACLITE), les différends peuvent être traités par une argumentation en étant conscient de notre subjectivité permanente. Notons toutefois que les mots peuvent être aussi blessants que les coups (cf. ci-après le harcèlement moral), une déconstruction de l’autre du couple qui est souvent la femme.
Certaines femmes d’Afrique tellement bien conditionnées à la violence disent parfois « mon mari ne m’aime plus puisqu’il ne me bat plus ! ». Plus les hommes et les femmes seront épanouis et plus ils pourront trouver des solutions win-win à leurs conflits quotidiens. Les hommes violents ne sont pas coupables mais victimes de ce qu’ils ont eux-mêmes vécus dans leur famille étant enfant. Un père qui bat la mère et les enfants, imprime un modèle et le fils devenu adulte peut reproduire ce cycle pervers s’il n’en a pas pris conscience pour maîtriser et donc arrêter à temps ses colères. La racine du problème est là dans le modèle parental et également dans la non confiance en lui de l’homme qui, à court d’arguments, recourt à l’agression physique et frappe. Nous sommes des obsédés de la solution qui s’imposerait si les bailleurs de fonds européens avaient des experts convenables : une éducation gratuite (subsidiée par le FED) accessible pour tous, de l’alphabétisation aux Hautes Ecoles et une formation civique et affective sur le fait qu’il n’existe qu’un type humain quel que soit le genre. Il suffit de ne pas donner d’argent mais de construire des écoles et d’y payer les profs diplômés, ayant en plus fait preuve de leur compétences (car en Afrique les diplômes peuvent s’acheter).
Le harcèlement moral
Ce double jeu est pratiqué plus souvent en Europe où le mari se montre aimable en société mais « méchant », dévalorisant en privé avec son conjoint. Il ne s’agit pas bien sûr de classifier « le bien ou le mal » comme dirait NIETZSCHE, mais de dépasser ces attitudes et comportements pour devenir plus authentique. Plus les femmes, face à cette violence insidieuse, pourront ne plus perdre confiance en elles-mêmes et plus elles seront des éducatrices modèles pour leurs enfants, capables de leur expliquer avec fierté la charte indépassable de la déclaration universelle des droits de l’homme (ONU, 1948).
Nous sommes engagés pour la lutte contre les violences physiques faites aux femmes (comprennant donc les mutilations génitales féminines) mais comme nous l’avons dit, il y a autant de violence dans les mots.
Avec mon épouse, nous discutions avec un couple du monde ouvrier (mais cela peut se reproduire dans n’importe quel milieu cf. les études de Marie-France HIRIGOYEN) et chaque fois que la dame s’exprimait, son mari la « rabrouait » de façon insultante en lui disait par exemple « Tais-toi un peu, sotte, tu n’y connais rien ! » et elle, sous son emprise, subissait cette violence verbale du pauvre « couillon » frustré. Cela litanie répétée est énervante pour un observateur externe, et je me rappelais mes grands-parents. Mon grand-père casanier, parlant peu, disait à ma grand-mère en boucle plusieurs fois par jour : « tu ne m’écoutes même pas ! » et elle de répondre avec résignation : « Mais si Léon, je t’écoute ! ». Le pervers dans un couple peut donc être aussi hypocrite en se montrant prévenant vis-à-vis de sa femme en public et sarcastique en privé. Ainsi, la dame qui se plaint à des amies, les étonne et elles lui retournent qu’elle le trouvent charmant, ce qui va enfoncer encore plus le détricotage/dévalorisation de la confiance en elle de l’épouse.
Il faut rester dialectique et bien sûr, les femmes sont parfois cancanières certes mais n’atteignent pas la méchanceté des coqs de très basse-cour. Par rapport à certains mâles frustrés, on pourrait prendre ce dicton ancien : « Si tu n’as pas de chien, bats ta femme ! ». 80% des violences faites aux femmes le sont dans un cadre familial, y compris les violences verbales et/ou l’absence de communication. Un ami, sage musulman me disait simplement que pour lui une harmonie de couple est une force et parler d’une même voix pour l’éducation des enfants constituait une structure stable. Pourtant, bon nombre de couples se divisent face à une provocation d’un petit enfant (pervers polymorphe car sans surmoi disait FREUD) qui peut dresser les parents l’un contre l’autre pour assouvir ses désirs immédiats.
Le mariage et les liens sociaux
Dans les villages du pays Dogon et du Macina (Mopti), tout le monde sait tout sur tous ; cela constitue un contrôle social très strict qui par exemple va interdire les maîtresses. Rappelons qu’en Afrique, les couples sont très différents, il y a une juxtaposition entre la société des hommes et de la société des femmes. Au Mali notamment, les femmes mangent rarement à la table des hommes. Dans l’iconographie DOGON, on peut voir parfois des représentations de couples mais un couple dont la mère tiendrait un bébé est impensable, les bébés sont affaires de femmes. Toutefois, pratiquement tous les jeunes gens ont « gouté la chose » avant le mariage et l’hymen est en soi peu important. Les préservatifs sont appréciés par les jeunes filles car si l’une tombe enceinte, elle ne se mariera jamais et dans la famille ce sera la honte et le déni : personne ne lui confiera de tâche, elle sera mise au banc de la société et ne trouvera jamais de mari (sauf à la capitale peut-être), ce qui impliquent l’infanticide ou l’adoption.
Il n’y a que peu de jeunes gens mariés à Mopti car la dot et la fête coûtent tellement cher que ce serait un endettement de plus de vingt ans, d’où cette nouvelle coutume de concubinage urbain monogame. Lors d’une sortie en brousse de jeunes mères, si l’une n’a plus de lait pour son bébé, sa voisine peut nourrir le bébé mais alors il y a incompatibilité d’un éventuel mariage entre ces deux familles (tabou de l’inceste). Lors de l’initiation, le groupe des futurs hommes sont tous coresponsables et si l’un fait une faute, tous sont punis. Les jeunes mangent tous ensemble et défèquent ensemble, un déni de l’individualisme occidental et une formation au lien social par la proximité. Il en va de même pour l’excision des filles si ce n’est qu’au lieu de couper un morceau de peau (prépuce), on ampute un organe très innervé avec de sanglantes conséquences. On ne peut prendre une seconde épouse qu’avec l’accord de la première ( !). Les premiers moments de cohabitation sont accompagnés de jalousie puis, si le mari ne fait pas de différence dans ses faveurs, l’harmonie peut quelquefois s’installer.
La régulation des naissances
Beaucoup d’africains considèrent que les blancs, avec beaucoup de morgue, viennent donner des leçons aux ex-colonisés. Ils sont au courant de tout avec la télévision et attachés à leurs coutumes. Ainsi, on peut essayer d’enfoncer un coin, celui des MGF (Mutilations Génitales féminines) mais il ne faut pas aller trop vite pour le reste.
Par exemple, certaines familles avec un homme et deux épouses ont jusqu’à 20 enfants en charge, même en ces temps de disette mais dans ces contrées d’un islamisme très pieux et cependant assez tolérant envers les mécréants, il ne faudrait pas venir leur parler de l’IVG par exemple (sacrilège !). Un collègue malien dans son ouvrage « La Blessure » a trouvé à mon avis une bonne formule pour le planning familial et fait dire au personnage « Malâdo » (ne sachant pas avoir d’enfant car son excision a détruit son vestibule) : « Il y a une autre situation qui demeure un goulot d’étranglement au bonheur des femmes, les nombreuses naissances : il faut les espacer. C’est une condition sine qua non pour qu’elles vivent heureuses leur vie ! » [2]
En tout cas, nous pensons qu’il s’agit là d’une bonne stratégie progressive, comme dans la philosophie du Bouddha ne pas obliger à choisir entre tout ou rien mais plutôt le juste milieu. Les traditions et coutumes stabilisent la société malienne ainsi que la religion de l’islam. Même si toutes les religions sont néfastes par leur tendance à la culpabilisation et à la mortification, casser cet équilibre serait faire évoluer à rebours vers les états bandits comme la Somalie, le Soudan, le Nigéria, la Lybie et le Congo RDC où les droits et les vies des hommes ont peu de poids face aussi à l’exploitation néocoloniale toujours bien présente en 2012.
Donc dans nos échanges avec les maliens, nous conseillons de laisser le corps des femmes se reposer trois ans entre les grossesses, tout en rappelant que nous savons que la grande richesse a toujours été des bébés bien nourris et en bonne santé et qu’ils représentent les bâtons de vieillesse dans les sociétés où tout était basé sur l’agriculture manuelle (là où les retraites existent peu). La solidarité familiale est absolument nécessaire pour nourrir les vieux parents. Mais si les enfants sont moins nombreux, on peut alors faire le sacrifice utile de leur payer des études.
Les mariages arrangés
Comme les gens dotés de terre chez nous mariaient des familles entre elles plutôt que des personnes proprement dites, il en va de même en Afrique, en Inde et ailleurs dans le tiers-monde. Deux familles peuvent se promettre dès la naissance le petit garçon de l’une et la petite fille de l’autre. La petite fille sera fiancée à 8 ans et mariée dès les premières règles (premiers sangs) vers 12 ans à un homme ayant souvent de 30 à 40 ans de plus qu’elle. Je n’ai jamais entendu d’homme se plaindre de cette coutume; par contre, dans des cas non rares, la fille se sauve, se suicide ou au mieux demande le divorce mais alors elle sera rejetée par sa famille qui devra rembourser la dot.
Auparavant, chez les Mongo du Congo, de lourds anneaux décoratifs de cuivre brut (5 kg chacun) étaient fixés aux chevilles des filles mariées, ce qui fait que, si une femme s’enfuyait, elle avait un handicap à la course et pouvait être rattrapée par son mari avant d’atteindre la case de ses parents. L’époux devait quand même repayer un complément de dot pour la récupérer. Aujourd’hui, des parents éclairés (la TV est partout) envoient parfois des filles à l’université de Bamako, ce qui peut leur procurer un emploi mais ce qui éloigne les prétendants. Pour prendre une illustration, une membre malienne de notre association est anthropologue, fine, jolie et cultivé et à 25 ans toujours pas mariée. On dirait que la culture chez une femme impressionne trop les faibles hommes pour que ceux-ci courtisent celles-là.
Je fais l’hypothèse que, dans certains cas, la femme n’est pas considérée comme compagne affective et égale mais comme proie sexuelle et ensuite dépendante et battue si mariage il y a. Je prends comme illustration deux de mes étudiants assistantes en psychologie (toubab) qui ont fait leur travail de fin d’étude au Mali sur les femmes. Elles n’en ont pas rencontrées ; par contre, elles étaient fatiguées des sollicitations sexuelles incessantes des hommes sans autre thème de communication que le basique.
Je reviens à mon « leit motif » : seule l’éducation massive et égalitaire des filles pourrait fournir un fondement pour le changement associé à une autonomie financière non dépendante, une insertion économique.
La sorcellerie
Les marabouts sont appelés aussi « charlatans » car le maraboutage n’est pas que la pratique des envoûtements mais aussi gruger de pauvres gens et se faire beaucoup d’argent. Les sorciers sont craints et parfois contrés par des anti-sorciers. Les sorciers on ne sait pas les distinguer en plein jour mais de nuit, ils dégagent un halo et, comme dans les autres pays d’Afrique, ils peuvent se transformer en crocodile par exemple ou se dédoubler (ubiquité). Un sorcier coincé par un anti-sorcier va tourner en rond ; pour s’en sortir, il pond un œuf puis défèque, il laisse donc une trace. Notons qu’il ne faut pas confondre avec les devins DOGON qui lisent des carrés de sable, y jettent quelques arachides puis le lendemain viennent lire les augures laissées par les traces de pattes du chacal.
Notons aussi que beaucoup d’informations sur la cosmogonie des DOGON recueillies en 1931 par un seul informateur par Marcel GRIAULE (sans être recoupée) sont qualifiées souvent de propos de bistrots et d’inventions d’avinés. Ces révélations sorcières heurtent souvent le côté rationnel des européens, je me rappelle que lors d’une de mes premières enquêtes de terrain (en 1988) où j’enregistrais des cassettes, une femme envoutée avait accouché d’un canari et j’avais bêtement demandé avec sérieux si c’était avec ou sans la cage, preuve de ma sottise. Le canari est une petite poterie de terre cuite avec couvercle, mais également difficile à accoucher.
Le Dieu AMMA des Dogon a une première fois cherché à s’accoupler avec la terre et a engendré le « renard pâle » (le mal et le devin), le chacal symbole du chaos, du désordre. Cet accouplement a échoué parce que les femmes avaient au-dessus du sexe une petite termitière qu’il fallait couper (le clitoris). Après, il n’y aura plus de problème ; AMMA a engendré avec la terre le NOMMO, les jumeaux du premier couple qui donneront les 8 ancêtres (8 groupes familiaux). La sorcellerie est différente de la divinité, elle repose sur l’animisme (les forces de la nature maîtrisée, par exemple les faiseurs de pluie surtout par temps orageux). Les anti-sorciers peuvent prendre des plantes (comme l’Iboga au Gabon) qui les placent en état second , la catalepsie, les esprits peuvent alors voyager dans l’entre-deux monde pour récupérer l’âme perdue d’un patient. En Côte d’Ivoire, les sorciers qui transforment des personnes en esclaves Zombies sont appelés des « mangeurs d’âmes ».
Une anecdote : un ami très cher me disait qu’un avion s’était écrasé et que le seul survivant l’était parce qu’il avait un talisman, un gri-gri, un bracelet DOGON autour du bras, je lui ai répondu que tous les voyageurs décédés devaient probablement porter le même bracelet. Il m’a raconté alors une autre histoire qui m’a confondu avec la psychologie appliquée : une femme avait un amant, le mari le savait ; alors, il a commandé chez un marabout un charme qu’il a cloué au chambranle de l’intérieur de sa porte; lorsque l’amant s’est présenté, la femme lui a raconté et « il a été noué » (érection impossible). Le mari et l’amant iront voir ensemble le marabout pour délier le charme contre argent et le mari divorcera de sa femme.
La sorcellerie est une plaie en Afrique car le simple fait qu’un membre de la famille réussisse peut attirer chez lui toute sa parenté (un ami congolais avait dans son arrière-cour pas moins de quarante bouches à nourrir chaque jour, des sangsues). La coutume de l’entraide veut que l’on accepte mais le moteur est aussi la peur que le rejeté jaloux fasse envoûter le parent qui réussit. Sans aller jusqu’à la famille mononucléaire occidentale, ce serait bien que l’homme s’occupe en priorité de ses femmes et de ses enfants notamment pour la scolarité. Dernière anecdote sur cet acteur de l’obscurantisme : si une exciseuse rate son opération, elle accuse une sorcière. L’a trouve et la chèvre-émissaire est bannie à vie du village avec toute sa famille, cela choque notre rationalisme mais cela se pratique couramment (nous y reviendrons dans le chapitre excision au Mali).

L’hypothèse
Je formule l’hypothèse principe que les femmes sont excisées (et/ou infibulées dans d’autres contrées comme le Soudan, l’Egypte et la Somalie) pour les couper du plaisir clitoridien et ainsi les dissuader d’être volages dans des familles polygames (un homme et 4 femmes comme le Prophète).
Notons que ce seraient les hommes qui chez nous (avec la complicité sournoise de l’église catholique) ont inventé les grillages des prés et la propriété privée de leur épouse (eux continuant à semer à tout vent) pour être sûrs que leurs descendants sont bien issus de leur sang. Je me garde de tout ethnocentrisme (européocentrisme) concernant les formules de couple car je pense que la polygamie est un état naturel chez les mammifères et la monogamie un état culturel (…mais parfois hypocrite), l’androgamie étant rare et plutôt motivé par des raisons économiques de non partage des terres entre frères (Tibet, Népal).
Je vais confirmer ou infirmer cette hypothèse de départ par une étude de terrain (enquête qualitative à questions ouvertes) dans la région de Mopti-Sévaré (Mali) en 2011 et 2012 avec une vingtaine d’enquêteurs rompus aux sciences humaines et j’en écrirai les conclusions en 2013.
Pour développer l’hypothèse, je postule que la polygamie n’est une cause de cette mainmise sur les femmes par mutilation sexuelle que dans notre espèce humaine. Comme chez les primates, la polygamie est la règle naturelle ; la différence est que seuls les mâles humains martyrisent en mutilant les petites filles, en Afrique particulièrement. Cette barbarie n’a pas lieu dans le reste du monde. Le désir sexuel est une réalité et le plaisir procure un apaisement par la noradrénaline (cf système endocrinien). S’il est frustré régulièrement, le mâle avec sa testostérone (5X plus que la femelle), développera alors tension, colère et adrénaline.[3]
Une dame malienne me disait que « lorsque son mari ne la frappe plus, elle pense qu’il ne l’aime plus. »(sans commentaire). La propriété des corps n’est pas venue seulement par les religions et le capitalisme, comme l’explique le sociologue allemand Max WEBER mais aussi par la propension du mâle humain à se servir de sa force musculaire supérieure pour battre l’autre genre, les femmes. L’adage de 1968 « faites l’amour pas la guerre ! » est en soi une philosophie du bien-être humain que l’on retrouve d’Epicure à Spinoza.
Le problème est dans la primauté lourde des coutumes sur l’éducation, d’où nos cycles de conférence conscientisante sur l’excision en pays DOGON : « Les violences faites aux femmes » sous forme de conférence-débat, sans les hommes lorsque cela est possible et bien entendu sans apporter « nos » solutions européocentristes mais en fournissant d’autres informations aux femmes de villages et notamment celle qu’elles ne sont pas toutes seules à travers « la journée mondiale contre l’excision » fixée le 06 février de chaque année.
Notons enfin à propos du désir qu’on peut l’envisager sous deux angles : celui érectile qui n’est pas nécessairement avec des sentiments (partie animale only, cf. les viols) et celui des femmes qui n’est pas que réflexe mécanique mais qui « doit » découler d’un véritable désir pour une relation, ce qui amène parfois à des malentendus ou…des violences comme le viol conjugal.
La genèse de l’hypothèse
Lorsque en 1971, je travaillais dans l’Oubangui du Congo entre Gemena et la République Centre-Afrique, les femmes étaient excisées vilainement par une ablation rude formant un vide carré au-dessus de la vulve et provoquant beaucoup d’hémorragies et de septicémies. Les jeunes filles de l’ethnie NGBWAKA sous l’influence des deux religions mais toujours animistes avaient de grandes libertés sexuelles et le sens de l’accueil. Cependant, selon « la légende » de mon informateur, certains arabes du nord venaient parfois s’installer dans un village pour ouvrir un petit commerce et s’adapter. Un an après, ils demandaient légitimement en mariage une femme « qui soit très jeune » payaient la dot mais ne touchaient pas la fille à peine nubile. Les femmes pudiques n’en parlaient pas. Puis le mari disait au village qu’il partait chez lui présenter son épouse à ses parents quoi de plus normal et il revendait à prix d’or la jeune vierge pour le harem d’un riche Sultan. Ce serait donc une autre motivation de la mutilation génitale dans ces régions mais j’emploie le conditionnel.
Au niveau du rite cérémoniel de l’excision, les filles dansent avec une jupette de raphia dont le pan avant est très court. Dans le pagne intérieur (la culotte) un lange avec une substance anesthésiante, elles agitent un petit panier, genre maracas tout en dansant au son des tam-tam. Lorsqu’elles sont en quasi transe, elle se couche sur le dos sur la face avant de leur marraine pour ainsi se protéger du contact de la terre. L’exciseur (homme dans cette région) opère alors sa boucherie comme s’il énucléait un œil à une pomme de terre, en raclant les bords pour en faire un carré.
Les filles qui survivent restent alors en retraite tandis que celles qui en meurent sont enterrées. C’est après un mois de retraite que la mère saura que sa fille n’a pas survécu si son mari arrache une poignée de pailles à la toiture de la case. Les survivantes « défigurées » ne seront plus razziées par les arabes, le « produit » étant déprécié pour les harems des Sultans.
Environ 300 km plus au sud, sur la Maringa autour de la ville de Basankusu vivent les MONGO et les NGOMBE et des informateurs de ces deux ethnies m’ont raconté la même rationalisation du pourquoi des excisions.
L’excision au Mali
Des nattes sont étalées, les mères couchent les fillettes sur le dos, puis avec l’aide de tantes, immobilisent les jambes et les bras. La forgeronne brandit son coutelas (porté autour du cou) pour couper les clitoris. Le même couteau parfois rouillé (ou un morceau de verre ou une vieille lame de rasoir) mélangera les sangs de toutes (non seulement risque de tétanos et de septicémie mais aussi de contamination SIDA). La chair tranchée est aussitôt enterrée près de la natte, il y a pour certaines jeunes filles des hémorragies fatales et pour d’autres, là où l’on a endommagé des organes proches des incontinences à vie ou d’autres problèmes. Les gamines s’immergent ensuite jusqu’à la taille dans la rivière à l’eau froide puis on les sèche avec des couvertures avant de leur offrir des cadeaux.
Les filles iront alors dans leur dortoir sous la surveillance de la Bâwo et on les protégera avec des gri-gri MBELKI (écorce amère du calceidrat ?) au cou et à la cheville un cauris (coquillage) pendant à une cordelette (protection des excisées). Si une petite meurt, on accusera aussitôt une vieille femme de sorcellerie pour trouver une chèvre-émissaire et détourner l’attention de l’exciseuses responsable. Pendant la semaine de réclusion, les excisées sont invitées, chaque fois qu’elles « rafraîchissent l’eau aux toilettes »(uriner), à protéger la blessure avec de la poudre de Gawdé (antiseptique naturel paraît-il). Les filles devenues femmes auront des parures et défileront à la queue leu leu dans toutes les maisons du village. Lorsqu’une des jeunes filles se marie, les relations sexuelles ne sont pas faciles avec la blessure parfois mal cicatrisée et purulente même si on utilise un gri-gri de marabout comme le MBINDOUDI (eau noire après le levage d’écriture sur une tablette du marabout), nous n’avons pas le sentiment d’une grande efficacité. Contrairement aux travaux de l’anthropologue HRDY[4] « La femme qui n’évoluait jamais », les mères se remettent en question et ne veulent plus de cette pratique dangereuse pour la santé de leurs filles ; ce sont les belles-mères les plus attachées à cette coutume qui peuvent enlever la fillette et la faire couper malgré le refus de la mère.
« J’ai appris que vous voulez exciser la petite MATÂDO ?- Qu’y a-t-il à cela ? - Fâti, je te demande de ne pas le faire. Tu sais que l’Association des Femmes est contre l’excision !- Pourquoi voulez-vous introduire de telles idées dans le village ? Une femme non excisée n’est qu’une BILACORO ! »(une femme de mauvaise vie, vulgaire et non mature)[5]
Etat des lieux de l’excision
A la suite des cycles de conférences-débats réalisés par Ali Guindo en 2009 et Marie-Claire LANGE (MC) en 2012 à Sévaré auprès des animatrices faîtières et au pays Dogon à Nando et à Endé (deux jours de route de Mopti), il semblerait que le sujet n’est plus tabou et que l’évolution positive est rapide. Notre carte des excisions dans le monde a eu beaucoup d’effet : les gens constatent pour le Mali 85% d’excisions tandis que le pays voisin le Niger n’en compte que 2,2 % et aucun pays hors d’Afrique ne le pratique. Beaucoup d’hommes sont aussi favorables à l’abandon de cette pratique car les séquelles, provoquant notamment des kystes et des pertes altèrent sérieusement la bonne volonté des femmes pour les relations sexuelles qui ne sont pas pour elles des parties de plaisir.
Une participante dont la fille excisée à 6h du matin n’arrêtait pas de saigner, l’a conduite elle-même l’après-midi à l’hôpital et elle s’est jurée que plus jamais elle ne serait complice de ces MGF. De nombreux témoignages montrent que les décès de fillettes ne sont pas rares.
Nous nous attendions à une hostilité de la part des extrémistes mais au contraire, les danses de bienvenue (à mille lieues des danses folkloriques des masques) exprimaient les remerciements aux autres sœurs d’Europe qui se soucient aussi de la situation de protection des fillettes. Cela dit, la guerre intérieure contre l’envahisseur Tamasheq/touareg armé sur les stocks d’armes de Lybie progresse, ils sont insaisissables car ils se déplacent dans le désert en-dehors des routes carrossables. Ajoutons à cela que le Président (proche du dictateur Kadhafi) s’accroche au pouvoir après ses deux mandats démocratiques et que, l’insurrection interne peut éclater d’un jour à l’autre, la tension est vive à Bamako.
La femme et ses capacités cognitives supérieures
Des étudiantes assistantes sociales (bac+3) m’ont demandé un jour de faire dans leur classe une conférence portant sur l’infériorité cognitive des filles. J’ai commencé par parler de l’hémisphère cérébral gauche analytique plus développé chez les hommes et de l’hémisphère droit plus globalisant et créatif, plus développé chez les femmes. Par exemple, bon nombre de femmes ont des difficultés à lire une carte routière, souvent à cause d’un problème de latéralité (gauche-droite). Puis j’ai exposé que les filles étaient non seulement plus appliquées à l’école (capacité de concentration) mais aussi plus intelligentes avec, dans l’enfance, un développement mesuré d’une avance de deux ans par rapport aux petits garçons.
Le cortex s’occupant du langage (aire de Broca) révèlé par IRM (Imagerie médicale par Résonance Magnétique) est en effet moins latéralisé que chez les garçons car il fait appel à une organisation plus complexe liant le langage aux contacts sociaux. « Les filles sont donc deux ans plus précoces que les garçons aussi bien pour le langage que pour le raisonnement et la concentration sur l’apprentissage. »[6]
Notons à ce propos que le machisme des hommes n’a rien à voir avec le cognitif mais ressort du domaine culturel ; les modèles vus par le petit garçon vont être intégrés et il les reproduira à l’âge adulte. Ce n’est pas une fatalité et ce qui a été appris peut se désapprendre s’il y a une conscientisation et une volonté de dépasser le stéréotype des blondes étiquetées « Sois belle et tais-toi ! ». Notons également que dans les conflits de couple aujourd’hui ne surviennent plus nécessairement parce que le mari est volage, mais plutôt parce qu’il existe un autre pôle d’attraction pour lui avec l’ordinateur et internet et donc au lieu de faire des câlins (communiquer), l’homme hypnotisé par son écran se couche à une heure avancée de la nuit….puis à ce rythme, un jour le couple divorce car la femme ne se sent pas heureuse dans cette arelation.
Je fais l’hypothèse que ce qui manque le plus aux femmes, c’est le plus souvent, le regard d’amour que l’homme ne porte plus sur elles. Il y a encore du travail d’éducation affective à fournir pour que les humains ne se regardent plus comme des meubles juxtaposés mais puissent vivre dans la dignité et la reconnaissance mutuelle quel que soit le genre sexuel.
J’ose ici une hypothèse hardie, les hommes sont émoustillés par les sexes de femme parce que ceux-ci, à cause d’eux, sont cachés et peu disponibles à l’inverse de nos cousins les Bonobos. Imaginons la révolution sexuelle de Wilhelm REICH où cette relation, si elle fait plaisir aux deux, ne serait plus tabou mais aussi banalisée que de manger un bout avec une amie ; nous n’aurions plus cette énergie de frustration permanente et, comme les Bonobos, nous pourrions alors penser à nous épouiller, nous caresser avec tendresse. Pour cela, il faudrait combattre d’abord les spoliateurs et tous ceux qui s’enrichissent au détriment des gens (1% des revenus est partagé par 50% de la population et les 99% autre ?) et comprendre l’adage de Pierre-Joseph PROUDHON : « La propriété, c’est le vol ! ». Notons toutefois le paradoxe où, si les gens « pouvaient jouir sans entrave », ils n’auraient alors plus d’énergie rancunière pour faire une révolution contre l’oligarchie et la particratie de façade masquant à peine la globalisation ultralibérale ou encore de travailler toute leurs vies pour des marchandises parfaitement inutiles. La soumission automatique des brebis serait encore pire qu’aujourd’hui (même si les Grecs se réveillent à 1000.000 dans les rues après deux ans d’austérité, là où la pression du citron s’accentue encore (400 €/mois de salaire minimal garanti alors que le salaire d’un député européen est de 13.500 €/mois sans les jetons de présence complémentaires et que nos ministres acceptent une réduction de 5% de leur traitement alors que l’inflation dans les foyers pauvres est de 30%).
« La vocation des humains est de communiquer, c’est-à-dire d’échanger leur vécu pour tisser des liens et nourrir la relation à l’autre. C’est ce qu’il faut apprendre aux hommes tout en respectant certainement leur plus grande difficulté à le faire. »[7]
Pendant deux à trois décennies j’ai animé des formations en histoires de vie (l’objet de ma thèse) et sans statistiques, je peux affirmer que les femmes se remettent plus volontiers en question que les hommes plus rigides. Je limitais par soucis d’efficacité mes groupes de travail à dix personnes et la proportion était souvent de 9 femmes pour un homme avec en plus très souvent chez l’homme une résistance au changement, un blocage pour parler vrai et une difficulté à entendre ce que le groupe en autoformation lui reflètait même si en plus je reformulais les remarques respectueuses. C’est probablement cette sensibilité propre aux femmes qui, dans son versant emprise hypnotique, pousse elles qui sont soumises à la violence de l’autre, à pardonner. L’acceptation tacite des femmes (retirer leur plainte par exemple) renforce dialectiquement l’autoritarisme et le passage à l’acte violent des hommes.

Petite élève de Nando recevant sn plant de karité avec un ruban rose.
« En France, selon le secrétariat d’Etat à la solidarité, 137 femmes sont décédées sous les coups de leur conjoint en 2006, soit une moyenne d’une femme tous les trois jours. Mais combien d’hommes dans le même temps ? 0,1 ou 2 ? Il est difficile de le dire, car cette même année seuls deux cas semblaient possiblement être comparables, ce qui nous donne le score affligeant de 137 à 2, qui ne peut que nous évoquer le score délirant d’une finale sportive homme-femme dans laquelle l’éducation et la testostérone viendraient naturellement à bout, sur le plan physique, de la mémoire et de la sensibilité. »[8]
(à suivre : en principe l’en quête de terrain. Mon expérience de terrain m’a fatigué des questionnaires à remplir dans des milieux défavorisés où l’on a peur d’être jugé sur ses fautes et où l’on se ferme comme une huitre en répondant OUI et NON là où l’on demande des explications. L’enquête conscientisante (Paulo FREIRE) par questionnaire à réponse ouverte sera posée par une vingtaine de collaborateurs malines, dans la langue d’origine de l’interviewé, et qui eux noteront les réponses…en principe !)

Intervention du GAP au Mali – Janv.Fév. 2012. Jean-Marie Lange, formateur, 29.02.2012
[1] « Le départ des couches moyennes des quartiers populaires, qui n’a pas été perçu sur le moment, s’est produit en général à la fin des années 1970, avant que les familles d’origine africaine ne soient nombreuses dans les cités. Les cadres et professions intermédiaires sont alors remplacés par les ouvriers européens…très provisoirement. Ces cités sont rapidement devenues des pôles de regroupement des immigrés d’Afrique du Nord, d’Afrique subsaharienne et des Turcs. La ségrégation sociale qui se développe parallèlement à la formation des « cités » a généralement précédé la ségrégation ethnoculturelle à l’intérieur même des communes. » Hugues LAGRANGE, Le déni des cultures, Paris, Seuil, 2010, p.112.
[2] PAMANTA Emba ABOUBACAR, « La blessure », Bamako, Togune Edition, 2006, p.56.
[3] « L’action combinée de la testostérone sur le muscle et sur l’humeur, dont elle est un stimulant, contribue à lui conférer des propriétés énergétiques. La testostérone est un facteur d’énergie pouvant aller jusqu’à l’agressivité. »BRENOT Philippe, Les violences ordinaires des hommes envers les femmes », Paris, Odile Jacob, 2011, p.25.
[4] HRDY Srah BLAFFER, La femme qui n’évoluait jamais, Paris, pbp, 2002.
[5] PAMANTA Emba ABOUBACAR, « La blessure », Bamako, Togune Edition, 2006, p.13
[6] SCHMITHORST V.J. & HOLLAND S.K., « Sex differences in the dévelopment of neuroatomical functional connectivity underlyingintelligence found using boyesion Connectivity analysis » in NeuroImage,2007, p.406-419.
[7] BRENOT Philippe, Les violences ordinaires des hommes envers les femmes, Paris, Odile Jacob, 2011, p. 43-44.
[8] BRENOT Ph., ibid., p.27.

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