mardi 24 août 2010

Pour une société de civilisation

Pour une société de civilisation
Notre société est individualiste et consommatrice, elle est froide comme le calcul et l’avoir, l’accumulation des biens et l’exploitation du travail plutôt que la qualité de la vie. Il faudrait inverser cette aberration de l’avoir à l’être avec ses émotions (la joie, la peine, le malheur, le plaisir, l’esthétique du beau, l’éthique du bien et la passion d’apprendre).
Les interactions entre les cerveaux par le langage et la culture font émerger l’esprit. Tout corps en développement développe des contraintes (des règles, des lois) ainsi que des propriétés émergentes comme l’art et l’esprit chez certains humains, une qualité virtuelle/potentielle, absente dans le cerveau de nos cousins chimpanzé Bonobos. Cette qualité va s’épanouir dans le rapport cerveau/culture des humains avec la connaissance et la compréhension, la conscience et la réflexion.
Nous voulons l’autonomie mais celle-ci n’est possible que si nous acceptons aussi une relation humble de dépendance vis-à-vis de nos environnements tant des humains que de la nature. Un être vivant, même lorsqu’il dort, reste en activité avec l’extériorité : ses cellules sont actives, son cœur bat, ses neurones fonctionnent et il respire en échangeant son CO2 contre l’O2 fourni par les végétaux, un ressourcement énergétique grâce à l’environnement (sauf à Moscou en cette première moitié d’août 2010).
Pour un multiculturalisme sélectif refusant toute violence
Une image choc publicitaire qui a marqué mon esprit est celle d’un Papou tout nu in situ avec son étui pénien et sa perruque en plumes d’oiseaux de paradis qui tenait dans sa main une cannette de Coca-Cola. L’image subliminale pour moi était dans le pourtour du sujet : une forêt primaire abattue pour rien, si ce n’est le profit d’une pâte à papier non taxée par une autorité planétaire et aucune obligation de reboisement. Le monde technologique industriel désintègre les communautés et les solidarités traditionnelles, les cultures du don, les rites du potlatch et l’entraide de tous où le chef a été désigné parce que le plus riche de tous mais reste un guignol sans pouvoir autre que celui de donner aux plus pauvres ses cochons et ses biens.
Chez nous en Occident, nous avons sombré corps et biens dans l’individualisme et la propagande du genre « Euro million » : un jour, nous serons riches tout seuls par notre soif du profit et de l’égocentrisme de l’incompréhension totale de la misère d’autrui, des 2/3 de la planète, et puis, grosse farce cosmique, nous mourrons comme les plus pauvres car cela est notre destin. Notre société technique segmentée et compartimentée classe les individus (en principe égaux) en faisant fi de la solidarité de l’ensemble des cellules humaines dispatchées dans divers corps. Les SDF, sans-papiers et autres malheureux en hiver sont à peine aidés par des asbl chichement subsidiées. Par contraste, le développement des buildings des métropoles a un caractère amoral de manque de responsabilité collégiale. Il en va de même dans le tiers-monde où le phénomène de la corruption généralisée empêche tout développement, y compris jusqu’à l’entretien des infrastructures coloniales d’il y a un demi-siècle.
L’aide internationale octroyée se dilue avant d’arriver aux ayant-droits mais en plus, elle ne répond pas au qualitatif de l’entraide et de l’autonomie villageoise car elle a été construite sur le quantifiable du calcul (les indices de croissance). Ces rares investissements économiques et non de développement social (le besoin d’écoles par exemple) sont très vite phagocytés par de nouveaux riches sans scrupule qui s’achètent des « Mercédès blanches », c’est la caricature pitoyable de l’européocentrisme et de l’islamocentrisme des pétrodollars.



C’est la solitude dans la richesse (et les barbelés) et non le relèvement des traditions communautaires[1] dans le partage. Bien sûr, les droits de l’homme sont une condition mondiale nécessaire mais non suffisante à opposer à l’obscurantisme des religions judéo-chrétiennes tout comme au djihad des fondamentalistes islamistes fanatisés par Al Quaida. Nous évoluons tous (l’humanité) avec un sous-développement psychique, moral et affectif qui nous fait refuser d’accepter avec bienveillance les différences ethniques pour autant qu’elles ne dévient pas dans la barbarie faite aux femmes sous couvert d’une tolérance malsaine s’apparentant à de la lâcheté.
Nous perdons l’aptitude à relier, à parler globalement en respectant les différences (aussi bien du côté des occidentaux que du côté du tiers-monde islamiste). L’hyperspécialisation et l’hyper individualisme des ethnies des blancs riches conduisent à des sociétés de mal à être, de la perte du sens collégial et de l’autre côté du proverbial accueil de l’étranger. Alors chez les occidentaux, sous le stress d’un hyper-travail de plus en plus compétitif, on se tourne vers les drogues ou l’alcool et parfois, vers des sagesses venues d’Orient (zen et tao). Les sous-développés du tiers-monde ont l’animisme et les superstitions magiques bien récupérées au nom de l’islam par les marabouts et nous, nous avons l’illusion que l’argent thésaurisé et non partagé fait le bonheur, nous avons l’illusion de la techno-science des canons et du progrès par la consommation effrénée des I-pood par exemple.
Nous allons en solitaire sur une autoroute de la technologisation là où les générations et les ethnies ne savent plus communiquer dans le temps qui file. J’utilise le courriel (e-mail) et internet pour des fonctions précises (comme par exemple trouver le plan d’un ville avec la fonction maps) mais pour continuer à apprendre, je lis, c’est plus facile pour moi. Dans quelques temps, mes petits-enfants me demanderont « c’est quoi un livre ? ».. J’apprends le jeu des échecs à des jeunes adultes qui eux m’aident à régler mes gadgets électroniques de plus en plus complexes comme par exemple, le patch internet+router+TV que l’on peut installer soi-même selon une publicité encore mensongère de BELGACOM.
L’effet papillon existe en économie ; pour augmenter les profits, des employés de banques sont virés et remplacés par des robots. Je vois ensuite de vieilles personnes qui sont ainsi contraintes aux guichets automatiques et qui sont désemparées car leur cerveau ne fonctionne pas aussi vite que les machines et ils sont toujours en train d’essayer de comprendre lorsque l’automate clignote avec la mention : « Retirez votre carte. Echec de la transaction ! ».
Comment pourrait-on restaurer l’entraide et la convivialité ?
Dans certaines familles, chacun mange seul lorsqu’il a faim, il n’y a plus de repas commun propice aux échanges familiaux, aux identifications réciproques. Dans les entreprises, face à un licenciement suspect, il n’y a plus de mouvement de solidarité syndicale ; au contraire même, les travailleurs précarisés pensent chacun « ouf ! ce n’est pas encore moi cette fois ! ». Sont-ils heureux ? Dans les aires de repos des autoroutes, il y a des poubelles mais les détritus et cannettes vides sont jetés à côté. Etc. Il nous faudrait impérativement réintroduire une éducation citoyenne à l’école ; celle que des familles déchirées, mal recomposées ou non instruites n’ont pas transmise, la notion de biens collectifs comme le mobilier urbain pour tous par exemple. Qui dégrade les sièges des bus, ceux qui ont des voitures ou ceux pour qui cela a été instauré ?
A côté de ce déni des biens communs à gérer en « bon père de famille » et de l’apothéose du consommateur solitaire enfermé sur son MP3 ou son GSM, il y a les « paumés », les exclus vivant en-dessous du seuil de la pauvreté mais criblés de dette (grâce aux organismes de prêts faciles).
Puis, il y a les fanatiques religieux islamistes qui font du terrorisme à l’aveugle car c’est plus facile de poser une bombe dans le métro que d’attaquer un poste de police. En effet, d’une part, les femmes, les enfants et les vieillards ne sont pas armés et d’autre part, les martyrs de cette pseudo-révolution de la lâcheté bénéficient de l’effet de surprise. Par exemple l’Afghanistan, avec la complicité hypocrite du Pakistan pour les Talibans perpètre à la fois des attentats aveugles et viole les droits élémentaires des femmes de ses tribus.
Enfin, il y a les nouveaux riches, comme les chinois, qui disent en substance aux occidentaux : « vous avez pollué le monde pendant plus d’un siècle, pourquoi pas nous à présent ! »Et avec le milliard et plus d’individus qu’ils représentent dans la bêtise mondiale, ils ne seront pas tués par leur énorme production d’oxyde de carbone (CO des voitures remplaçant leurs vélos) mais par les inondations de fleuves de boue de leurs collines déboisées. Rappelons que ce sont les seuls opposants aux derniers accords possibles de Stockholm. Et puis, cerise sur le gâteau du gâchis, il y a les russes et les feux de forêt dus à la canicule et à des gosses non éduqués à la citoyenneté, feux qui menacent leurs silos de missiles à têtes nucléaires.
Entre ces catastrophes attendues et le gamin qui n’est pas chez lui mais qui s’est invité dans notre pays et lacère au cutter les sièges du bus public, il y a un commun dénominateur : la pulsion de mort. L’homme est la seule race capable d’égorger un combattant qui demande grâce, ce qui existe chez les animaux prédateurs mais non entre eux. Je suis pessimiste mais non nihiliste, il n’y a pas d’espoir mais juste une petite espérance : celle que l’homme se change lui-même très vite et institue des lois pour la civilisation et non comme jusqu’à maintenant pour le profit et le pillage des ressources.
Pour conclure par la flamme vacillante d’une bougie d’espérance
Redécouvrons la liberté que les néolibéraux ont confisquée pour l’exploitation de l’homme par l’homme, stoppons le développement néolibéral pour une régularisation responsable de nos diverses consommations (eau, essence, électricité, 4x4, avions, alimentation exotique importée en hiver, etc.), non pas pour une décroissance absurde à la ROUSSEAU mais une authentique politique de l’homme et de la civilisation multiculturelle.
Une femme canaque de Nouméa – devant une pièce de théâtre jouée conjointement par des canaques, des caldoches et des blancs – eut la réaction étonnée suivante : « Je n’aurais jamais cru qu’ils puissent se mélanger ! ». Du mélange culturel au métissage des populations, c’est notre seule issue, celle de devenir des citoyens du monde. L’avenir n’est pas dans la dialectique du maître et de l’esclave où il y a deux perdants mais dans une reconfiguration de nos certitudes culturelles : un changement radical entre la croissance techno-instrumentale basée sur la valeur du profit (pour des riches de plus en plus riches et des pauvres de plus en plus pauvres) et celle qui consisterait à créer une politique de l’humanité avec pour commencer une allocation de vie (fric) raisonnable égale pour tous et donc en corolaire le contrôle des quelques milliardaires de la planète qui ne payent pas encore une obole proportionnée au développement durable des humains. Notre européocentrisme reste encore aujourd’hui un mauvais modèle, celui d’un instrument de colonisation des « sous-développés » du sud par le nord.Le néolibéralisme est quantitatif pour ce qui l’arrange mais ne calcule pas l’égalité d’espérance de vie, la souffrance, la joie, l’amour et la faim. Il nous faut un modèle qualitatif de développement (ISO 9000) qui prenne en compte les qualités de l’existence, de la solidarité, du milieu et des autres richesses non statistiquement calculables, un système qui pratique – selon des modalités à définir ensemble – un transfert de la richesse (potlatch), le don, la conscience et la dignité.
Que chacun connaisse les fondements religieux et laïques de tous pour moins juger et imposer des stéréotypes de guerre. Que les sagesses orales et rituelles des civilisations archaïques soient non seulement connues mais aussi comprises. Enfin que les pollueurs en hydrocarbures notamment soient emprisonnés à vie (tous les cadres) pour crime irréversible contre la planète. Comme un corps physique, le corps social doit se régénérer en réveillant des cellules souches endormies dans les scléroses sociales. La finalité devrait être de se solidariser et non de spéculer sur la mort avec le prix de médicaments essentiels par exemple mais surtout instituer des services pour lutter contre les injustices majoritaires dans le tiers-monde, là où des humains sont le plus dépourvus de respect et de considération.


JM.Lange, 15.08.2010


[1] « - Les principes qui te tiennent à cœur ? L’affirmation de l’égalité des cultures, la préservation de la planète et de ses ressources, le pouvoir libérateur de la science et du savoir,….
- Je ne t’entends pas beaucoup parler de l’égalité homme-femme, dit-elle. Ou peut-être estimes-tu que ce principe contredit celui de la liberté religieuse ?
- Tu fais sans doute allusion au fait que je suis musulman ?? demanda-t-il ?
- Je le suis également, répondit Malawati. Mais contrairement à toi, cela ne me donne pas le droit de lapider mon conjoint s’il m’est infidèle, ni même de le couvrir des pieds à la tête dès qu’il sort dans la rue. » BELLO Antoine, Les falsificateurs, roman, Paris, Folio, 2008, p.155.

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